Francisco de Goya
Peintre et graveur espagnol (Fuendetodos, Saragosse, 1746-Bordeaux 1828).
L'art de Goya est celui d'une conscience visionnaire. À son époque, c'est essentiellement le graveur qui fut admiré. Le peintre et portraitiste, non moins exceptionnel, ne conquit sa vraie place qu'à partir de 1900, année de la première rétrospective d'une œuvre qui avait influencé tout le xixe siècle.
1. Les années d'apprentissage
Fils d'un maître doreur, Francisco de Goya fait son apprentissage de peintre, dans les années 1760, à Saragosse puis à Madrid. En 1770, il arrive à Rome, où il subit l'influence du néoclassicisme (Hannibal passant les Alpes).
Revenu en Espagne l'année suivante, il reçoit ses premières commandes : la décoration d'une voûte à la basilique du Pilar de Saragosse, puis celle de la chartreuse voisine d'Aula Dei. En 1773, il épouse Josefa, la sœur d'un peintre officiel, Francisco Bayeu, et, en 1774, il est invité à se rendre à Madrid par Anton Raphael Mengs, qui est alors le plus célèbre des peintres de la cour.
2. L'ambition d'un peintre de cour
La période qui va de 1776 à 1792 est celle de son ascension sociale. En 1776, Goya s'essaie à la gravure en exécutant des copies de Diego Velázquez, son véritable et principal maître. En 1779, il peint le portrait du roi Charles IIIet, en 1780, il est élu à l'unanimité à l'Académie royale des beaux-arts de San Fernando. Puis il se rend à Saragosse et travaille de nouveau pour la basilique du Pilar.
De retour à Madrid, il devient le peintre attitré de l'aristocratie, exécutant maints portraits empreints de force et de finesse, et, en 1786, le peintre du roi lui-même, tout en étant proche des intellectuels libéraux. Également paysagiste (la Pradera de San Isidro, 1788), il se consacre surtout aux cartons de tapisserie pour la manufacture royale de Santa Bárbara – délicieuse série sur des sujets populaires (1791).
3. Les « démons » du peintre
Atteint de surdité en 1792, Goya va véhiculer dans son art la détresse due au mal qui l'accable – et dont la cause est peut-être à rechercher dans les peintures à forte teneur en plomb. C'est l'époque des sombres scènes de la vie madrilène, comme le Préau des fous ou la série des Courses de taureaux , et celle des eaux-fortes rassemblées en 1799 sous le titre de Caprices, foisonnant de créatures morbides qui sont les démons de l'artiste. L'Inquisition ne saurait tolérer ces gravures qui portent atteinte à l'Église, si bien que Goya en interrompt la diffusion.
4. Portraits implacables ou scandaleux
Au même moment, il noue des liens avec la jeune duchesse d'Albe, dont il peint le portrait (1796). Au cours des années qu'il passe encore à Madrid, Goya décore la petite église San Antonio de la Florida de fresques dont le sujet est traité comme une scène de genre. Désormais premier peintre de la cour, il parachève son talent de portraitiste, notamment dans le tableau implacable de Charles IV et sa famille (1800).
Passant à un tout autre registre, il achève en 1805 La maja vestida et La maja desnuda, la première dissimulant la seconde, qui est le premier nu peint en Espagne depuis la Vénus au miroir de Velázquez, en 1650.
Goya peint ses deux fameux toiles pour le Premier ministre Manuel Godoy Álvarez de Faria, dont la maîtresse sert peut-être de modèle. La première Maja, vêtue mais lascivement couchée, semble déjà un défi aux bonnes mœurs dans la très catholique Espagne. Que dire alors de la seconde, en tout point identique mais entièrement nue ?
Même dû au pinceau d'un artiste très en vue dans le royaume, ce genre de peinture licencieuse ne peut être que condamné. Après la chute de Godoy, le tableau est confisqué, et Goya, qui a donné pourtant de nombreuses preuves de sa piété, est sommé de s'expliquer devant le tribunal de l'Inquisition en 1814.
5. De la guerre...
L'extension des guerres napoléoniennes à l'Espagne, en 1808, inspire à Goya une série d'eaux-fortes, intitulée les Désastres de la guerre – réquisitoire pathétique, voire insoutenable –, puis les tableaux magistraux d'El dos de mayo et El tres de mayo (1814), qui célèbrent la résistance des Espagnols. El tres de mayo, où les condamnés font face à un peloton d'hommes sans visage, est une composition dont l'audace et la modernité marquent un tournant dans la peinture européenne.
Goya peint cependant le portrait de quelques Espagnols que Joseph Bonaparte a pris dans son gouvernement et se livre à des études sur la vie populaire : l'Enterrement de la sardine, les Majas au balcon, les Forgerons . Retiré dans sa demeure de Carabanchel – la « maison du sourd » –, il entreprend de la décorer d'une série d'œuvres fantastiques, les « peintures noires » (1820).
6... à l'exil
L'absolutisme de Ferdinand VII pousse Goya à quitter l'Espagne. En 1824, il s'installe à Bordeaux, où, vivant parmi les exilés espagnols, il réalise de nombreux portraits, dont celui de l'auteur dramatique Moratín le Jeune. Il se familiarise aussi avec la lithographie, alors à ses débuts. Il fait encore deux courts séjours à Madrid (1826, 1827) et, peu avant sa mort, peint sa célèbre Laitière de Bordeaux, selon une technique renouvelée.
L'œuvre et la vie de l'un des plus grands maîtres espagnols s'achèvent ainsi en 1828 sur cette claire image : en dépit de ses quatre-vingt-deux ans, malade, sourd et commençant à devenir aveugle, Goya s'y exprime avec une liberté d'expression et de technique qui montre que son génie prend force et inspiration chaque fois qu'il touche à la vie.
7. Citations
« L'imagination, abandonnée par la raison, produit d'impossibles monstres ; lorsqu'elle est unie à elle, elle est la mère des arts et la source de leurs merveilles. »
Francisco de Goya, commentant l'une des planches de ses Caprices
« Nul n'a osé plus que lui dans le sens de l'absurde possible. »
Charles Baudelaire (Curiosités esthétiques).