causalité
(bas latin causalitas)
Lien qui unit la cause à l'effet.
PHILOSOPHIE
Depuis l'Antiquité, on s'est servi de la notion de causalité pour traduire le grec aition (ou aitia), qui s'employait à la fois pour désigner la responsabilité d'une action et pour signifier la raison d'être que nous pouvons assigner à un événement, une forme naturelle ou un énoncé du discours dont nous soutenons la vérité.
Dès les premiers textes philosophiques, la recherche des causes et la réflexion sur le mode d'action de la cause sont apparues comme l'un des principaux traits d'une pensée logique ou rationnelle, par opposition à une pensée mythique. C'est sans doute ce qui explique que nous soient parvenus de très anciens aphorismes, souvent énoncés de façon négative, auxquels la tradition a conféré valeur de principes et qui ont été interprétés comme l'affirmation d'une causalité universelle. Par exemple, celui-ci (attribué à Leucippe): « Aucune chose ne se fait n'importe comment, mais toutes se font par une raison et sous l'effet d'une nécessité », ou celui-là (de Démocrite) : « Rien ne naît de ce qui n'est pas ni ne se détruit en ce qui n'est pas. » Ce qui semble sous-jacent à de telles affirmations, c'est à la fois l'exigence de poser à propos de tout ce qui « est » ou « apparaît » la question : pourquoi ? et la possibilité de principe d'y répondre en déterminant une origine (en allemand « cause » se dit Ursache, terme qui connote explicitement la provenance) et un mode de dérivation. C'est là ce que la philosophie classique (Leibniz) appellera le « principe de raison suffisante », en en faisant le fondement de l'intelligibilité du réel et le postulat de l'attitude scientifique. Mais déjà Aristote définissait la science (épistémè) par la démonstration, et celle-ci par la connaissance de la cause (ou des causes).
Pourtant l'évidence de cette corrélation entre scientificité et recherche des causes peut et doit être mise en question. Ainsi, on peut soutenir que l'identification de « la cause » caractérise aussi bien la pensée magique et religieuse : il en va ainsi lorsqu'une collectivité cherche à individualiser le « mauvais objet » ou le « coupable » dont la présence serait cause de ses malheurs – d'où la pratique du « bouc émissaire ». Dans un autre ordre d'idées, la psychologie – et singulièrement la psychanalyse, comme on le voit dans l'analyse par Freud des « théories sexuelles infantiles » – montre dans l'insistance de la question pourquoi ? une forme de projection du désir de sécurité du sujet sur les choses plutôt qu'une reconnaissance de la réalité. Enfin se sont développés le formalisme scientifique et la méthode épistémologique de la notion de cause, du moins dans sa figure « métaphysique » traditionnelle.
Le naturalisme antique
Le naturalisme de la pensée grecque est la première grande synthèse rationaliste. C'est une conception du monde comme totalité organisée (cosmos), qui tente à la fois de penser la stabilité des objets de l'expérience, la régularité approximative des cycles temporels de leurs métamorphoses et la possibilité pour l'action humaine de s'y insérer efficacement. La causalité naturelle y est pensée avant tout comme l'ordre des générations et des destructions, qui permet de mettre à distance deux types de puissances « irrationnelles » : celles du hasard et celles du destin. C'est Aristote qui donne à cette conception son expression la plus cohérente, avec la théorie des « quatre causes », ou mieux des quatre aspects de toute causalité : formelle, efficiente, matérielle et finale. Toute génération ou production se caractérise par la forme qu'elle réalise, la matière qu'elle informe, le moteur qui l'effectue et la perfection à laquelle elle tend. Une telle conception associe étroitement causalité et finalité (la nature, dit Aristote, « ne fait rien en vain »), parce qu'elle voit dans le devenir des choses l'actualisation d'une certaine puissance, sur le modèle des opérations de la vie ou de l'art.
En son temps, la conception aristotélicienne de la causalité représente une position moyenne, qui réconcilie la nécessité naturelle et la contingence des affaires humaines. Deux radicalismes lui sont opposés : celui des matérialistes (Épicure), qui sont en même temps des philosophes de l'infinité des mondes et de la « rencontre » accidentelle des atomes ; celui des stoïciens, qui réhabilitent le destin, mais tentent de le penser rationnellement en faisant de ce dernier l'harmonie préétablie de multiples séries d'événements reliés par des rapports de « conséquence ». Ce qui assurera jusqu'à l'époque moderne la prééminence de l'aristotélisme, c'est la réinterprétation théologique de son finalisme dans le cadre d'une théorie de la création divine.
Le mécanisme classique
Ce qui ruine l'aristotélisme (du moins en tant que conception scientifique), c'est l'avènement de la science classique, dominée par le mécanisme, à partir des découvertes de Galilée et surtout de Newton. La physique nouvelle ne connaît qu'une seule espèce de causalité, la causalité « efficiente », ou plus exactement l'action des forces qui s'exercent sur des masses corporelles et sont proportionnelles à des accélérations. Toute causalité, dès lors, est représentable par une fonction mathématique et correspond à des transformations spatio-temporelles virtuellement reproductibles par l'expérience. La contrepartie de cette restriction de l'idée de nécessité causale, c'est la prévision calculable et la maîtrise technologique de la nature.
Comme philosophie scientifique, le mécanisme se heurte à deux sortes de difficultés. Les unes sont internes à la théorie physique. Elles tiennent à ce que l'idée classique de cause (liée à la représentation d'une force motrice) suppose celle de substance (comme l'avait montré Kant) et celle de continuité locale de l'action. Avec l'« indéterminisme » des mécaniques contemporaines, il devient possible de penser (et de mathématiser) une causalité qui ne porte pas sur des trajectoires individuelles continues, mais sur des « populations » d'événements discontinus. D'autres difficultés subsistent, qui concernent l'extension du modèle de la causalité physique à l'ordre des phénomènes de la vie, de l'histoire et du psychisme.
La critique positiviste
Parallèlement aux transformations du problème scientifique s'est poursuivi un débat philosophique sur la signification même du terme de « cause ». Hume est le premier à avoir montré que la « connexion nécessaire » des causes et des effets recouvre une simple habitude psychologique, engendrée par la régularité des phénomènes. Dans une perspective voisine, Auguste Comte a rejeté la catégorie de cause dans le champ de la métaphysique et caractérisé la positivité scientifique par l'émergence de la notion de loi (au sens d'un rapport invariant de simultanéité ou de succession : on dirait aujourd'hui une corrélation fonctionnelle). Le positivisme contemporain est l'héritier de cette double critique. Sa forme la plus précise est le probabilisme, lequel, associé à des concepts comme ceux de régulation, de système ou de communication, apparaît comme la base d'une nouvelle philosophie de la nature.