Libye : histoire

Insurgés libyens, printemps 2011
Insurgés libyens, printemps 2011

1. De la domination turque à l'occupation italienne

1.1. De l'Antiquité à l'occupation turque

Les Grecs désignaient sous le nom de « Libye » une vaste région d'Afrique aux limites indéterminées. Colonisé tour à tour par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Vandales et les Byzantins, le pays tombe dans l'orbite arabe à partir de 643. Tandis que la Cyrénaïque garde une certaine importance comme zone de passage entre Alexandrie et Kairouan, et est islamisée par des tribus nomades venues de Haute-Égypte (xie siècle) , la Tripolitaine passe dans la mouvance de Tunis ; la dynastie des Banu Ammar se maintient indépendante de 1327 à 1401.

Après l'occupation turque de Tripoli (1551), la piraterie d'État se développe sous l'impulsion de l'amiral turc Dragut. Pendant près de trois siècles, elle assure au pays l'essentiel de ses revenus et favorise l'émergence de la dynastie des Karamanli (Qaramanli) [1711-1835], qui se contentent de payer un tribut annuel au sultan. En 1835, les Turcs rétablissent leur autorité dans les provinces libyennes, sauf dans une partie de la Cyrénaïque, où s'installe la confrérie des Senousis. La reconquête ottomane demeure largement formelle et intervient au moment où se développe le puissant mouvement senousi.

1.2. L'occupation italienne

En 1911, l'Italie déclare la guerre à la Turquie et occupe la Libye, se heurtant à une très vive résistance des tribus arabes. Pendant la Première Guerre mondiale, l'Italie doit limiter son occupation à quelques points de la côte méditerranéenne. En 1919 et en 1920, les Italiens négocient un accord avec les Senousis ; mais, dès 1922, ils doivent lutter contre une révolte générale. Sous la direction du sénateur Volpi, du général De Bono et du maréchal Badoglio, la lutte se poursuit jusqu'en 1931. Les Italiens créent ensuite de nombreux centres de colonisation à proximité de la côte et intègrent la Libye au territoire national italien en 1939. Après la campagne de Libye (1940-1943), la France et l'Angleterre administrent le pays.

Pour en savoir plus, voir l'article campagne du Fezzan.

2. Depuis l'indépendance

Par le traité de paix de Paris du 10 février 1947, l'Italie renonce à ses droits, puis l'Organisation des Nations unies (ONU) décide, en 1949, d'accorder l'indépendance à la Libye, au plus tard en 1952. Une Assemblée nationale réunie en 1950 proclame roi Muhammad Idris al-Sanusi (→ Idris Ier), émir de Cyrénaïque, et promulgue une Constitution instaurant une monarchie héréditaire dans le cadre d'un État fédéral (7 octobre 1951). La Libye est déclarée indépendante le 24 décembre 1951.

En mars 1953, elle devient membre de la Ligue arabe. L'Angleterre reçoit en location plusieurs bases stratégiques, des aérodromes et le droit de maintenir des troupes dans le pays (1953). Les États-Unis édifient près de Tripoli la base de Wheelus Field, l'une des pièces maîtresses de la stratégie américaine en Méditerranée et au Moyen-Orient.

En 1963, une réforme constitutionnelle fait de la Libye un État unitaire, les trois provinces autonomes de Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan laissant la place à dix provinces. À l'extérieur, le royaume se range dans le camp des États arabes modérés.

Le développement de la production pétrolière s'accompagne d'accords avec les grandes compagnies. L'accord de 1965 avec Londres, confirmé en 1967, qui prévoit l'évacuation des troupes britanniques, marque l'affirmation du nationalisme libyen. En août 1967, un accord avec les États-Unis en vue de l'évacuation de la base de Wheelus Field confirme cette orientation.

2.1. La Libye du colonel Kadhafi

Le 1er septembre 1969 un groupe d'officiers pro-nassériens, dirigés par le capitaine Mouammar Kadhafi, renverse Idris Ier.

En quelques semaines, le nouveau « guide de la révolution », alors âgé de 27 ans, décrète la prise de contrôle de 51 % du capital des banques étrangères, promulgue une Constitution provisoire et lance la première de ses multiples tentatives d'union arabe. En quelques mois, il négocie l'évacuation des troupes britanniques et américaines, la nationalisation des biens italiens, prend le contrôle des sociétés pétrolières et fait relever les prix du brut. Il crée aussi des institutions calquées sur le modèle nassérien de parti unique.

L'installation de la Djamahiriyya arabe

Parallèlement aux tentatives, avortées, d'unions arabes avec l'Égypte et la Syrie (janvier 1972), avec la Tunisie (janvier 1974), puis de nouveau avec la Syrie (septembre 1980), le jeune Kadhafi, promu colonel, lance, à partir d'avril 1973, une « révolution culturelle » afin de modifier profondément les structures sociétales, politiques et religieuses de son pays.

Les premiers comités populaires sont organisés sur la base des cellules du parti unique, l'Union socialiste arabe (USA), fermement canalisée par le Conseil du commandement de la révolution (CCR), dans l'optique d'une démocratie directe, exposée dans les deux premiers volumes du « Livre vert » publiés par le colonel en 1975-1978. Le Congrès général du peuple (Parlement) est constitué et, le 2 mars 1977, une Djamahiriyya (République) arabe libyenne populaire et socialiste, décrétée « État des masses », est proclamée, après l'abrogation de la Constitution de 1969, à laquelle se substitue une « Charte du pouvoir populaire ».

Cette idéologie est économiquement autogestionnaire : le petit commerce est supprimé, la propriété immobilière est limitée, les professions libérales, le secteur privé et le salariat disparaissent. Au plan religieux, le corpus des hadith du Prophète est rejeté au bénéfice du seul Coran et de la seule charia. Le statut de la femme est modifié, la polygamie interdite.

La révolution culturelle, étroitement contrôlée (les comités populaires sont doublés de comités révolutionnaires), se heurte à de nombreuses réticences (tentative de coup d'État militaire en août 1975), que le régime s'efforce de faire taire : répression du mouvement étudiant en avril 1977, procès contre les dirigeants de l'ex-secteur privé en avril 1980, élimination des opposants en exil, regroupés dans un Front national de sauvegarde à Khartoum en 1981, puis dans un Front national pour le salut de la Libye en janvier 1992 à Londres.

Une politique extérieure agressive

Parallèlement à cette révolution interne, Kadhafi adopte, sur le plan extérieur, la théorie de la révolution mondiale.

Hostile à tout accord avec Israël (dès 1973, un avion libyen est abattu par la chasse israélienne au-dessus du Sinaï), le colonel se lance, à partir de 1975, dans une politique d'armement (achats d'armes à l'URSS et à la France), à laquelle il consacre 23 milliards de dollars en vingt ans.

Après les heurts frontaliers avec l'Égypte (juillet-décembre 1977), l'affaire du golfe de Gabès (1970-1982) et de Gafsa (janvier 1980) avec la Tunisie, et le saccage des ambassades françaises et américaines à Tripoli (1979), la Libye intervient dans tous les conflits (notamment en 1979 en Ouganda, puis au Soudan) et soutient tous les mouvements d'opposition armée en Afrique, au Proche-Orient et en Europe (IRA irlandaise et ETA basque, notamment). Ces engagements lui valent, à partir de 1981 (retrait de la compagnie Exxon) et surtout de 1986, l'opposition virulente des États-Unis, qui classent la Libye parmi les États soutenant le terrorisme international.

La politique africaine de Kadhafi ne donne pas de meilleurs résultats. En 1973, sur la base d'un litige colonial, la Libye envahit la bande d'Aozou, à sa frontière avec le Tchad. Le soutien actif de la Libye à des factions tchadiennes, le retrait français du Tchad en 1980, les projets d'union des deux pays en 1981 provoquent un conflit (juin 1983-mars 1987) qui aboutit à la déroute des armées libyennes et à un cessez-le-feu en septembre 1987. La bande d'Aozou ne sera replacée sous l'autorité tchadienne, par décision de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, qu'en 1994.

2.2. La fin des années 1980

Développement des tensions

La fin des années 1980 constitue un tournant difficile : la chute des cours du pétrole provoque une crise économique et financière (chute de 60 % des recettes pétrolières entre 1980 et 1988), une baisse de la production, la désorganisation de l'économie, tandis que l'aggravation des frustrations sociales constitue un terrain propice à la montée de l'islamisme.

La tension se développe, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur : tentative d'assassinat du colonel Kadhafi (8 mai 1984), rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, rapports tendus avec la Tunisie et l'Égypte (expulsion de 100 000 ressortissants de ces pays en septembre 1985), raid américain de représailles contre Tripoli et Benghazi, le 17 avril 1986, différend avec les Occidentaux lié à la construction d'une puissante usine d'armes chimiques à Rabta (1988), gel des avoirs libyens aux États-Unis et menace d'intervention militaire américaine, obstacles mis aux investissements libyens en Europe et en Asie, blocage des transactions commerciales, émeutes en janvier-mars 1989 (1 500 arrestations) et nouvelle tentative d'attentat islamiste en mai 1989.

La nécessaire réorientation du régime

Kadhafi, dont le pouvoir personnel s'est accentué, opte alors pour le pragmatisme économique et prône la libéralisation politique. En mars 1987, le petit commerce, les entreprises familiales, les services, les coopératives sont encouragés, les monopoles étatiques supprimés dans l'industrie et l'import-export, et le salariat autorisé, même si les salaires du secteur public restent bloqués. Parallèlement, l'armée est réorganisée, des prisonniers sont libérés, et les frontières sont rouvertes avec la Tunisie et l'Égypte.

L'effondrement du bloc socialiste prive la Libye de ses partenaires et l'oblige à améliorer ses relations avec l'Occident, avec les pays arabes modérés (fin du soutien au groupe palestinien d'Abou Nidal en octobre 1989), et avec le Maghreb : rapprochement avec le Maroc (entre 1984 et 1986), puis avec l'Algérie et la Tunisie (1987-1989), adhésion à l'Union du Maghreb arabe (UMA) en février 1989. Pour lutter contre son opposition islamiste, désormais dominante, Kadhafi crée en septembre 1989 un directoire de la révolution islamique mondiale.

Cette relative accalmie et l'amélioration de la situation intérieure (liée aux mesures d'austérité, de libéralisation, de privatisations et de remise en ordre de l'économie) permettent au Guide libyen de la révolution d'entreprendre une nouvelle lutte idéologique, en particulier contre la corruption et le gaspillage.

2.3. Les conséquences de l'affaire de Lockerbie et les effets de l'embargo

Entre septembre et décembre 1991, Paris, Londres et Washington mettent en cause l'État libyen dans les attentats contre un avion de la Pan Am, le 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie, en Écosse (270 morts) et contre un DC-10 de l'UTA, détruit le 19 septembre 1989 dans le désert du Ténéré (170 morts).

La Libye est soumise à un isolement diplomatique croissant. Tandis que les Occidentaux et 30 000 ressortissants de l'ex-Union soviétique quittent le pays, elle réduit ses ambassades, retire ses avoirs en Europe et fait front aux attaques juridiques menées en Italie et en Allemagne contre tous ceux qui sont poursuivis pour avoir traité avec elle. Le pouvoir alterne manifestations populaires (attaques des comités contre les ambassades), missions diplomatiques et condamnation du terrorisme (le soutien aux mouvements d'opposition est abandonné en juillet 1992). En gage de bonne volonté, Tripoli accepte de révéler à Londres la nature et les modalités de son soutien à l'IRA. Elle en appelle à la CIJ (mars 1992), et propose maintes solutions juridiques, toutes rejetées.

Le 31 mars 1992, le Conseil de sécurité de l'ONU décrète un embargo aérien et militaire contre la Libye : entré en vigueur le 15 avril, renouvelé tous les quatre mois, il est aggravé en novembre 1993 avec le gel des avoirs financiers libyens à l'extérieur (quelque 21 milliards de dollars), avant d'être étendu aux biens d'équipement pétroliers. Le pays tente de surmonter l'embargo en passant de nombreux accords de coopération avec la Tunisie, l'Égypte et Malte.

Ces années de crise sont marquées par des phases d'extrême tension. Le colonel Kadhafi remettant en cause la politique d'unité arabe, débaptise la Djamahiriyya, qui, d'arabe, redevient libyenne, et en appelle, en 1944 puis en 1997, aux masses arabes par-delà leurs gouvernements, dont il admet difficilement qu'ils observent eux aussi l'embargo. Les frontières sont à nouveau fermées avec la Tunisie et l'Égypte en janvier 1993. Entre 1993 et 1995, des milliers de travailleurs étrangers (Thaïlandais, Égyptiens, Tunisiens), décrétés « fardeaux économiques » sont expulsés du pays. Idem pour quelque 20 000 Palestiniens, en représailles à la signature des accords d'Oslo et pour plus de 350 000 migrants subsahariens (Soudanais, Tchadiens et Maliens).

2.4. Les étapes d'une réhabilitation internationale (1997-2010)

Une diplomatie habile et active

Dans ce contexte difficile, la diplomatie libyenne se révèle cependant très active et habile. Elle parvient à gagner à sa cause la Ligue arabe (qui décrète une levée partielle de l'embargo en septembre 1997), bientôt suivie par l'Organisation de l'unité africaine (OUA), qui décide à son tour une levée partielle à partir de juin 1998.

L'intense activité diplomatique déployée à l'égard des États africains aboutit à la création de la Communauté des États sahélo-sahariens (COMESSA), regroupant une dizaine de pays (1997). Les compagnies de nombreux pays asiatiques (Chine, Iran, Corée, bénéficaires de gros contrats), de la Russie et de certains pays européens, attirées par les fabuleuses réserves en hydrocarbures du pays, ont repris le chemin de Tripoli dès 1996. Des contacts sont noués avec Paris en 1997-1998 et des accords sont signés au niveau étatique au printemps 1998 avec l'Italie et l'Allemagne.

La levée de l'embargo

En février 1998, la CIJ, estimant que la convention de Montréal sur la sécurité aérienne n'enjoint pas à ses membres d'extrader leurs ressortissants, tranche en faveur de la Libye dans l'affaire de Lockerbie. Conforté, Tripoli annonce qu'il ne respectera plus l'embargo. En août, Washington et Londres finissent par se ranger à la proposition libyenne de 1992, consistant à faire juger les deux suspects libyens de Lockerbie à La Haye. La remise de ces derniers à la justice écossaise (avril 1999), entraîne la suspension par le Conseil de sécurité de l'ONU de l'embargo aérien et militaire ainsi que du gel des avoirs financiers libyens, immédiatement suivi par l'Union européenne qui, elle, maintient l'embargo sur les exportations d'armes.

Le retour de la Libye sur la scène internationale

Ces décisions amorcent le retour progressif de la Libye sur la scène internationale. Après avoir poussé à la création de l'Union africaine (UA) – dont l'acte constitutif est adopté en 2001 –, la Libye accède, grâce au soutien des États africains, à la présidence de la Commission des droits de l'homme de l'ONU (janvier 2003). Reconnaissant sa responsabilité dans l'attentat de Lockerbie et acceptant d'indemniser les familles des victimes (août 2003), elle voit la levée des sanctions qui lui sont imposées depuis 1992 (résolution 1506 du 12 septembre 2003 adoptée par 13 membres du Conseil de sécurité sur 15, la France et les États-Unis s'abstenant).

En décembre 2003, peu après la capture de Saddam Husayn par l'armée américaine en Iraq et la mise au jour par les services secrets américains du programme nucléaire libyen, la Libye s'engage à démanteler, sous contrôle international, ses programmes d'armes chimiques, biologiques et nucléaires. Elle ratifie l'année suivante le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et signe le Protocole additionnel au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

En avril, les États-Unis lèvent leurs sanctions et, dans la foulée de la visite officielle de Kadhafi à Bruxelles, l'UE lève ses sanctions économiques et son embargo sur les armes en octobre. Depuis, les échanges commerciaux reprennent avec ce pays décidé à financer de grandes infrastructures grâce à sa rente pétrolière. La normalisation des relations entre les États-Unis et la Libye intervient en mai 2006 avec l'ouverture d'une ambassade à Tripoli et le retrait de la Libye de la liste des États soutenant le terrorisme.

En 2007, la Libye, devenue un partenaire sur la scène diplomatique, accueille une conférence internationale pour le règlement de la crise au Darfour en avril-mai et se résout, en juillet, à libérer les cinq infirmières bulgares et le médecin palestino-bulgare qu'elle détenait depuis 1999. Après avoir participé au sommet UE-Afrique à Lisbonne, Kadhafi effectue une tournée européenne qui le mène en France, en Espagne et en Italie en décembre. En août 2008, un accord d'amitié et de coopération est signé à Benghazi avec l'Italie – l'ancienne puissance coloniale présentant ses excuses à l'État libyen et s'engageant à lui verser 3,4 milliards d'euros au titre de dédommagements.

La rencontre à Tripoli de la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, avec le Guide libyen (septembre 2088) – la première visite en Libye d'un chef de la diplomatie américaine depuis 55 ans – puis la nomination d'un ambassadeur américain, parachèvent le retour de l'ex-paria sur la scène internationale. Dans le même temps, la Libye siège, à compter du 1er janvier 2008, pour deux ans, au Conseil de sécurité de l'ONU.

En févier 2009, M. Kadhafi est élu à la présidence de l'UA, tandis qu'en juin, scellant l'accord historique signé avec l'Italie, il est reçu à Rome pour sa première visite officielle depuis 1969.

Le durcissement du régime

À l'intérieur cependant, le régime poursuit la lutte idéologique et démontre ses capacités de résistance. Aux multiples tentatives d'assassinat du Guide de la révolution (dont la dernière, en juin 1998, est démentie par les autorités), d'insurrection militaire ou islamiste, le régime répond par une fermeté implacable. En 1993, la répression de la rébellion des Warfallah, la plus importante tribu libyenne en nombre, vivant au centre-est du pays, fait 1 200 morts. À la longue litanie des arrestations (5 000 en juillet 1995 ; 1 217 en 1997), s'ajoutent les morts, les incarcérations sans jugement, les détentions illégales, le non-respect des conventions internationales sur les droits de l'homme, la poursuite des opposants en Grande-Bretagne, en Allemagne et même au Caire, où un ancien ministre des Affaires étrangères est enlevé en novembre 1993.

Un assouplissement intérieur relatif accompagne la réhabilitation de la Libye au plan international, avec la libération, en octobre 2002, de plus d'une centaine de prisonniers politiques. La politique de décentralisation, mise en œuvre en 1992, se radicalise en 2000 avec la suppression d'un grand nombre de ministères, dont les prérogatives sont confiées aux cellules provinciales des comités populaires.

En 2008, le chef d'État libyen franchit une nouvelle étape sur la voie de la « démocratie directe », en annonçant la suppression de toutes les administrations (à l'exception des ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de la Sécurité et de la Justice). Il entend ainsi lutter contre la corruption en donnant « directement l'argent aux gens pour gérer leurs affaires eux-mêmes ».

En septembre 2009, entouré de nombreux chefs d'État et de gouvernement, en majorité d'Afrique noire (la plupart de ceux qui ont participé au sommet exceptionnel de l'UA organisé la veille à Tripoli, dont Umar al-Bachir) mais aussi de certains pays arabes et d'Amérique latine (Hugo Chávez, invité d'honneur), Kadhafi célèbre avec faste ses 40 ans de pouvoir sans partage. La plupart des pays africains accueille avec soulagement la fin de son mandat à la tête de l'UA (janvier 2010), tandis que son projet d’instaurer des « États-unis d'Afrique » sous sa coupe est complètement éludé à l’occasion du 15e sommet de l'organisation à Kampala en juillet.

2.5. De l'insurrection à la guerre civile

À partir du 15 février 2011, prise en tenaille entre les révolutions tunisienne et égyptienne, la Libye est à son tour gagnée par un soulèvement de son peuple contre l'injustice à laquelle il est soumis depuis de longues années.

Provoquée par l'arrestation d'un avocat, Fathi Tirbil, qui, depuis 2008, milite pour la défense des droits de l'homme à Benghazi, deuxième ville du pays et bastion de l'opposition libyenne, l'insurrection se propage rapidement et gagne en quelques jours la totalité de l'est du pays. Les insurgés – des chabab (jeunes) – inexpérimentés, inorganisés et sous-équipés, reprennent le drapeau rouge, noir et vert de l'indépendance et veulent renverser le colonel Kadhafi.

Lâché par une partie des tribus et de l'armée, ce dernier choisit la répression brutale et menace l'opposition d'un « bain de sang ». Les exactions commises par les troupes gouvernementales, appuyées par des mercenaires subsahariens, s'avèrent particulièrement meurtrières à El Beida, Derna et Benghazi, et provoquent la démission de plusieurs responsables libyens (ministres de l'Intérieur et de la Justice, militaires et diplomates). Excluant d'emblée toute intervention sur le terrain, la communauté internationale déclare illégitime le régime du colonel Kadhafi, adopte des sanctions lourdes contre le pouvoir libyen (résolution 1970 du Conseil de sécurité de l'ONU, à l'initiative de la Grande-Bretagne et de la France, 26 février) et saisit la Cour pénale internationale (CPI) sur d'éventuels crimes contre l'humanité. La Libye est suspendue de la Ligue arabe puis du Conseil des droits de l'homme, par un vote unanime de l'Assemblée générale des Nations unies (2 mars).

L'opposition, regroupée depuis le 27 février au sein d'un Conseil national indépendant, dirigé par l'ex-ministre de la Justice, Moustapha Abdeljalil, appelle l'ONU à instaurer une zone d'exclusion aérienne en Libye.

Le clan Kadhafi, refusant d'abandonner le pouvoir, invoquant la thèse du complot et accusant al-Qaida d'être à l'origine de l'insurrection, contre-attaque. La Libye entre dans la guerre civile. Du 6 au 15 mars, les villes de Ben Jawad, Ras Lanouf, Brega, Ajdabiya sont, une à une, reprises par les forces loyales, ouvrant la route vers Benghazi.

2.6. De l'intervention internationale à l'effondrement du régime

Les frappes aériennes contre les forces du colonel Kadhafi

Alors que les combats se poursuivent dans la ville de Misrata, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte, le 17 mars, une résolution autorisant l'usage de la force contre le régime libyen. Présentée par la France et parrainée par la Grande-Bretagne, la résolution 1973, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère, autorise des opérations militaires afin de bloquer la contre-attaque des forces loyales au colonel Kadhafi et d'assurer la protection des populations civiles par la création d’une zone d’exclusion aérienne.

Dans la nuit du 19 au 20, les premiers bombardements par air et par mer frappent plusieurs objectifs dans l’ouest et dans l’est du pays, autour des villes de Zouara, Tripoli, Misrata, Syrte et Benghazi. La Ligue arabe, qui avait apporté son soutien à la résolution onusienne, émet des réserves de même que la Russie et la Chine, tandis que l’Union africaine appelle au cessez-le-feu et propose un plan de paix qui est cependant rejeté par la rébellion. Les opérations, sous commandement de l’OTAN et effectuées pour l’essentiel par les forces aéronavales françaises et britanniques, se poursuivent dans les semaines qui suivent. Mais si les rebelles, avec l’appui de conseillers militaires et d’armes occidentaux et arabes (du Qatar notamment), regagnent le terrain perdu (reprise de Misrata en mai), le conflit semble s’enliser malgré de violentes frappes aériennes sur Tripoli en juin.

Le Conseil national de transition (CNT)

Alors que le colonel Kadhafi – poursuivi pour crimes contre l'humanité par la CPI de même que son fils Saïf al-Islam et son beau-frère Abdallah al-Senoussi (chef des services de renseignements libyens) – continue de défier la communauté internationale, le groupe de contact chargé de la coordination politique de l’intervention internationale reconnaît, le 15 juillet, le Conseil national de transition (CNT, nouvelle appellation du Conseil national indépendant) comme autorité gouvernementale légitime de la Libye.

La chute du régime et la mort de Kadhafi

Fin juillet, une importante offensive est lancée dans l’ouest du pays à partir du Djebel Nefusa par des groupes ralliés plus tardivement à la rébellion. Ces derniers, organisés par la tribu des Zintan et conseillés, semble-t-il, par des forces spéciales britanniques, prennent le contrôle de la région dont la ville de Zaouïa (14 août) avant d’investir la capitale le 21 août, rejointes par des troupes en provenance de Misrata, et de s’emparer du quartier général de Kadhafi. La plus grande partie de ses infrastructures militaires étant désormais détruite (après quelque 7 500 missions visant plusieurs milliers de cibles depuis le début de l’intervention) et, dans l’incapacité d’organiser une contre-offensive, le régime s’effondre.

Tandis qu'une conférence internationale est organisée à Paris le 1er septembre pour préparer la transition, les opérations militaires se poursuivent contre les quelques foyers de résistance restants. Le 20 octobre, Mouammar Kadhafi est tué au cours de la prise de Syrte, sa région natale, où il s'était réfugié parmi ses derniers partisans.

3. La Libye après Kadhafi

Après le renversement du régime, de nombreux défis attendent les autorités provisoires. Afin d’éviter la fragmentation du pays sur des bases tribales et régionales, des institutions démocratiques susceptibles de représenter les différentes composantes de la société libyenne doivent être créées alors que des revendications en faveur d’un système fédéral et d’une autonomie des provinces se font jour. Le rôle de la charia (reconnue comme la « source principale de la législation » dans la déclaration constitutionnelle intérimaire d’août 2011) reste aussi à définir précisément, tandis que l’institution d’un système judiciaire légitime et le désarmement des milices sont nécessaires pour empêcher les règlements de compte ou la résurgence d’anciens conflits, qui ne tardent pas à se manifester. Un autre enjeu essentiel est la relance de l’économie, fondée sur l’exploitation pétrolière, en rompant avec la gestion clientéliste de cette rente pratiquée par le colonel Kadhafi.

3.1. Une transition politique chaotique

Après l’adoption d’un mode de scrutin mixte (majoritaire à un tour pour 120 sièges réservés aux candidats « indépendants » ; proportionnel pour 80 sièges attribués aux partis politiques), l’élection d’une Assemblée constituante en juillet 2012 est une étape décisive de la transition politique. Ces premières élections démocratiques de l’histoire de la Libye mobilisent environ 62 % des électeurs. Durement réprimée par le pouvoir précédent et beaucoup moins bien implantée dans la société que dans d’autres pays de la région (comme l’Égypte ou la Tunisie), la mouvance islamiste, officiellement représentée par le parti de la Justice et de la Construction (PJC, issu des Frères musulmans et présidé par Mohammed Sowan) n'obtient que 17 sièges. L’Alliance des Forces nationales, réunissant une cinquantaine de partis « libéraux » et menée par l’ancien « Premier ministre » du CNT (mars-octobre 2011), Mahmoud Jibril, arrive en tête avec 39 élus. Mais les allégeances politiques des 120 députés sans partis sont encore floues et des tractations doivent s’engager pour former une majorité et un nouveau gouvernement. Le 8 août, le président du CNT, Moustapha Abdel Jalil, transmet le pouvoir au Congrès général national (CGN) : l’une de ses tâches prioritaires est de lancer le processus d’élaboration d’une nouvelle Constitution.

Cependant, les autorités centrales ne parviennent pas à s’imposer et l’instabilité s’installe aussi bien dans le pays qu’à la tête d’un État encore à construire. Élu en août 2012 à la présidence du Congrès général national, Mohamed Magarief s’engage, en vain, à démanteler les nombreuses milices lourdement armées issues de la révolution ; mais il doit démissionner pour être remplacé en juin 2013 par Nouri Bousahmein en vertu d’une loi excluant de la vie politique toutes les personnes qui ont occupé des postes à responsabilité sous le règne de Kadhafi.

Premier ministre depuis octobre 2012, Ali Zeidan peine à former un gouvernement cohérent. Après le limogeage du ministre de la Défense, le chef d’état-major démissionne alors que la formation d’une armée nationale forte qui dépasse les clivages régionaux et tribaux se fait toujours attendre. Par ailleurs, en juillet, l’assassinat du militant politique anti-islamiste Abdessalem al-Mesmari provoque la colère contre les Frères musulmans accusés d’en être les instigateurs. En août, le vice-Premier ministre Awadh al-Barassi (membre du PJC), ainsi que le ministre de l’Intérieur, renoncent à leur tour à leur poste. La détérioration de la situation sécuritaire se traduit également par la paralysie de la production pétrolière. C’est dans ce contexte critique que le Premier ministre annonce, le 25 août, la création d’une commission pour le dialogue national.

3.2. Guerre civile, vide institutionnel et intrusion de l’« État islamique »

La Libye est encore loin d’une telle réconciliation : tandis que s’orientant vers une autonomie de fait, la Cyrénaïque et le Fezzan échappent au contrôle de l’État, en février 2014, seuls 45 % des électeurs participent, dans un climat d’intimidations, à l’élection des soixante membres de l’Assemblée constituante. En raison des violences et du boycott par les représentants de la minorité berbère, douze sièges ne peuvent être pourvus.

Le Premier ministre reste impuissant, notamment face aux fédéralistes de Cyrénaïque qui ont formé un « gouvernement autonome » (novembre 2013) et se sont rendus maîtres des terminaux pétroliers dans l’est du pays, tentant de mettre la main sur l’exportation de brut. À cette rébellion se mêlent les règlements de compte entre milices, les enlèvements de diplomates et les attentats attribués à des groupes islamistes radicaux qui profitent du vide institutionnel pour s’implanter.

En conflit avec un Parlement affaibli, divisé et délégitimé qui a prolongé son mandat dans l’attente de nouvelles élections, contrecarré par les Frères musulmans, Ali Zeidan est ainsi destitué par le CGN en mars 2014 et se réfugie en Europe. Le ministre de la Défense Abdullah al-Thani lui succède provisoirement, mais peine à s’imposer. Plusieurs fois démissionnaire, il est maintenu à son poste faute de successeur.

Le 21 avril, alors qu'en l'absence d’un accord entre factions parlementaires, le pays reste sans véritable direction, l’Assemblée constituante, censée lui donner en quatre mois de nouvelles bases institutionnelles, tient sa réunion inaugurale à El-Beida.

Dans cette anarchie, le général Khalifa Haftar prend, en mai, la tête d’une opération militaire contre les milices islamistes de Benghazi parmi lesquelles Ansar al-Charia. De violents affrontements opposent dès lors ces dernières aux forces réunies par cet ancien chef d’état-major de Kadhafi, exfiltré par les États-Unis avant son retour en Libye pour rallier la révolution en 2011.

Le 25 juin, sous la pression de ces événements, une nouvelle Chambre des représentants est finalement élue. Le scrutin ne mobilise cependant que 42 % des électeurs. Les islamistes sont donnés perdants, mais en l’absence de listes partisanes en vertu d’une nouvelle loi électorale adoptée en mars, les allégeances des nouveaux élus et les rapports de force sont difficiles à établir. L’élection de cette assemblée – dont les prérogatives ont par ailleurs été limitées au profit d’un président encore à élire –, ne réussit pas à empêcher la situation de se dégrader, les islamistes étant accusés par leurs adversaires d’attiser les conflits. Les combats s’intensifient ainsi à Benghazi et à Tripoli, notamment en vue du contrôle de l’aéroport, entre les brigades puissamment armées de Zintan et celles de Misrata alliées aux islamistes. Les États occidentaux présents dans le pays évacuent leurs ressortissants.

Le 4 août, loin de la capitale, le nouveau Parlement entre en fonctions en se réunissant à Tobrouk, dans la partie la plus orientale du pays. Le Premier ministre A. al-Thani est confirmé à son poste en septembre, alors qu’une coalition de milices (Fajr Libya, Aube de la Libye) menées par celles de Misrata s’est emparée de Tripoli. Ces forces et la minorité de députés islamistes du précédent Parlement refusent de reconnaître le verdict des urnes en prenant le contrôle des institutions, en ressuscitant le CGN et en désignant leur propre Premier ministre. Représentée ainsi par deux autorités rivales, dont celle issue des dernières élections, seule à être reconnue par la communauté internationale, mais déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême le 6 novembre, la Libye s’enfonce dans le chaos.

Au cours de l’année 2015, la situation devient d’autant plus explosive et incontrôlable que l’« État islamique » ou Daech – apparu en 2014 en Iraq et en Syrie – est parvenu à s’immiscer dans le conflit libyen à la faveur de l’anarchie régnante. Ses forces, composées de djihadistes libyens et étrangers engagés dans le conflit syro-irakien et de combattants locaux ralliés à sa cause, s’imposent à partir de juin 2015 dans le centre du pays autour du golfe de Syrte dont elles prennent le contrôle. Leur objectif est notamment de s’emparer des installations pétrolières (Ras Lanouf, Al-Sedra) situées plus à l’est.

Inquiet de cette nouvelle menace, le Conseil de sécurité de l’ONU, par l’intermédiaire du représentant spécial du Secrétaire général, tente d’inciter les dirigeants libyens à former un gouvernement d’entente nationale. Des négociations aboutissent ainsi à un fragile accord à Skhirat (Maroc), en décembre 2015, puis à la formation d’un « gouvernement d’entente nationale » (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj et soutenu par les Nations unies, mais dont la légitimité reste faible malgré le ralliement d’une partie des milices et la création d’un Haut Conseil d’État (HCE) à la place du CGN.

Au cours des mois suivants, à la tête de l’ « armée nationale libyenne » (ANL), le général Haftar s’impose comme un acteur incontournable en reprenant le contrôle de Benghazi et du « croissant pétrolier  », tandis que les djihadistes de Daech sont chassés de Syrte par les forces loyales au gouvernement de F. Sarraj.

La guerre civile en Libye n’échappe pas à l’implication plus ou moins directe de plusieurs puissances régionales rivales : le général Haftar et les autorités de Tobrouk bénéficient ainsi de l’appui de l’Égypte et des Émirats arabes unis qui partagent la même hostilité à l’égard des Frères musulmans, alors que le Qatar et la Turquie sont suspectés d’appuyer les milices islamistes de Fajr Libya.

Faute d’une autorité politique nationale reconnue par tous, l’impasse demeure. La Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL, conduite depuis juillet 2017 par Ghassan Salamé) ainsi que l’Union africaine tentent ainsi de débloquer la situation en proposant une nouvelle « feuille de route » en septembre 2017. Un dialogue s’ébauche entre le HCE et la Chambre des représentants en vue d’amender l’accord politique de 2015.

Insurgés libyens, printemps 2011
Insurgés libyens, printemps 2011
  • 2011 En Libye, début de l’insurrection populaire contre le colonel Kadhafi, immédiatement réprimée dans le sang (15 février).
  • 2011 Au terme de durs combats, les rebelles libyens entrent dans Tripoli (21-22 août), signant la chute du régime (Kadhafi, réfugié à Syrte, est tué le 20 octobre, alors qu’il tentait de fuir).