Raymond Poincaré
Homme d'État français (Bar-le-Duc 1860-Paris 1934), cousin de Henri Poincaré.
1. Du barreau à la présidence de la République
1.1. À la Chambre des députés et au Sénat
Licencié ès lettres et docteur en droit, Raymond Poincaré s'inscrit au barreau en 1880 : bientôt son intelligence lui vaut de devenir premier secrétaire de la Conférence des avocats. Conseiller général de la Meuse à 27 ans, il est élu député en 1887 : il représentera dès lors son département natal, à la Chambre d'abord (1887-1903), puis au Sénat (1903-1913, 1920-1934).
Quoique issu d'un milieu conservateur, il se pose en républicain libéral et antirévisionniste. À la Chambre, tout en se tenant à l'écart des groupes, il siège parmi les progressistes : il y acquiert très vite un renom et une autorité considérables, particulièrement en matière financière. Il est rapporteur du budget des Finances en 1890-1891 et rapporteur général du budget en 1892.
Pour en savoir plus, voir l'article Chambre des députés.
1.2. Ministre des Finances et de l'Instruction publique
Le discrédit jeté par le boulangisme et le scandale de Panamá sur l'équipe en place hâte l'accession au pouvoir de Raymond Poincaré. Charles Dupuy lui confie un premier portefeuille (Instruction publique et Beaux-Arts) le 4 avril 1893. Démissionnaire le 25 novembre, Poincaré devient ministre des Finances dans le deuxième cabinet Dupuy et le reste dans le troisième (mai 1894-janvier 1895) ; auprès de lui figurent plusieurs représentants de la « jeune » génération : Georges Leygues, Louis Barthou, Théophile Delcassé.
De nouveau ministre de l'Instruction publique (3e cabinet Ribot, 1895), Poincaré prépare, avec Louis Liard, le projet de loi qui rend aux groupes de facultés le nom d'universités (loi Poincaré, votée le 10 juillet 1896). L'un de ses collègues, Gabriel Hanotaux, a raconté qu'il « éblouit » le Conseil des ministres par son érudition et sa claire intelligence.
Poincaré est vice-président de la Chambre de 1895 à 1897.
1.3. L'avocat
La constitution d'un « bloc » radical (→ Bloc des gauches, radicalisme), les interférences de l'affaire Dreyfus sur la vie politique, les nécessités de son métier éloignent Poincaré durant plusieurs années de l'avant-scène.
En revanche, sa place devient prépondérante au Palais de Justice, où s'imposent ses qualités d'avocat, notamment sa manière de « préparer un dossier », sa mémoire prodigieuse, le ton à la fois tranchant et classique avec lequel il plaide ; en 1909, Poincaré est reçu à l'Académie française.
1.4. Président du Conseil (1912-1913)
Le temps du « Bloc » étant révolu, il accepte le portefeuille des Finances dans le cabinet Sarrien (mars-octobre 1906), mais son véritable « retour » se situe le 14 janvier 1912.
À cette époque, la tension franco-allemande est grave ; les problèmes sociaux pèsent sur la vie du pays. Le président Armand Fallières appelle alors à la présidence du Conseil le Lorrain Poincaré, dont la popularité tient surtout à son patriotisme et à son énergie. Poincaré forme un cabinet qu'on peut qualifier d'union nationale avec Aristide Briand, Delcassé et Alexandre Millerand ; lui-même se réserve l'important ministère des Affaires étrangères.
Tout en prenant une position de neutralité à l'égard de l'Italie et de la Turquie en guerre, puis à l'égard des Balkans, il fortifie la position de la France au Maroc : la convention du 30 mars 1912 impose le protectorat de la France à ce pays. C'est un autre Lorrain, Hubert Lyautey, que Poincaré fait désigner comme premier résident au Maroc.
Pour en savoir plus, voir les articles crises et guerres de Balkans, histoire du Maroc.
Persuadé qu'il est impossible de combler le fossé qui coupe l'Europe en deux, Poincaré s'attache à fortifier la Triple-Entente ; en novembre 1912, sont échangées entre Paris et Londres des lettres prévoyant la possibilité technique d'exercer, en cas de guerre, une action conjuguée. Par ailleurs, Poincaré resserre l'alliance franco-russe : il accomplit, dans cette vue, un voyage à Saint-Pétersbourg.
Sur le plan intérieur, il fait voter par la Chambre un projet de loi établissant un régime électoral par représentation proportionnelle (12 juillet 1912) : les radicaux Georges Clemenceau, Joseph Caillaux – considérant le scrutin proportionnel comme propice au césarisme – lui en voudront.
1.5. Président de la République (1913-1920)
Sa raideur et un certain manque de générosité n'empêchent pas sa réputation d'atteindre au zénith. Le septennat d'Armand Fallières touchant à sa fin, on pense à Poincaré pour la succession. Mais Clemenceau Caillaux pousse en avant l'insignifiant radical Jules Pams, ministre de l'Agriculture, qui, la veille, a remporté, les primaires, au sein du camp républicain, contre Poincaré; celui-ci est élu au second tour par 483 voix sur 870 votants (17 février 1913), grâce à l'appui des voix de la droite. La foule acclame le nouveau président de la République, qui lui apparaît comme l'homme de la « revanche ».
De fait, dans les limites – qui le gêneront beaucoup – de ses prérogatives présidentielles, Poincaré incarnera une France décidée à ne plus rien concéder à l'Allemagne. En juin 1913, il se rend à Londres, où l'accueil est extrêmement cordial ; ouvertement, en juillet-août 1913, il se montre partisan de la loi des trois ans (de service militaire). Le 16 juillet 1914, accompagné de René Viviani, président du Conseil, il s'embarque pour la Russie, où l'alliance franco-russe est renforcée, mais d'où les événements européens (ultimatum de l'Autriche à la Serbie) le rappellent rapidement. Sa rentrée à Paris, le 29 juillet, est triomphale. Quelques jours plus tard, c'est la guerre.
Durant la Première Guerre mondiale, Poincaré reste aux yeux des Français l'incarnation de la patrie éprouvée ; on le voit souvent dans les tranchées du front. Cependant, il souffre de la relative impuissance attachée à ses fonctions et des divisions qui continuent à déchirer la vie politique du pays. En novembre 1917, il fait taire ses griefs et ses rancunes personnels en appelant au gouvernement celui qui lui semble être le seul à pouvoir tirer la France de la crise : Georges Clemenceau. Poincaré prendra ombrage de la popularité de ce dernier ; mais son nom restera associé à toutes les heures glorieuses, notamment lors de sa visite à Strasbourg et à Metz libérées (décembre 1918).
À l'expiration de son mandat présidentiel, Poincaré refuse de céder au vœu général qui l'aurait fait demeurer à l'Élysée. Quand il quitte sa charge (18 février 1920), la Chambre déclare que « le président Poincaré a bien mérité de la patrie ».
Pour en savoir plus, voir l'article Première Guerre mondiale.
2. L'après-guerre
2.1. Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères (1922-1924)
Durant deux ans, au Sénat, dans des conférences et des articles, Poincaré dénonce les faiblesses du traité de Versailles et aussi la politique de conciliation du président du Conseil, Aristide Briand, à l'égard de l'Allemagne. Briand ayant démissionné au retour de Cannes (12 janvier 1922), Poincaré – son antithèse vivante – est chargé de former un cabinet. Ce deuxième gouvernement Poincaré dure deux ans (15 janvier 1922-26 mars 1924) ; son existence est dominée par la politique extérieure de son président, qui a pris le portefeuille des Affaires étrangères.
Persuadé que le moratoire demandé par les Allemands en juillet 1922 n'est qu'un subterfuge pour échapper aux réparations, Poincaré, malgré les Anglais, mais avec l'appui massif de la Chambre des députés, se décide à « prendre le gage » de la Ruhr. Le 11 janvier 1923, les troupes françaises pénètrent dans la Ruhr pour appuyer la Mission inter-alliée de contrôle des usines et des mines.
L'Allemagne finit par céder : le chancelier Wilhelm Cuno est remplacé par Gustav Stresemann, et la résistance passive cesse dans la Ruhr (août-septembre 1923).
Poincaré accepte l'enquête internationale proposée par la Grande-Bretagne sur la capacité de paiement de l'Allemagne. Il semble, cependant, qu'il ait, un moment, joué sur deux tableaux : multipliant, d'une part, les contacts avec le gouvernement allemand, mais espérant en même temps le succès des mouvements autonomistes en Rhénanie.
Quoi qu'il en soit, Poincaré finit par renoncer à la politique des « gages » – on lui a beaucoup reproché cet abandon – pour s'incliner devant l'internationalisation du problème des réparations (→ plan Dawes, 1924).
2.2. Troisième cabinet Poincaré (mars-juin 1924)
Le 29 mars 1924, il remanie son cabinet, appelant notamment Louis Loucheur au Commerce et à l'Industrie ; mais les élections législatives de mai 1924 ayant renversé la majorité du Bloc national, le troisième cabinet Poincaré doit démissionner le 1er juin.
Le Cartel des gauches, qui prend alors le pouvoir, se trouve rapidement aux prises avec une grave crise financière, que le ministre des Finances, Joseph Caillaux, ne peut résoudre.
2.3. Quatrième et cinquième cabinet (juillet 1926-juillet 1929)
Après le passage au pouvoir de plusieurs ministères d'expédients, le président de la République Gaston Doumergue recourt à Poincaré. Celui-ci, grâce à sa notoriété, peut constituer un ministère de large Union nationale, où les deux chefs du Cartel (Édouard Herriot et Paul Painlevé) côtoient le modéré Louis Marin, les centristes Louis Barthou et André Tardieu ainsi que l'indispensable Briand.
Ce grand ministère (4e cabinet Poincaré) reste au pouvoir du 23 juillet 1926 au 6 novembre 1928. Président du Conseil et ministre des Finances, Poincaré – qui est investi de pouvoirs spéciaux – commence par réclamer plus de 11 milliards de ressources nouvelles ; en même temps, il renforce la confiance des Français ; les capitaux expatriés rentrent. Après les élections d'avril 1928, qui sont un triomphe pour lui, Poincaré se résigne à faire voter la loi monétaire du 24 juin 1928, qui définit le franc par un poids d'or, mais au cinquième de sa valeur d'avant guerre. Le bénéfice comptable ainsi dégagé est affecté au remboursement de la dette du Trésor.
Pour en savoir plus, voir l'article franc.
La stabilisation monétaire acquise, les radicaux reprennent l'offensive anticléricale ; le 6 novembre, en désaccord avec Briand au sujet des privilèges accordés aux congrégations missionnaires, les ministres radicaux se retirent. Poincaré reforme sans eux (5e cabinet Poincaré, 11 novembre 1928-27 juillet 1929) un ministère appuyé uniquement sur la droite et le centre : l'existence de ce cabinet est liée à la question des réparations et à celle des dettes de guerre. C'est alors qu'est élaboré le plan Young, que Poincaré appuie parce qu'il croit pouvoir lier les dettes de guerre aux réparations, ce que les Américains refusent.
En juillet 1929, malade, Poincaré se retire de la vie politique. Dans sa retraite, il met au point ses Mémoires (Au service de la France, 10 volumes, 1926-1934).
Pour en savoir plus, voir les articles histoire de la France, IIIe République.