l'impressionnisme à l'étranger
L'impressionnisme à l'étranger accompagne et surtout prolonge les découvertes françaises (→ l'impressionnisme). Il joue cependant un rôle essentiel en libérant les arts nationaux des servitudes académiques. Les théories impressionnistes, généralement transmises par des artistes ayant séjourné à Paris, aboutissent souvent à une sorte de « plein-airisme » plus proche de Jules Bastien-Lepage (1848-1884) que de Monet et s'imposent seulement vers la fin du siècle.
Toutefois, deux artistes importants appartiennent à la génération des grands créateurs de l'impressionnisme : un Américain qui vit en Angleterre et séjourne à Paris, James Abbott McNeill Whistler , et un Suédois, Carl Frederik Hill (1849-1911).
De 1862 à 1866, l'exécution des « Symphonies en blanc », dont fait partie la Petite Fille blanche (1864) chantée par Carlo Swinburne, et, à partir de 1864, celle des « Nocturnes », puis des « Harmonies » et des « Arrangements » mettent Whistler au premier rang des inventeurs de l'art moderne. Hill était invité par les impressionnistes à exposer avec eux en 1877, quand il fut atteint de troubles mentaux qui l'éloignèrent définitivement de la vie publique. Ses paysages sont comparables à certains de ceux de Sisley, et ses œuvres ultérieures ont des beautés foudroyantes pré-expressionnistes et présurréalistes.
1. Europe du Nord
Les pays scandinaves, où la vie intellectuelle est particulièrement brillante à la fin du xixe siècle (en témoignent des écrivains majeurs comme les Suédois Ibsen et Strindberg, ou le Norvégien Björnson), accueillent favorablement les nouveautés picturales et auront bientôt, grâce à Edvard Munch, une influence exemplaire sur l'art européen.
Suède
Les artistes suédois viennent traditionnellement étudier à Paris. Leur impressionnisme se nuance d'expressionnisme chez Ernst Josephson (1851-1906), de japonisme chez Carl Trägårdh (1861-1899), d'irréalisme chez Olof Sager-Nelson (1868-1896), d'une virtuosité un peu académique chez le portraitiste Anders Zorn (1860-1920), dont l'audience est internationale. Un remarquable paysagiste, Bruno Liljefors (1860-1939), se spécialise dans les tableaux à sujets animaliers.
Norvège
Les peintres norvégiens, avant d'assimiler l'art français, sont d'abord attirés par Karlsruhe, où professe l'un des leurs, Hans Gude (1825-1903). La découverte du plein air s'accompagne pour eux d'une prise de conscience du folklore local, sensible chez Christian Krohg (1852-1925), Erik Werenskiold (1855-1938). Un impressionnisme plus véridique, fondé sur des effets de brume, de neige et de nuit, apparaît chez Fritz Thaulow (1847-1906), ami du sculpteur Auguste Rodin et qui s’installe en France.
Danemark
Au Danemark, Karl Madsen (1855-1925) soutient les impressionnistes français par des articles et des expositions ; il faut noter les recherches luministes de Viggo Johansen (1851-1935) et de Peter Severin Krøyer (1851-1909).
2. Europe centrale
Pays germaniques
En pays germaniques, où dès 1879 sont exposées à Munich des œuvres impressionnistes françaises, le réalisme académique et l'idéalisme s'opposent à la pénétration de ce nouveau style, que rejette aussi le public au nom du patriotisme. Fritz von Uhde (1848-1911), à Munich, et Fritz Mackensen (1866-1953), à Worpswede, éclaircissent leur palette sans se détacher d'un lourd naturalisme.
L'impressionnisme berlinois s'impose à la fin du siècle dans le cadre de la Sécession de 1898. Trois artistes, formés à Munich et à Paris, le représentent :
– Max Liebermann (1847-1935) évolue d'un naturalisme inspiré par Mihály Munkácsy vers des effets de lumière proches de Manet et de Degas, auquel il consacre un essai en 1898 ;
– Lovis Corinth (1858-1925) abandonne une manière vaporeuse pour une facture éclatante et agressive ;
– Max Slevogt (1868-1932) balafre ses toiles de coups de brosse impétueux.
Tous trois ont en commun un graphisme incisif et un tempérament déjà expressionniste. Grâce à Liebermann, collectionneur averti qui présente en 1896 son ami Hugo von Tschudi (1851-1911), conservateur du musée de Berlin, à au marchand des Impressionnistes Paul Durand-Ruel, nombre de chefs-d'œuvre français prendront le chemin de l'Allemagne.
Le Hongrois Munkácsy, grand maître du réalisme, subit dans ses dernières œuvres l'influence impressionniste, qui, à Prague, s'exerce très heureusement sur les vues urbaines d'Antonín Slavíček (1870-1910).
Russie
En Russie, le naturalisme des peintres « ambulants » marque encore les initiateurs de l'art nouveau, tels Konstantine Alekseïevitch Korovine (1860 ou 1861-1939) et Issaak Ilitch Levitan (1860-1900). Mais une liberté de touche très impressionniste apparaît chez Filipp Andreïevitch Maliavine (1869-1940).
3. Pays-Bas et Belgique
Pays-Bas
La tradition réaliste hollandaise, caractéristique de l'école de La Haye, s'oppose à une influence importante de l'art français, et le qualificatif d'impressionnistes donné dans leur pays aux frères Jacobus-Hendrikus, Matthijs et Willem Maris s'applique moins à leur manière qu'à leurs sujets ; il convient mieux à Floris Verster (1861-1927) et surtout à George Hendrik Breitner (1857-1923). L'exemple de Manet et celui des estampes japonaises sont puissamment assimilés chez ce dernier, qui se plaît aussi avec beaucoup de talent aux impressions nostalgiques de pluie, de brume et de neige sur Amsterdam.
Belgique
Les paysagistes belges de Tervuren, le Barbizon flamand, ouvrent la voie à un impressionnisme autochtone, qui se manifeste d'abord dans l'école de Termonde (Adriaan Jozef Heymans [1839-1921], Jacob Rosseels [1828-1912]).
Certains artistes, tels Theodoor Verstraete (1850-1907) et Henri de Braekeleer (1840-1888), ne délaissent pas la technique réaliste, tandis que d'autres, comme Albert Baertsoen (1866-1922) et Frans Courtenz (1854-1943), rompent avec celle-ci pour l'emploi de tons clairs et d'une touche plus spontanée.
Émile Claus (1849-1924) est le plus important représentant du style apparenté à l'école française. La fondation du Cercle des XX (1884), dirigé par le journaliste Octave Maus (1856-1919), a pour objet de soutenir l'impressionnisme belge, mais ce mouvement défendra toutes les tendances avancées, qu'elles soient symbolistes (James Ensor) ou divisionnistes (Theo Van Rysselberghe et Henry Van de Velde). L'impressionnisme belge, dont Guillaume Vogels (1836-1896) est le meilleur représentant et qu'adopte aussi le Grec Périclès Pantazis (1849-1884), se différencie de l’impressionnisme français par un lyrisme mélancolique, où les tons purs et soutenus servent à peindre la neige, la pluie et les bourrasques dans des faubourgs crépusculaires.
4. Grande-Bretagne et États-Unis
Grande-Bretagne
Les peintres français ont découvert en Grande-Bretagne l'exemple essentiel de William Turner (1775-1851). Le choc en retour de l'impressionnisme, soutenu par les écrits de George Moore, touche les artistes de l'école de Glasgow, Charles Conder (1868-1909), sir John Lavery (1856-1941), s'exerce sur William MacTaggart (1835-1910) et sir George Clausen (1852-1944), et se mêle à des relents d'orientalisme chez Frank Brangwyn (1867-1956).
Mais cette vision un peu molle ne satisfait pas entièrement deux excellents peintres soucieux de renouveler l'art anglais : Philip Wilson Steer (1860-1942) et Walter Richard Sickert (1860-1942) – ce dernier, ami de Degas. Beaucoup d'éclat et de fraîcheur caractérisent les marines de Steer, tandis qu'un humour un peu cruel teinte les scènes de music-hall chères à Sickert, disciple de Whistler et de Degas, et membre influent de cette intelligentsia franco-anglaise qui évolue entre Londres, Dieppe et Paris.
Le britannique Alfred Sisley (1839-1869) quant à lui appartient de plein droit à l’impressionnisme français. Né à Paris, Sisley passe l’essentiel de sa vie en France et côtoie très tôt Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir et Frédéric Bazille. Membre du groupe impressionniste et participant régulier à ses expositions, il s’installe en 1880 près de Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne.
États-Unis
Au cours des deux dernières décennies du xixe siècle, plusieurs jeunes artistes américains venus en France pour faire ou parfaire leurs études artistiques reçoivent le choc de l'Impressionnisme. La peinture de plein air, les audaces chromatiques et techniques de Monet, Pissarro, Degas, Renoir et plus tard Gauguin sont pour eux une source d'inspiration appliquée.
Mais c'est en Monet que la plupart trouvent un modèle génial. Theodore Robinson, en particulier, s’installe à Giverny auprès du maître, devenu son ami.
Pour Mary Cassatt, le guide très proche est Edgar Degas ; seule parmi se compatriotes, elle exposa avec le groupe impressionniste français auquel elle s’intègre (→ expositions impressionnistes).
C'est cependant de retour dans leur pays, après 1896, dans leurs paysages familier et dans leur milieu, que ces jeunes artistes américains pénétrés des leçons de l'impressionnisme se dégagent des conventions et trouvent leur propre langage pictural. Groupés sous le nom des Dix (The Ten), ils exposent en 1898 à la galerie Durand-Ruel de New York. Childe Hassam est l'un des fondateurs de ce groupe, qui réunit notamment William Merritt Chase, Ernest Lawson, John Henry Twachtman , Winslow Homer, Thomas Eakins et, le plus connu d'entre eux, John Singer Sargent.
5. Espagne et Italie
Espagne
En Espagne, où certaines œuvres de Goya posaient déjà les prémices de l'impressionnisme, les adeptes de celui-ci sont souvent bien superficiels. Le régionalisme mondain de Joaquin Sorolla (1863-1923), le paysagisme horticole de Santiago Rusiñol (1861-1931) évoquent davantage Albert Besnard que Monet. De grandes qualités de coloriste, un sentiment très vrai de la nature apparaissent toutefois dans les paysages madrilènes ou tolédans d'Aureliano de Beruete y Moret (1845-1912), peintre écrivain et collectionneur, et dans les vues de la côte catalane de Dario de Regoyos (1857-1913), qui étudie à Bruxelles, exposa chez les XX et fut lié avec Edgar Degas et avec les écrivains Emile Verhaeren, Georges Rodenbach, ou Stéphane Mallarmé.
Italie
Des Italiens parisianisés, Federico Zandomeneghi (1841-1917), qui fréquente le groupe des « Macchiaioli », et Giuseppe De Nittis (1846-1884), participent directement au mouvement impressionniste dans le sillage de Degas.
Le très mondain Giovanni Boldini (1842-1931) applique avec brio le maniérisme whistlérien, mais, en Italie même, la composition par masses chromatiques des « Macchiaioli » s'oppose à la touche morcelée de Monet ou de Camille Pissarro ; l'« impressionnisme lombard », auquel appartient Filippo Carcano (1840-1914), est une adaptation du réalisme de Barbizon. Des apports impressionnistes apparaissent cependant chez Armando Spadini (1883-1925) et chez des paysagistes, tels Lorenzo Delleani (1840-1908) et Enrico Reycend (1855-1928), qui fait parfois penser à Sisley, mais c'est seulement avec le divisionnisme introduit par Vittore Grubicy de Dragon (1851-1920) qu'une technique tout à fait nouvelle s'imposera.
6. Pages critiques
– « M. de Nittis avait obtenu, en 1878, un grand succès avec ses vues de Londres, réunies au Champ de Mars, dans la section Italienne. Quelques-unes de ces toiles étaient dignes, en effet, qu’on les prônât. Des impressions de quartiers noyés de brumes, de ponts enjambant de mornes fleuves, fouettés par la pluie, immergés par la brume, étaient détachés avec entrain. Ici, avenue de l’Opéra, toute une série de pastels va nous arrêter et nous charmer, par un amusant ragoût de couleurs vives. » (Joris-Karl Huysmans, « Le Salon officiel en 1880 », L’Art moderne, 1883).
– « De Nittis, c’est le vrai et le talentueux paysagiste de la rue parisienne » (Edmond de Goncourt, Journal, 2 juin 1883).
– « Après le Bar de M. Manet, c’est la Danse espagnole de M. Sargent qui attire la foule et soulève l’admiration des plumitifs dont la spécialité est de distribuer, dans les feuilles imprimées, des éloges aux gens médiocres ; cette toile représente une grande femme qui se dégingande dans une robe blanche. Au fond, des Espagnols macabres raclent de la guitare et applaudissent. Ces figurines bizarres, la bouche tordue et les mains en l’air, sont absolument prises à Goya. Les charnures de la femme sont peintes par n’importe qui et les étoffes ressemblent, à s’y méprendre, à celle que M. Carolus Duran fabrique. » (Joris-Karl Huysmans, « Appendice », L’Art moderne, 1883).
7. Repères
7.1. Chefs-d’œuvre
– James Abbott McNeill Whistler, Variations en violet et vert, 1871, Paris, musée d’Orsay ;
– Federico Zandomeneghi, Maisonnette à Montmartre, 1880-1884, Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna ;
– Peter Severin Krøyer, Bateaux de pêche, 1884, Paris, musée d’Orsay ;
– Giuseppe de Nittis, Déjeuner au jardin, 1884, Barletta, museo de Nittis ;
– Georges Hendrik Breitner, Effet de clair de lune, vers 1887, Paris, musée d’Orsay ;
– Winslow Homer, Nuit d’été, 1890, Paris, musée d’Orsay ;
– John Singer Sargent, La Carmencita, 1890, Paris, musée d’Orsay ;
– Fritz Thaulow, Une fabrique en Norvège, 1892, peinture (pastel), Paris, musée d’Orsay ;
– Walter Sickert, La Maigre Adeline, 1906, New York, the Metropolitan Museum of Art ;
– Lovis Corinth, Walchensee, 1921, Berlin, Nationalgalerie.
7.2. Collections et institutions ouvertes au public conservant des œuvres
En France :
– Giverny, musée d’art américain (fondation Terra) ;
– Paris, musée d’Orsay.
En Europe et en Russie :
– Amsterdam, Rijkmuseum ;
– Barletta, museo de Nittis ;
– Berlin, Nationalgalerie ;
– Helsinki, Ateneum ;
– La Haye, Gemeentemuseum ;
– Londres, the Tate Gallery ;
– Londres, the National Gallery ;
– Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza ;
– Moscou, Galerie Tretiakov ;
– Oslo, Munch-Museet ;
– Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna ;
– Trente, Museo di arte moderna e contemporanea ;
– Turin, Galleria d’Arte Moderna.
Aux-États-Unis :
– Boston, the Isabella Stewart Gardner Museum ;
– Chicago, the Art Institute ;
– Merion, the Barnes Foundation ;
– New York, the Metropolitan Museum of Art ;
– Washington, the Phillips collection.