troubadour
(ancien provençal trobador, de trobar, faire des vers)
Poète lyrique des xiie et xiiie s., qui composait des œuvres dans une des langues d'oc.
LITTÉRATURE
La courtoisie naît, au début du xiie siècle, dans l'entourage des seigneurs du Midi, en pays de langue d'oc, avec les troubadours ; elle gagne ensuite le Nord, la France de langue d'oïl, avec les trouvères ; elle conquiert enfin les cours de l'Allemagne médiévale avec les minnesänger.
Troubadours et trouvères
La courtoisie s'est incarnée dans l'art raffiné des troubadours des cours méridionales, puis des trouvères de la France du Nord, mais dans deux tonalités différentes.
La fine amor, cet amour qui exige un long service amoureux jamais certain de sa récompense, est née dans les cours seigneuriales du Midi, en pays de langue d'oc, où se mêlaient les influences de la poésie liturgique latine, des chants populaires, du lyrisme des poètes arabes d'Andalousie. Cet amour est signe de la cortezia, la courtoisie, qui se caractérise par la jovenz (les qualités de la jeunesse), le joi (tantôt compris comme une joie quasi mystique, tantôt comme un jeu) et la mesura (la maîtrise de soi).
Paradoxalement, le premier chantre de l'amour épuré, le premier troubadour, est un grand seigneur débauché et désabusé, Guillaume IX, duc d'Aquitaine et comte de Poitiers (1086-1127). S'il écrivit des chansons libertines, il évoqua aussi une passion idéale pour une femme si parfaite qu'on peut douter de son existence. Ce n'est pas un hasard si le plus beau mythe amoureux de la poésie des troubadours est celui de l'« amor de lonh », l'amour lointain que Jaufré Rudel, prince de Blaye, éprouva pour la princesse de Tripoli, sans jamais l'avoir vue : il se croisa pour elle et mourut dans ses bras en débarquant en Terre sainte.
Ce que dit la poésie courtoise, au milieu de quelques retours de gaillardises et de désirs brutaux, c'est que la fin de l'amour tue l'amour : le bonheur est dans l'inassouvissement ; il culmine ainsi dans l'épreuve de l'assag, la chasteté acceptée en présence de la dame nue.
Un art hermétique et varié
Le troubadour est un trouveur, c'est-à-dire un « faiseur de tropes », d'ornements mélodiques et littéraires. Trobar, en langue d'oc, signifie « trouver », « créer », au sens poétique et musical, car dans l'art du troubadour les deux pratiques sont inséparables. Beaucoup de manuscrits des troubadours sont pourvus d'une notation musicale qui souligne les textes. Souvent le poète s'accompagne lui-même de la vielle. Le trobar connaît divers degrés : trobar leu (« poésie ouverte »), trobar clus (« poésie fermée ») hermétique, trobar ric, qui cultive l'expression rare.
Cet art élaboré s'incarne en une multitude de formes et de genres : la canso, chanson d'amour qui se termine souvent par un envoi (tornada) dédiant le poème à une personne désignée par un pseudonyme (le senhal) ; la tenson, débat entre plusieurs poètes sur une question de discipline amoureuse ; l'alba, ou chanson d'aube, qui évoque la séparation des amants au petit jour ; l'estampida, l'estampie, composée sur un rythme de danse ; le planh, complainte funèbre ; le sirventès, pièce polémique et satirique qui s'attaque aussi bien aux ennemis politiques qu'à la décadence de la courtoisie.
Les trouvères : des amoureux doués de raison
Les poètes des pays de langue d'oïl imitèrent d'abord les troubadours : ils leur empruntèrent la grande chanson courtoise en cinq strophes, leurs artifices de versification, leurs sujets. Le premier foyer courtois important dans le Nord fut la cour de Champagne ; suivront les cours et les villes de la Picardie et de l'Artois.
Le répertoire des trouvères s'est bientôt diversifié avec des chansons de croisade, des ballades, des pastourelles, des motets, des rondeaux ; il reprend aussi les thèmes plus anciens des chansons d'histoire et de toile, qui mettent en scène une jeune femme filant sa quenouille et évoquant celui qu'elle aime. D'une façon générale, la courtoisie des trouvères met l'accent sur la mesure, la modération. Le poète jauge son idéal à l'aune de la raison, en même temps que son accompagnement musical se rapproche de la veine populaire, du rythme de la chanson folklorique.
L'art des trouvères ne disparaîtra pas, il se transformera à travers l'inspiration dramatique et pastorale d'Adam de la Halle (seconde moitié du xiiie s.) et il se fondra dans la polyphonie virtuose du musicien-poète Guillaume de Machaut (vers 1300-1377) : à cette date, musique et poésie voient diverger leurs destins.
Pour en savoir plus, voir l'article trouvère.
Les minnesänger
Adaptateurs des troubadours et des trouvères, les poètes courtois allemands ont cependant donné une interprétation originale du service d'Amour et créé un style musical qui leur est propre.
Les chantres de l'amour en pays germaniques (Minne veut dire « amour », dans la langue médiévale) ont fait de leur mieux pour respecter le code inhumain de l'amour sublimé, qui fait de la femme la maîtresse inaccessible et de l'amant son fidèle vassal. Ils ont poussé tous les cris et toutes les plaintes de convention, appliqué les règles de composition, reproduit tous les stéréotypes. Ainsi ont fait Reinmar l'Ancien, Heinrich von Morungen, Wolfram von Eschenbach, Hartmann von Aue, Hendrik Van Veldeke. Mais, lorsqu'ils se laissent aller à leur tempérament propre, ils témoignent de sentiments moins convenus : chez le sire de Kürenberg, la femme parle un langage hardi, elle n'hésite pas à renverser les rôles et à solliciter l'amour du bien-aimé trop réservé ou peu attentionné ; Walther von der Vogelweide (vers 1170-vers 1230) apporte à sa poésie d'amour la même vigueur et le même naturel qui animent ses poèmes politiques et ses méditations lyriques ou religieuses : il chante avec fraîcheur sa passion pour sa Dame (c'est le genre de la hohe Minne, l'amour noble), mais il lui arrive de préférer la bergère (la niedere Minne, le « menu amour »).
Maniérisme et réalisme
Les minnesänger se forgèrent un style musical particulier, syllabique et scandé, qu'on retrouve plus tard dans le lied. Mais ils y coulèrent jusqu'à satiété les thèmes et les formes éprouvés, en les outrant jusqu'au maniérisme : Konrad von Würzburg se complaît dans sa virtuosité de versificateur (il la prouve durant 90 000 vers) ; Ulrich von Lichtenstein, dans son Service de la Dame (1255) qui est aussi son autobiographie, déplore le déclin de l'art qu'il est en train de pratiquer. Certains vont jusqu'à la parodie, tel Tannhäuser (vers 1205-vers 1270), devenu dès le xve s. un personnage mythique, que les romantiques redécouvriront et que Wagner immortalisera. Une réaction ramènera l'amour courtois sur terre, plus précisément au village, avec Neidhart von Reuental, qui se divertit à peindre dans un langage raffiné les amours des filles de ferme et les combats des chevaliers qui se réduisent à des rixes de taverne.
Malgré la volonté d'Heinrich von Meissen (vers 1250-1318) de restaurer l'inspiration du minnesang dans un style élaboré jusqu'à l'obscurité, la poésie courtoise survivra dans l'art sensuel et musical d'Oswald von Wolkenstein (vers 1377-1445), où le rythme de la chanson à boire se mêle à la confession passionnée.