Espagne : vie politique depuis 1976
Dès la mort du Caudillo, le franquisme ne tarde pas à montrer que, sans Franco, ses jours sont comptés. Maintenu jusqu'au 1er juillet 1976 à son poste de président du gouvernement, Carlos Arias Navarro se révèle incapable de s'émanciper de la tutelle des ultras du régime et de promouvoir l'indispensable démocratisation. Alors que certains avaient cru voir en lui un instrument docile aux ordres des dignitaires franquistes, Juan Carlos, proclamé roi dès le 27 novembre 1975, décide de nommer un homme plus jeune, Adolfo Suárez, pour mener à bien la transition démocratique.
1. Adolfo Suárez et la transition démocratique (1976-1981)
Fort de son charisme, de sa détermination et de son sens politique, Adolfo Suárez engage résolument l'Espagne sur la voie du pluralisme et de la démocratie, sans heurt ni effusion de sang. Principales étapes :
– la loi sur la réforme politique ouvrant la voie au démantèlement des institutions franquistes (novembre 1976), approuvée par référendum (décembre),
– la légalisation des partis politiques (dont le parti communiste en 1977, son secrétaire général devenant dès lors l'allié le plus loyal du gouvernement),
– l'organisation des premières élections législatives libres (juin 1977),
– la reconnaissance des « nationalités » constitutives de l'Espagne et le lancement de la régionalisation (rétablissement de la Generalitat de Catalogne en 1977 avant l'approbation par référendum des nouveaux statuts d’autonomie pour cette région et pour le Pays basque en 1979),
– l'élaboration et l'adoption d'une « Constitution du consensus » (1978).
La transition démocratique s'épanouit aussi grâce à une monarchie en passe de devenir légitime aux yeux de tous les démocrates. Si elle règne sans gouverner, la Couronne espagnole s'affirme en effet comme un symbole d'unité et d'intégration. Elle assume un rôle d'arbitre et de modérateur qu'incarne avec brio le roi Juan Carlos. Son rôle se révèle décisif, notamment lors du putsch manqué du lieutenant colonel Antonio Tejero (23 février 1981), pour rappeler à l'idéal démocratique certains officiers supérieurs nostalgiques du coup de force.
Principal artisan, avec Juan Carlos, de la réussite de cette transition démocratique, Adolfo Suárez devient, néanmoins la cible de critiques de plus en plus nombreuses au sein de son parti, l'Union du centre démocratique (UCD) et démissionne le 26 janvier 1981. L'UCD désigne Leopoldo Calvo Sotelo, pour lui succéder. Après la dissolution des Cortes en août, les élections anticipées du 28 octobre donnent la majorité absolue aux socialistes, portant leur secrétaire général, Felipe González Márquez, à la présidence du gouvernement.
2. Le gouvernement de Felipe González Márquez (1982-1996)
La victoire du parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) marque le terme symbolique du processus de transition vers la démocratie qu'a connu l'Espagne après la mort de Franco. Le PSOE entend poursuivre et consolider la modernisation du pays avant de préparer son intégration dans la Communauté européenne. Ce programme modernisateur passe en premier lieu par la remise en ordre d'une économie durement touchée par la crise.
2.1. La modernisation
Sur les plans économique et sociétal
Fort de la majorité absolue dont il dispose au Congrès des députés et au Sénat, le gouvernement de Felipe González n'hésite pas à prendre des mesures qui pourraient se révéler impopulaires (dévaluation de la peseta et forte augmentation des prix des carburants en décembre 1982). Dans une situation de quasi-stagnation de l'économie et avec 16,2 % de la population active au chômage en 1982, le gouvernement annonce un plan de restructuration industrielle.
Il s'efforce, par ailleurs, d'adapter la législation aux mutations profondes que connaît la société espagnole (dépénalisation de la consommation des drogues douces, réforme libérale de la procédure pénale, loi sur l'avortement).
Les relations avec les communautés autonomes
Le gouvernement connaît un succès moindre dans ce domaine : l'annulation par le Tribunal constitutionnel, en août 1983, d'une partie de la « loi organique d'harmonisation du processus d'autonomie » le prive d'un atout important dans son projet de rationaliser le fonctionnement de cet « État des autonomies » qu'est devenue l'Espagne.
Au Pays basque – la plus conflictuelle des communautés autonomes –, le terrorisme de l'ETA militaire continue de menacer le système démocratique. Des tentatives de négociation ont lieu à la fin de 1984, mais elles échouent devant l'intransigeance des séparatistes.
Sur le plan international
La ténacité du gouvernement se voit récompensée le 12 juin 1985 par la signature du traité d'adhésion (qui devient effective le 1er janvier 1986) à la Communauté économique européenne. Mais, si l'entrée dans la CEE fait l'objet d'un consensus quasi général en Espagne, la question du maintien dans l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) – à laquelle l'Espagne a adhéré le 30 mai 1982 – s'avère plus délicate.
Prenant le contre-pied de son propre parti, et d'une opinion publique majoritairement neutraliste, F. González en défend le principe sous certaines conditions (non-intégration dans la structure militaire, dénucléarisation du sol espagnol, démantèlement d'une partie des bases américaines). Lors d'un référendum organisé le 12 mars 1986, le « oui » l'emporte avec une majorité de 52 % des voix. Cependant le parti communiste espagnol (PCE) s'efforce de rassembler les organisations qui ont fait campagne pour le « non » en créant la coalition Izquierda unida (la Gauche unie).
2.2. Le temps des difficultés (1989-1996)
Dégradation du climat social et économique
Après l'entrée de l'Espagne dans la CEE, la coopération s'intensifie entre les gouvernements espagnol et français dans le domaine de la lutte antiterroriste, mais les initiatives prises de part et d'autre ne parviennent pas à mettre un terme aux attentats de l'ETA.
Dans le même temps, le gouvernement doit faire face à une dégradation du climat social. La reprise de la croissance économique ne justifie plus, aux yeux des syndicats le maintien de la politique de rigueur. La contestation sociale s'amplifie et une grève générale paralyse entièrement le pays le 14 décembre 1988. Bien que disposant encore d'une confortable majorité à l'issue des législatives d'octobre 1989, le PSOE commence sa troisième législature gouvernementale sous des auspices moins favorables que sous les précédentes. Après avoir connu entre 1987 et 1989, une croissance remarquable (5 % par an), l'économie entre en 1990 dans une période de surchauffe qui oblige le gouvernement à accentuer sa politique de rigueur.
Terrorisme basque et scandales politico-financiers
Par ailleurs, le terrorisme de l'ETA continue de sévir après l'échec des négociations engagées au début de 1989 entre le gouvernement et l'organisation terroriste. Les résolutions sur le droit à l'autodétermination adoptées par les Parlements catalan (décembre 1989) et basque (février 1990) illustrent les difficultés que rencontre la participation de ces deux régions dans un ensemble national cohérent.
Bien que son image ait été ternie par la révélation de scandales politico-financiers le concernant, le PSOE résiste relativement bien lors des élections législatives anticipées du 6 juin 1993. Même s'il perd la majorité absolue, il précède encore – avec 38,6 % des suffrages et 159 députés – le parti populaire (PP, nom pris en janvier 1989 par l'Alliance populaire et dirigé depuis avril 1990 par José María Aznar) qui enregistre néanmoins une très forte progression (34,8 %).
Discrédit du gouvernement
Reconduit au poste de président du gouvernement, F. González forme un cabinet minoritaire mais ce gouvernement voit son crédit politique largement entamé par le développement, en 1994, de nouvelles affaires de corruption (aux élections européennes de juin, le PSOE est devancé de près de dix points par le PP). En 1995, d'autres affaires font éclater au grand jour les dysfonctionnements de la démocratie et de l'État espagnols.
Le redémarrage de la croissance économique et l'exercice réussi de la présidence de l'Union européenne ne parviennent pas à enrayer la défaite du PSOE aux élections législatives anticipées de mars 1996.
3. Le gouvernement de José María Aznar (1996-2004)
Ne disposant pas de la majorité absolue (le PP obtient 156 députés contre 141 au PSOE, qui se maintient mieux que prévu, tandis que la Gauche unie progresse très peu [10,58 %]), José María Aznar est contraint de passer des accords avec les nationalistes catalans, basques et canariens pour accéder à la présidence du gouvernement en mai.
3.1. La lutte contre l'ETA
Le gouvernement Aznar se trouve rapidement confronté à la reprise des attentats meurtriers perpétrés par l'ETA, mais refuse d'engager des négociations avec l'organisation séparatiste basque tant que celle-ci n'aura pas renoncé à la violence. Après la signature en septembre 1998 du pacte d'Estella (ou de Lizarra) prônant une solution négociée du conflit basque par Herri Batasuna (HB), – sa vitrine politique – et les partis nationalistes basques modérés – dont le PNV et Eusko Alkartasuna (EA, gauche nationaliste) –, l'ETA, se trouvant dans un complet isolement, annonce une « trêve unilatérale et illimitée ».
Madrid engage en novembre des pourparlers avec l'organisation séparatiste et se dit prête à accéder à l'une de ses principales revendications, le regroupement au Pays basque de plusieurs détenus etarras.
Un processus de paix bloqué
Issu des élections régionales d'octobre 1998, le nouveau gouvernement basque autonome rassemble les nationalistes modérés du PNV et d'Eusko Alkartasuna. Mais Juan José Ibarretxe (PNV, élu en décembre à la tête du gouvernement basque, signe en mai 1999 avec les radicaux de Herri Batasuna, rebaptisé Euskal Herritarrok (EH), un pacte de gouvernement plaçant le Pays basque sous la tutelle absolue des nationalistes. À quelques jours du premier anniversaire de la trêve décrétée par l'ETA, le processus de paix est bloqué : le gouvernement Aznar reprochant aux séparatistes basques de chercher moins à obtenir la paix que l'indépendance ; l'ETA accusant Madrid d'« ignorer le problème politique basque en ne cherchant qu'une solution politico-militaire ».
Durcissement des positions
La reprise des attentats par l'organisation séparatiste fait 30 morts entre janvier 2000 et les élections législatives anticipées de mai 2001. Celles-ci sont marquées par la victoire des nationalistes modérés : le PNV allié à Eusko Alkartasuna remporte 42,3 % des suffrages, soit 33 sièges sur 75. Le parti populaire et son allié dans un pacte antiterroriste les socialistes du PSOE, ensemble, ne recueillent que 40,8 % des suffrages. Le grand perdant est Euskal Herritarrok, qui ne conserve que la moitié de ses députés.
À la faveur de la campagne internationale contre le terrorisme lancée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement Aznar obtient satisfaction au sommet européen de Laeken avec l'adoption d'un mandat d'arrêt européen et l'inscription de l'ETA sur la liste des organisations terroristes, à l'exception toutefois de Batasuna (nom pris en juin 2001 par Herri Batasuna), dont la justice espagnole prononce, en août 2002, la suspension puis, en mars 2003, l'interdiction et la dissolution.
3.2. Présidentialisme et tensions : un gouvernement isolé
Sur le plan intérieur, le gouvernement Aznar engage une politique d'austérité assortie d'un vaste plan de privatisations, son ambition étant de tout mettre en œuvre pour satisfaire aux critères de convergence européens. Fort d'un bilan économique satisfaisant (entrée réussie dans la zone euro le 1er janvier 1999, chute sensible du chômage, croissance supérieure à la moyenne communautaire), le PP gagne les élections législatives de mars 2000, et obtient la majorité absolue aux Cortes, face à un PSOE déchiré par les querelles intestines. Cependant, des réformes impopulaires, auxquelles s'ajoute le présidentialisme pratiqué par J. M. Aznar, contribuent à l'isolement du gouvernement.
En juin 2002, l'ampleur de la grève générale provoquée par l'adoption d'une réforme radicale du système d'allocation-chômage contraint le gouvernement à faire machine arrière.
En décembre, sa mauvaise gestion de la catastrophe écologique provoquée par le naufrage, au large des côtes de Galice, du pétrolier libérien le Prestige, jette dans les rues de Saint-Jacques-de-Compostelle quelque 200 000 personnes réclamant la démission du président du gouvernement. La réintroduction de l'enseignement obligatoire de la religion dans le cursus scolaire et l'exaltation des valeurs de l'« unité sacrée » de l'Espagne suscitent étonnement et crispation.
Enfin, le soutien inconditionnel de l'Espagne aux États-Unis dans leur intervention contre l'Iraq de Saddam Husayn, en dépit de l'hostilité massive des Espagnols, du refus énergique de l'opposition – mais également des alliés traditionnels du parti populaire, catalans et canariens –, accentue son isolement.
3.3. Atlantisme
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Aznar durcit sa politique à l'encontre de Cuba et invite ses partenaires européens à le suivre dans cette voie. Fidel Castro rompt aussitôt ses relations diplomatiques avec Madrid (novembre 1996). Seize mois plus tard, la décision de nommer un nouvel ambassadeur à La Havane (avril 1998) – attestant d'un revirement radical de politique – ouvre la voie à une normalisation des relations entre les deux pays.
Soutien à la guerre en Iraq
Après avoir adhéré à la structure militaire intégrée de l'OTAN, l'Espagne s'engage dans l'opération « Force alliée » menée contre la République fédérale de Yougoslavie en mars 1999. Puis, pressentant l'émergence de nouveaux équilibres après le 11 septembre 2001, J. M. Aznar opère un rapprochement avec les États-Unis de George W. Bush et se montre, depuis le début de la crise irakienne, l'un des plus fermes soutiens de Washington. Le chef du gouvernement espagnol est ainsi à l'origine – avec son homologue britannique Tony Blair – de la Lettre des Huit proclamant leur appui au secrétaire d'État à la Défense Donald Rumsfeld, face à la « vieille Europe » menée par l'Allemagne et la France. Enfin, profitant du poids inespéré que lui donne l'entrée de l'Espagne au Conseil de sécurité en janvier 2003, il rejoint le camp belliciste américano-britannique.
Réticences européennes
Au premier semestre 2002, l'Espagne a assuré la présidence de l'Union européenne et géré, notamment, le passage à l'euro. Favorable à l'élargissement de l'UE mais inquiète du renforcement de l'axe franco-allemand, elle s'oppose, suivie en cela par la Pologne, au projet de Constitution européenne et réclame le maintien de la répartition du pouvoir établie dans le traité de Nice. Elle revendique, par ailleurs, la mention des racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de la Constitution.
Accrochage avec le Maroc
Les relations de l'Espagne avec le Maroc se dégradent. Après l'occupation par quelques soldats marocains de l'îlot du Persil (Perejil en espagnol, Leïla en arabe), situé à l'ouest de l'enclave espagnole de Ceuta et qui bénéficie depuis 40 ans d'un statut excluant son occupation par l'un des deux pays, l'Espagne, soutenue par l'UE et l'OTAN, exige le retrait inconditionnel des soldats marocains et lance l'opération militaire « Recuperar Soberanía ». Finalement le 22, l'Espagne et le Maroc signent sous l'égide des États-Unis un accord prévoyant le retour au statu quo antérieur.
3.4. Les attentats terroristes de mars 2004 et la victoire des socialistes
Le 11 mars, l'explosion de plusieurs bombes à bord de trains de banlieue de la ligne Guadalajara-Madrid tue près de 200 personnes et en blesse plus de 1 900. L'hypothèse d'une implication de l'ETA est aussitôt privilégiée par le gouvernement Aznar, sans que la piste du terrorisme islamiste soit écartée. Le lendemain, plus de huit millions d'Espagnols manifestent à travers tout le pays pour dénoncer le terrorisme.
Le 14, les élections législatives, marquées par une forte participation (77,2 %), voient, – contrairement à tous les pronostics émis pendant la campagne – la victoire du PSOE de José Luis Rodríguez Zapatero, qui, avec 42,5 % des suffrages, remporte 164 sièges aux Cortes, frôlant la majorité absolue. Le PP (37,7 % des voix, 148 sièges) est sanctionné pour son engagement dans la guerre en Iraq aux côtés de la coalition américano-britannique et pour sa persistance, interprétée comme une manipulation de l'opinion publique, à désigner l'ETA comme responsable des attentats, malgré la présence d'indices matériels dénonçant l'implication de réseaux islamistes.
Les partis nationalistes enregistrent, quant à eux, une forte poussée, notamment en Catalogne et au Pays basque.
4. José Luis Rodríguez Zapatero et la « nouvelle voie » (2004-2011)
4.1. De nouvelles mesures sociales
Élu le 16 avril à la majorité absolue à la présidence du gouvernement, le socialiste José Luis Rodríguez Zapatero forme un gouvernement paritaire et prend diverses mesures sociales : augmentation des retraites, loi contre la violence machiste à l'encontre des femmes, réforme du marché du travail. Certaines suscitent les vives protestations de l'opposition conservatrice. Il en est ainsi de la régularisation de quelque 600 000 immigrés clandestins, le projet de loi organique sur l'éducation (suspendant l'essentiel des dispositions prises par son prédécesseur), la légalisation du mariage homosexuel avec droit à l'adoption, le projet de loi sur la mémoire historique visant à reconnaître les victimes du franquisme, .
4.2. Les relations avec les autonomies
La renégociation des statuts des communautés autonomes, engagée par un gouvernement qui se veut attentif aux sensibilités régionalistes et partisan d'une « Espagne plurielle » et plus fédérale, constitue l'un des dossiers les plus délicats de la législature.
Une gestion délicate et des avancées
À cet égard, l'ambitieuse réforme du statut d'autonomie de la Catalogne est vivement contestée par le PP de Mariano Rajoy – qui l'estime contraire à la Constitution – et rencontre également des réticences au sein du camp socialiste. Un accord de principe intervient en janvier 2006 entre l'exécutif espagnol et la majorité des partis de Catalogne permettant de résoudre deux sujets particulièrement litigieux – la reconnaissance de la « nation » catalane et la répartition des impôts nationaux prélevés en Catalogne. Les Catalans approuvent par référendum le nouveau statut d'autonomie le 18 juin.
Dans cet esprit, et en vertu d'un accord conclu en décembre 2004 entre le gouvernement et les conseillers des 17 communautés autonomes, ces dernières obtiennent le droit d'être représentées au Conseil des ministres de l'UE. En revanche, le projet de « libre association du Pays basque à l'État espagnol » – dit « plan Ibarettxe » (du nom de son initiateur, le lehendakari Juan José Ibarretxe) – considéré comme une proposition indépendantiste non représentative de l'ensemble des Basques, est catégoriquement rejeté par les deux grands partis nationaux (février 2005).
En février 2007, les Andalous, à la suite des Catalans, adoptent par référendum un nouveau statut d'autonomie élargie, qui accroît les compétences de la région en matière fiscale.
L'épineuse question basque
Toutefois le principal défi du gouvernement Rodríguez Zapatero est de parvenir à une « fin dialoguée de la violence » au Pays basque, processus immédiatement pressenti comme « long, dur et difficile ». Des contacts secrets sont noués avec la vitrine politique de l'ETA, Batasuna. Cette dernière, affaiblie par de multiples arrestations et saisies d'armes tant en Espagne qu'en France, cherche à obtenir la levée de son interdiction prononcée en 2003 afin de se présenter aux élections municipales de 2007 ; elle propose que la résolution du conflit basque passe par la « voie politique » et invite J. L. Rodríguez Zapatero à être « le Tony Blair espagnol » en négociant une « démilitarisation multilatérale au Pays basque » (janvier 2005).
En mai, le Congrès (hormis les députés du PP) autorise le gouvernement à entamer un dialogue avec les indépendantistes, à condition que ceux-ci renoncent à la violence. Le 22 mars 2006, l'annonce par l'ETA d'un « cessez-le-feu permanent », en contrepartie de deux revendications principales – l'autodétermination du peuple basque et la reconnaissance d'un grand Pays basque qui comprendrait l'Euskadi, la Navarre et le Pays basque français –, ouvre un espoir de règlement.
Toutefois, l'opposition conservatrice accuse le gouvernement d'être secrètement disposé à faire des concessions politiques à l'organisation séparatiste et se joint aux manifestations massives organisées par les associations de victimes du terrorisme (juin). Les négociations avec l'ETA débutent le 29 juin, mais, dès le mois d'août, parallèlement à l'intensification des violences de rue au Pays basque, l'organisation séparatiste dénonce l'impasse du processus. Processus auquel l'attentat qui fait deux morts dans le parking de l'aéroport de Barajas le 30 décembre 2006 porte un coup d'arrêt brutal.
4.3. Le second gouvernement Zapatero (2008-2011)
Tirant profit d'une campagne électorale centrée sur le problème basque, le PP devance de peu le PSOE aux élections municipales de mai 2007 et obtient notamment la majorité absolue à Madrid, mais totalise moins de conseillers municipaux. Après cet avertissement, le gouvernement Zapatero semble aborder les élections législatives de mars 2008 en position de faiblesse, d'autant que la campagne électorale est brutalement close deux jours avant le scrutin par l'assassinat d'un ancien conseiller municipal à Mondragón, au Pays basque, par l'ETA. Néanmoins, le PSOE l'emporte avec 43,8 % des suffrages et 169 députés devant le PP de Mariano Rajoy, qui, avec 39,9 % des voix et 154 sièges, sort renforcé.
Bipolarisation politique
Marquées par une forte participation, ces élections confirment la bipolarisation croissante de la scène politique espagnole au détriment des petits partis. Les centristes de Convergència i Unió (CiU) sauvent la mise en conservant leurs 10 sièges de députés malgré un tassement en nombre de voix mais la gauche indépendantiste catalane (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC, rebaptisée désormais Esquerra) chute sous le seuil nécessaire de 5 députés pour former un groupe parlementaire. Au Pays basque, la relégation du PNV au poste de deuxième force régionale est un camouflet pour la politique indépendantiste de l'actuel président Ibarretxe. Ne disposant toujours pas de la majorité absolue au Congrès malgré les progrès enregistrés dans quinze des 17 communautés, J. L. Zapatero ne parvient à être réinvesti qu'au second tour de scrutin, le 11 avril, avec le soutien d'une majorité simple composée des seuls députés socialistes.
L'impact de la crise
À partir de septembre 2008, l'Espagne est atteinte de plein fouet par la crise financière et économique internationale qui entraîne une envolée du taux de chômage à plus de 17 % et révèle les fragilités du « miracle économique » espagnol. Le gouvernement réagit rapidement en adoptant un Plan de soutien de l'économie et de l'emploi : un fonds public spécial doté de 3 milliards d’euros est créé dès décembre afin de soutenir certains secteurs stratégiques et créateurs d’emploi durable. Outre l'industrie automobile, la recherche-développement-innovation dans les secteurs de l'énergie et de la santé, l'environnement (infrastructures hydrauliques, protection du littoral, reforestation) et le bâtiment sont directement concernés par ce programme. Zapatero doit cependant procéder à un remaniement ministériel d'envergure (avril 2009) incluant le remplacement du ministre de l'Économie.
À partir de 2010, la situation s'aggravant, le gouvernement adopte, sous la pression de l'UE et des marchés financiers, un sévère plan d'austérité comprenant une augmentation de la TVA et d'importantes réductions des dépenses publiques, dont une baisse de salaires des fonctionnaires ainsi que la suppression de certaines aides sociales.
Regain du parti populaire
Fort de sa victoire en Galice en mars 2009, de son succès relatif aux élections européennes de juin, et de sa progression dans les sondages, le PP se mobilise sur le terrain des valeurs (en s'engageant notamment contre la libéralisation du droit à l'avortement). Mais lui-même mis en cause dans un scandale de corruption impliquant plusieurs de ses dirigeants, il ne parvient pas à mettre en difficulté les socialistes qui enregistrent de leur côté une nette victoire au Pays basque en ravissant (avec l'appui du PP), pour la première fois depuis 1980, la présidence du gouvernement basque en mai.
La très large victoire du PP aux élections locales et régionales du 22 mai 2011, la plus éclatante depuis le retour de la démocratie en Espagne, est moins le fruit d’une adhésion à ses valeurs que celui d’une déception de l’électorat de gauche et d’un vote sanction contre le gouvernement Zapatero et sa politique économique et sociale. Le PP remporte ainsi la majorité absolue des sièges dans 8 communautés autonomes sur les 13 concernées par ce scrutin, arrachant au PSOE son fief de la Castille-la Manche et le menaçant, à un siège près, dans celui d’Estrémadure. De plus, avec 37 % des suffrages aux municipales, il devance de 10 points les socialistes qui perdent de nombreuses municipalités dont Barcelone et Séville.
Le mouvement des « Indignés »
Parallèlement, révélant un malaise profond dans la société espagnole, une mobilisation inédite de jeunes – les plus touchés par le chômage – s’est développée dans le pays depuis le 15 mai, en dehors des partis et par le biais d’Internet. Rejetant la classe politique dans son ensemble ainsi que les mesures d’austérité, réclamant une « démocratie réelle », ce mouvement, baptisé « les Indignés », a probablement contribué indirectement à la déroute des socialistes.
C’est dans ce contexte, très critique, que J. L. Zapatero renonce à se présenter pour un troisième mandat avant d’annoncer en juillet des élections législatives anticipées pour le 20 novembre 2011.
4.4. L'action extérieure : une forte implication
Coopération internationale
Dès son arrivée à la présidence du gouvernement, J. L. Rodríguez Zapatero affiche sa volonté de rompre avec la politique suivie par son prédécesseur. Il décide de retirer les troupes espagnoles d'Iraq et, voulant redonner à l'Espagne « sa place dans l'Europe », nomme à la tête de sa diplomatie Miguel Ángel Moratinos, ex-représentant de l'UE au Proche-Orient.
En septembre, il propose à la tribune de l’ONU une « Alliance des civilisations », projet de coopération culturelle entre pays occidentaux et arabo-musulmans, destiné à combattre le terrorisme par d'autres moyens que par les armes ; un projet auquel souscrit en premier lieu la Turquie et qui reçoit l'aval de l'ONU ainsi que le soutien de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), de la Ligue arabe et de nombreux États.
Rapprochement avec l'Algérie et le Maroc
En Méditerranée, l'Espagne mène une politique de rapprochement avec l'Algérie et le Maroc, pays avec lequel la question migratoire constitue une source traditionnelle de tension. Dès avril 2004, J. L. Rodríguez Zapatero lui réserve sa première visite officielle à l'étranger. Cette ouverture est bientôt suivie par l'envoi d'une force conjointe hispano-marocaine en Haïti (juillet), la visite du roi d'Espagne au Maroc (janvier 2005) puis celle de J. L. Rodríguez Zapatero à Ceuta et Mellilla (première visite d'un chef de gouvernement espagnol depuis 25 ans), après les drames d'août et de septembre 2005 ayant coûté la vie à plusieurs candidats à l'immigration.
À cet égard, le contrôle des flux migratoires retrouve toute son actualité avec la crise économique et après les mesures de régularisation des travailleurs clandestins, Madrid tend à s'aligner sur les politiques restrictives adoptées ailleurs en Europe : en octobre 2009, une loi plus sévère concernant les immigrés sans papiers et le regroupement familial est ainsi votée par les députés.
Cependant, dès 2004, le gouvernement Zapatero fonde également son action extérieure sur une politique active de coopération dans le cadre des Objectifs du millénaire des Nations unies.
Relation privilégiée avec l'Amérique latine
Malgré ses liens historiques avec son ancienne puissance coloniale, l’Amérique latine ne représente qu'environ 5 % du commerce extérieur de l'Espagne, les principaux partenaires restant le Mexique, le Brésil, l'Argentine et le Chili, auxquels se joignent aussi le Venezuela et Cuba qui prennent une part croissante dans ces échanges depuis le début des années 2000.
Par ailleurs, les investissements directs espagnols, qui ont considérablement augmenté dans les années 1990 pour culminer en 1999-2000 – en particulier dans les secteurs de l’énergie, de la finance, des télécommunications et des infrastructures – se stabilisent au cours de la décennie suivante. L’intensification des échanges et la protection des intérêts économiques nationaux figurent ainsi parmi les objectifs de la diplomatie espagnole qui, afin d'écarter l'accusation de néocolonialisme, veut aussi promouvoir une politique tournée vers l'aide au développement (dont l'Amérique latine est le premier destinataire) et la cohésion sociale.
Bien que méfiante face à d'éventuelles dérives populistes, Madrid accueille favorablement l'élection de gouvernements de gauche entre 2004 et 2008 mais n'affiche officiellement aucune préférence. Évitant de privilégier certains États en fonction de leur couleur politique, Madrid prône avant tout le multilatéralisme, la légalité internationale, le développement durable, la défense des droits humains et la lutte contre la pauvreté, des orientations réaffirmées lors du 15e sommet ibéro-américain de Salamanque en 2005.
Jouant le rôle d'intermédiaire entre l'Europe et l'Amérique latine, l'Espagne s'efforce d'infléchir la position de l'UE à l'encontre de Cuba après la condamnation par le régime castriste de 75 dissidents au printemps 2003. Alors que les sanctions sont levées par l'UE en juin 2008, M. Á. Moratinos se rend pour la seconde fois à Cuba en octobre 2009.
De même, le gouvernement Zapatero entend normaliser ses relations, très dégradées sous la présidence de J. M. Aznar, avec Caracas, une amélioration que traduit la visite d'Hugo Chávez à Madrid en juillet 2008 puis en septembre 2009. Son proche allié au sein de l'Alternative bolivarienne pour les Amériques, le Bolivien Evo Morales, effectue de son côté son premier voyage officiel en Espagne en septembre 2009.
Engagement européen
Premier pays à approuver la Constitution européenne par référendum (20 février 2005, ratification par le Congrès et le Sénat en avril et mai), l'Espagne souhaite retrouver une relation active avec l'Union européenne et, au sein de celle-ci, avec l'Allemagne et la France.
Le ralliement de Madrid à la « vieille Europe », incarnée par le couple franco-allemand, renforce le camp des partisans d'une UE capable de faire mieux entendre sa voix dans le monde, notamment vis-à-vis des États-Unis. Pour mener à bien cette politique européiste, l’Espagne peut compter sur la présence du tandem ibérique Solana-Barroso – le premier représente l'UE pour les questions de politique étrangère et de sécurité commune depuis 1999, le second préside la Commission européenne depuis 2004 –, ainsi que sur Josep Borrell, tête de liste du PSOE aux élections de juin et président du Parlement européen entre juillet 2004 et janvier 2007.
Madrid s'engage dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (visite de J. L. Rodríguez Zapatero à Londres, peu après les attentats du 7 juillet 2005) et en faveur du processus euroméditerranéen. En juin et en juillet 2008, le Congrès des députés puis le Sénat ratifient le traité de Lisbonne dont la mise en application, après son entrée en vigueur prévue le 1er décembre 2009, est la tâche prioritaire de la présidence tournante espagnole durant le premier semestre 2010.
5. Mariano Rajoy et le retour au pouvoir du PP (2011-2018)
5.1. Large victoire du PP
En 2011, la crise économique et financière persistante qui frappe en premier lieu l’Europe du Sud, a également raison – après le Portugal et la Grèce – du gouvernement socialiste de J. L. Zapatero, lourdement sanctionné aux élections législatives anticipées du 20 novembre. Avec plus de 44 % des voix et une très large majorité absolue des sièges au Congrès des députés comme au Sénat, le parti populaire retrouve le niveau qu’il avait atteint en 2000, lorsque J. M. Aznar l’avait emporté pour son second mandat. Pour le PSOE, une alternative aux mesures d’austérité – avec notamment des coupes drastiques dans les dépenses sociales incluant une très faible indemnisation du chômage – semble pourtant exclue. En inaugurant cette politique, le parti semble avoir fortement brouillé son identité. Ses voix s’étant également dispersées au profit de Izquierda unida (Gauche unie, près de 7 % et 11 députés), des indépendants de l’UPD (Union Progrès et démocratie), des petites listes ou de l’abstention (en hausse de 2 %), le PSOE ne recueille que 29 % des suffrages environ, soit l’audience gagnée en 1977, au tout début de son ascension après la chute du franquisme.
5.2. Austérité et mobilisation sociale
Un an après le retour au pouvoir du parti populaire, l’Espagne reste dans une situation économique critique : la récession se poursuit avec un repli du PIB estimé à 1,4 % en 2012 et un recul équivalent prévu pour 2013, tandis que le taux de chômage, le plus élevé en Europe après celui en Grèce, dépasse 25 % depuis juin 2012 et frappe particulièrement les jeunes (plus de 54 %).
L’objectif principal du gouvernement Rajoy est la réduction du déficit public (9,4 % du PIB en 2011) qu’il entend ramener progressivement à 3 %. Si la dette espagnole est relativement plus réduite que celle d’autres pays de la zone euro, elle augmente fortement (après plus d’une décennie de baisse), notamment après la restructuration du système bancaire (menacé à la suite de l’effondrement du secteur immobilier), placée sous la supervision de la « troïka » UE-BCE-FMI. De nouvelles coupes budgétaires dans les dépenses sociales de l’État sont décidées parallèlement à des augmentations de la TVA, à des baisses de salaires dans la fonction publique et à une réforme du Code du travail destinée à faciliter les procédures de licenciement. Par ailleurs, le rôle de certaines communautés autonomes dans la dégradation des finances publiques espagnoles conduit à prévoir une plus grande transparence de leurs comptes, quitte à renforcer les prérogatives de Madrid pour en corriger les dérives.
Si le PP ne semble pas menacé – il arrive en tête des élections andalouses de mars (les socialistes conservant le contrôle de la communauté en alliance avec la gauche unie) et se maintient à la tête du gouvernement de Galice en octobre –, la politique d’austérité provoque deux grèves générales en un an, dont celle du 25 septembre qui voit la naissance de la « Coordination 25 S », tandis que la gauche nationaliste sort renforcée des élections au Pays basque (octobre) et en Catalogne (novembre).
Le 20 décembre, une « marche funèbre » est organisée par la « Coordination 25 S » en réponse à l’adoption par le Congrès du budget 2013 : celui-ci prévoit de nouvelles économies, avec à la clef une diminution des allocations chômage, du budget de la santé et de l’éducation.
En récession en 2012 et 2013, l’économie espagnole montre des signes de timide reprise en 2014. Les restrictions budgétaires ont permis la réduction en un an du déficit de plus de 10 % du PIB à 6,8 % en 2013, la dette publique atteignant 96 % du PIB au deuxième trimestre 2014. Au plus haut en 2013 (26 %) le taux de chômage entame une légère décrue pour atteindre 24 % en septembre 2014, le chômage des jeunes et de longue durée se maintenant à des niveaux très élevés.
5.3. La crise du bipartisme espagnol
Les élections européennes de mai 2014
Cette situation sociale conduit surtout les Espagnols à se détourner du PP mais aussi du PSOE lors des élections européennes de mai. Le parti populaire et les socialistes perdent ainsi respectivement 2,6 et 2,5 millions de voix. Les deux partis dominants n’atteignent pas la majorité des suffrages alors qu’ils en avaient rassemblé près de 81 % en 2009.
L’un des vainqueurs du scrutin est le mouvement citoyen Podemos (« Nous pouvons ») créé en janvier et conduit par l’universitaire Pablo Iglesias. Avec près de 8 % des voix, ce nouvel acteur de la vie politique espagnole qui plonge ses racines dans le mouvement des « Indignés », arrive en quatrième position derrière la coalition de « la gauche plurielle » (formée autour de IU et des Verts, 10 %) mais devant l’UPD (6,5 %) et la Coalition pour l’Europe (5,4 %).
Outre cette remise en cause sans précédent du bipartisme espagnol, de nouveaux scandales de corruption et la mobilisation des indépendantistes en Catalogne fragilisent également le gouvernement Rajoy à quelques mois des échéances électorales de 2015.
Les élections locales de mai 2015
Les élections locales de mai 2015 (municipales et, pour 13 communautés autonomes sur 17, régionales) confirment cette crise des partis traditionnels et constituent un sérieux revers pour le parti populaire qui, bien qu’arrivé en tête des scrutins, perd environ 2,4 millions de voix. L’écart qui le séparait du PSOE se resserre fortement, de 10 % des voix en 2011 à 2 %, et les deux partis ne rassemblent plus que 52 % de l’électorat. Le PP perd également la majorité absolue des sièges qu’il détenait dans huit communautés en lice dont celles de Cantabrie, Castille-la-Manche, Castille-et-León, Madrid, Murcie et Valence.
Les nouvelles forces émergentes représentées par les plateformes citoyennes forgées autour de Podemos et ses alliés ou dans le sillage de mouvements sociaux locaux, mais aussi, dans une moindre mesure, par Ciudadanos, plus modéré et centriste, sont les grands vainqueurs de ce scrutin dont pâtissent également les socialistes, l’UPD et IU.
Ne se présentant sous son nom qu’aux élections régionales, la formation de P. Iglesias se hisse ainsi à la troisième place dans les communautés, remportant de 8-9 % (Estrémadure, Cantabrie) à 19-20 % des suffrages (Aragon, Asturies, Madrid), talonné dans certaines régions par Ciudadanos ou « parti de la citoyenneté ». Ce dernier, présidé par Albert Rivera, fondé en Catalogne en 2006 dans une optique anti-indépendantiste, élargit son audience dans le pays en obtenant 5,5 % des voix au total et jusqu’à 11-12 % dans les communautés de Madrid, de Valence et de Murcie outre la province de Barcelone.
Aux municipales, la percée des « indignés » est plus particulièrement retentissante à Madrid, fief du PP depuis 1991, où l’ex-juge et militante des droits de l’homme, Manuela Carmena, candidate de la liste Ahora Madrid (formée par divers groupes issus de la société civile dont Podemos), est élue maire, le 13 juin, avec le soutien du PSOE. Il en est de même à Barcelone dont la mairie revient à la candidate de la gauche alternative (Barcelona en comú-Entesa), Ada Colau, avec l’appui des socialistes et de la gauche républicaine (ERC). À Saragosse et à Cadix, les listes citoyennes s’imposent également tandis qu’à Valence, la coalition Compromís (Verts, nationalistes de gauche) alliée au PSOE et à la liste civile Valencia en comú, chasse le PP du pouvoir municipal qu’il détenait depuis 1991. La Galice est aussi gagnée par ce mouvement, notamment à La Corogne.
Contribuant ainsi à la mutation de la démocratie espagnole et promus au rôle d’arbitre dans plusieurs assemblées territoriales, ces nouveaux acteurs, novices en politique, doivent désormais relever le défi de l’exercice du pouvoir et se préparer aux élections législatives à venir.
Les élections législatives de décembre 2015 et juin 2016
Les élections nationales de décembre 2015 semblent bien signer la fin du bipartisme espagnol. Avec 28,7 % des voix et 123 sièges, le Parti populaire perd sa majorité absolue au Congrès des députés, tandis que le Parti socialiste continue de reculer avec 22 % des voix et 90 sièges. Podemos et ses alliés se hissent à la troisième place avec 69 députés devant Ciudadanos qui obtient 40 sièges. Mais le pays devient ingouvernable. L’absence de majorité et l’échec des négociations entre les différents partis conduisent à un nouveau scrutin en juin 2016.
Malgré les affaires de corruption impliquant certains de ses dirigeants, le PP récupère alors légèrement (33 % des suffrages et 137 sièges) tandis que la gauche alternative (71 députés), ne parvient pas à dépasser le PSOE (85 sièges) contrairement à ce qu’elle escomptait.
Après dix mois de crise gouvernementale, grâce à un accord avec Ciudadanos (32 sièges) prévoyant notamment un « pacte anticorruption » et à l’abstention d’une majorité de socialistes, désormais en proie à une crise profonde, M. Rajoy est ainsi reconduit à la tête d’un gouvernement minoritaire en octobre.
La crise catalane
Le nouveau bras de fer engagé entre l’État central et la Catalogne, dirigée par Carles Puigdemont depuis janvier 2016, conduit à une grave crise politico-institutionnelle qui atteint son apogée avec le référendum favorable à l’indépendance (déclaré illégal) et la mise sous tutelle de la communauté autonome en octobre 2017. Les élections régionales de décembre et la nouvelle victoire, toujours très serrée, des indépendantistes permettent d’apaiser provisoirement les tensions. Avec un peu plus de 4 % des suffrages et 4 députés, le PP est le grand perdant du scrutin. Le parti Ciudadanos (anti-indépendantiste) arrive en tête avec plus de 25 % des suffrages.
5.4. La chute de M. Rajoy
Le jugement rendu par l’« Audience nationale » à l’issue de l’enquête sur un réseau de corruption impliquant le PP (une affaire révélée en 2009-2010) entraîne la chute prématurée du fragile cabinet de M. Rajoy en juin 2018. Pour la première fois depuis l’instauration de la démocratie espagnole en 1976-1978, un gouvernement est renversé à la suite du vote d’une motion de censure (qui doit être constructive selon l’article 113 de la Constitution). Déposée par le PSOE, dont le secrétaire général (depuis mai 2017) Pedro Sánchez devient ainsi président du gouvernement, la motion recueille 180 voix contre 169 et une abstention. Cette alliance hétérogène réunit notamment, outre les socialistes, Podemos et les partis nationalistes basque et catalan. P. Sánchez forme un gouvernement politiquement homogène et très féminisé, mais minoritaire et voué à être de courte durée, dont un des principaux défis est la stabilisation de la situation en Catalogne.
6. Un retour au pouvoir incertain du PSOE (2018-)
Soucieux de reconquérir l’électorat de gauche, P. Sánchez imprime à la politique gouvernementale une orientation plus sociale. Parmi les mesures adoptées figurent notamment l’augmentation du salaire minimum de 22 % (passé de 740 à 900 euros), l’augmentation des retraites et des salaires des fonctionnaires ou l’accès aux soins des immigrés sans papiers. Toutefois, il ne peut remettre en cause le cadre fixé par la loi de Finances en vigueur et les engagements européens de l’Espagne. Bien qu’inférieure à l’objectif fixé, la réduction du déficit public se poursuit (2,5 % du PIB en 2018), tandis que le projet de budget pour 2019 prévoit de le porter à 1,3 % tout en tournant le dos à l’austérité par une importante augmentation des dépenses publiques et une redistribution fiscale.
Par ailleurs, le gouvernement veut trancher la question épineuse et controversée du mausolée de Franco dans le Valle de los Caídos par le transfert des restes du dictateur, un sujet qui divise encore la société espagnole.
P. Sánchez tente surtout de parvenir à un compromis avec les indépendantistes catalans. Cette tâche s’avère délicate alors que s’ouvre à Madrid (février) le procès d’une douzaine des leurs, pour la plupart en détention préventive depuis plusieurs mois, dont l’ex-vice-président de la Généralité et président de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Les concessions accordées par le Premier ministre, dont une hausse des investissements publics dans la communauté autonome, ne suffisent cependant pas pour conserver le soutien des deux partis nationalistes catalans représentés au Congrès, qui refusent d'approuver la nouvelle loi de Finances, obligeant P. Sánchez à convoquer des élections législatives anticipées le 28 avril 2019.
6.1. La résurgence de l’extrême droite et les élections d'avril 2019
Créé en 2013, le parti Vox, dirigé depuis 2014 par Santiago Abascal, un ancien représentant de second rang du PP ayant commencé sa carrière au Pays Basque, est le fruit d’une dissidence au sein de la frange la plus droitière de ce parti. Alors que Vox n’avait obtenu que 0,20 % des voix aux élections législatives de 2016, il fait sa première percée aux élections andalouses de décembre 2018 en recueillant près de 11 % des suffrages et 12 sièges, appuyant l’accession du parti populaire, allié à Ciudadanos, à la présidence de la région, détenue par le PSOE depuis 1982.
Ce parti d’extrême droite mêle un nationalisme espagnol virulent et centralisateur, dirigé tout particulièrement contre le séparatisme catalan, un antiféminisme et une homophobie ouvertement affichés visant les mesures adoptées depuis plusieurs années en matière de droits des femmes et des minorités LGBT, ainsi qu’une hostilité à la politique migratoire. L’irruption de Vox dans le paysage politique incite alors la nouvelle direction du PP à durcir son discours pour tenter de contrer ce nouveau concurrent, tandis que Ciudadanos, prêt à pactiser avec Vox, montre les limites de son centrisme.
À la gauche du spectre politique, le parti Podemos traverse quant à lui une crise assez sévère, due à des divisions internes, et aborde les élections anticipées en position de faiblesse.
Les divisions de la droite, l’affaiblissement de la « gauche alternative » (qui perd autour d’un million de voix) et la hausse de la participation (71,7 % contre 66,5 % en 2016) favorisent le PSOE, grand vainqueur du scrutin : avec près de 29 % des suffrages, il obtient ainsi 123 sièges devant le Parti populaire, qui s’écroule avec seulement 66 députés et 16,7 % des voix, talonné par Ciudadanos (15,9 % et 57 sièges). Le parti Vox en profite comme prévu : siphonnant une partie de l’électorat de droite (avant tout du PP), il fait son entrée à la Chambre avec 10,2 % des suffrages et 24 sièges. De leur côté, Podemos et ses alliés reculent, obtenant 42 sièges, tandis que les indépendantistes catalans renforcent leur position.
6.2. Les élections de mai et novembre 2019
Si le PSOE semble conforté, le 26 mai, aussi bien par le scrutin européen (33 % des voix et 20 sièges) que par les élections municipales et régionales, il ne parvient cependant pas à former un gouvernement. De nouvelles élections législatives doivent ainsi être organisées le 10 novembre sur fond de fortes tensions en Catalogne à la suite de la condamnation, le 14 octobre, de neuf dirigeants indépendantistes à de lourdes peines de prison, pour sédition.
Cette quatrième consultation nationale et troisième retour anticipé aux urnes en quatre ans ne clarifie pas la situation politique du pays. Toujours en tête avec 28 % des voix, le PSOE recule de 3 sièges tandis que le PP remonte, avec 20,8 % de voix et 88 députés. La percée de l’extrême droite s’amplifie : Vox se hisse à la troisième place avec 15 % des suffrages et 52 sièges devant Podemos et ses alliés (12,8 % et 35 sièges). Réduit à 10 sièges avec 6,8 % des voix, le grand perdant du scrutin est Ciudadanos, dont le chef annonce sa démission.
Un accord de gouvernement est tout d’abord signé par le PSOE et Podemos, tandis que la très grande fragmentation du Parlement nécessite des négociations avec les autres formations pour permettre l’investiture de P. Sánchez. Le 7 janvier 2020, la confiance est obtenue d’extrême justesse (par 167 voix pour, 165 contre et 18 abstentions) à l’issue du second vote (nécessitant une majorité simple), grâce notamment à l’abstention des indépendantistes de l’ERC.
6.3. Le gouvernement de coalition PSOE-Podemos
Le premier gouvernement de coalition espagnol depuis le retour de la démocratie en 1976 (et depuis l’éphémère Front populaire de 1936) peut être formé. Le PSOE conserve la plus grande partie des postes ministériels tandis que ses alliés de gauche obtiennent outre une des quatre vice-présidences, confiée au leader de Podemos, P. Iglesias (également ministre « des Droits sociaux et de l’agenda 2030 »), les ministères du Travail et de l’économie sociale, de l’Égalité, de la Consommation ainsi que celui des Universités.