Aztèques
en espagnol Aztecas
Peuple autochtone de l'Amérique moyenne qui fonda un empire au Mexique au xve s.
HISTOIRE
Introduction
Dans leur langage, dialecte du nahuatl, leur nom (Azteca) signifie le peuple d'Aztlán, origine légendaire de la tribu. Ils s'appelaient aussi Mexica (prononcer « Méchica »). Leur capitale Mexico a donné son nom au pays tout entier.
Selon leur histoire traditionnelle, ils s'étaient établis à Aztlán vers le milieu du iie s. et y vécurent plus de mille ans. Dans la seconde moitié du xiie s. (1168 ?), ils quittèrent ce pays, qu'on peut situer au nord-ouest de l'actuel Mexique ou au sud-ouest des États-Unis actuels, pour se diriger vers le sud en une longue migration, conduits par les prêtres soldats dits « porteurs de dieux », conformément aux oracles de la divinité tribale, Huitzilopochtli. Environ un quart de siècle plus tard, on les retrouve dans la région de Tula, à 100 km au nord de Mexico ; ils y demeurèrent vingt ans. C'est là sans doute qu'ils commencèrent à s'imprégner des croyances et des mœurs de l'ancienne civilisation toltèque, dont Tula avait été la capitale. Ils célébraient alors pour la première fois, sur la montagne Coatepec, le rite du Feu nouveau.
Tantôt guerroyant, tantôt s'alliant par des mariages aux populations en place, les Aztèques pénétrèrent au xiiie s. dans la vallée centrale du Mexique par la région nord-ouest (Zumpango, Xaltocán). Ils y trouvaient des cités-États fortement organisées et belliqueuses. Leur première tentative de création d'un État indépendant s'acheva en désastre : le chef aztèque élevé à la dignité de souverain, Huitzilihuitl Ier, fut fait prisonnier et sacrifié. Devenus les vassaux de cités puissantes, ne possédant en propre aucun territoire, les Aztèques finirent par se réfugier dans les îlots et sur les bas-fonds marécageux de la grande lagune. Ils y fondèrent en 1325 un village de cabanes en roseaux, Mexico, appelé aussi Tenochtitlán (« lieu où le cactus pousse sur le rocher ») : leur dieu leur avait donné l'ordre de s'établir là où ils verraient un aigle, perché sur un cactus, en train de dévorer un serpent. C'est seulement cinquante ans plus tard qu'ils purent enfin s'organiser en État. Leur premier souverain, Acamapichtli, se rattachait à une famille noble d'origine toltèque.
Des onze souverains aztèques, quatre ont péri de mort violente : Chimalpopoca, assassiné sur l'ordre du roi d'Atzcapotzalco ; Tizoc, probablement empoisonné ; Moctezuma II, tué par les Espagnols ou par un projectile lancé par un guerrier aztèque ; Cuauhtemoc, pendu par Cortés.
Empire et société aztèques
Le temps de la conquête
Ce qu'on appelle couramment l'« Empire aztèque » prit naissance en 1428-1429 sous la forme d'une triple alliance. Les trois États de Tenochtitlán, Texcoco et Tlacopan s'associèrent après la défaite de la dynastie militariste d'Atzcapotzalco, qui exerçait son hégémonie sur la vallée centrale. En fait, le tlatoani aztèque étant investi des fonctions de généralissime des forces confédérées, c'est lui qui devint rapidement le chef suprême, l'empereur du Mexique conquis. Après avoir soumis d'abord l'ensemble de la vallée, les Aztèques et leurs alliés étendirent leur domination vers l'est (plateau de Cholula-Puebla, côte du Golfe), vers le sud (Morelos, côte du Pacifique), vers le nord et le nord-ouest (plateau de Toluca, région de Tula et de Xilotepec, cours inférieur du Pánuco), vers le sud-est (Oaxaca, isthme de Tehuantepec, province maya du Soconusco). C’est ainsi que, ayant succédé à Itzcoatl en 1440, Moctezuma Ier, fondateur de la grandeur mexica et alors âgé de quarante ans, entreprit très rapidement une guerre – qui dura jusqu'à l'arrivée des Espagnols – contre les peuples nahuas qui vivaient de « l'autre côté des volcans », à l'est, dans la vallée de Puebla, où se trouvaient les seigneuries indépendantes de Tlaxcala et Cholula. Ce combat perpétuel, surnommé la « guerre fleurie », n'avait pas pour but de vaincre ni de soumettre, mais de capturer le plus de prisonniers possible, afin de les offrir en sacrifice aux dieux. En effet, le sang humain, « eau précieuse » rituellement versée, permettait seul, dans la conception religieuse et la cosmogonie aztèques, la survie des dieux et la perpétuation du monde.
D'autres guerres entreprises par Moctezuma Ier et ses successeurs eurent pour objectif d'étendre la domination aztèque sur les riches contrées tropicales du Sud, de l'Ouest et de l'Est qui regorgeaient de plumes chatoyantes, de pierres précieuses, de coton, de cacao: autant de denrées fort appréciées de la noblesse aztèque et absentes de la vallée de Mexico. Moctezuma Ier soumit peu à peu des villes importantes et des régions entières jusqu'aux confins du Guatemala actuel. Sous les règnes d'Ahuitzotl (1486-1502) et de Moctezuma II (1502-1520), la suprématie aztèque se renforça encore.
Une économie florissante
Au début du xvie s., l'Empire rassemblait des populations appartenant à des ethnies très variées (Nahuas, Otomis, Huaxtèques, Mixtèques, Matlaltzincas, Zapotèques, etc.), groupées pour les besoins de l'administration en 38 provinces tributaires. Chaque province devait verser aux fonctionnaires aztèques (calpixque) des quantités déterminées de denrées alimentaires, tissus, métaux précieux, plumes d'oiseaux tropicaux, matériaux de construction, caoutchouc, jade, armes, etc., selon des barèmes soigneusement tenus à jour par des scribes. En dehors de cette obligation, les cités et villages conservaient une large autonomie, s'administraient selon leurs coutumes et pratiquaient leurs cultes particuliers. Quelques villes, aux frontières, étaient placées sous l'autorité de gouverneurs aztèques appuyés par des troupes de garnison. Certains petits États, amis (Teotitlán) ou hostiles (Tlaxcala), enclavés dans l'Empire, avaient conservé leur indépendance.
Si l'organisation administrative du tribut avait pour résultat de faire affluer à Mexico d'énormes richesses, le commerce, rendu possible par l'effacement des frontières et la paix intérieure, était intense entre la capitale et les provinces. Des corporations de négociants (pochteca), influentes et prospères, détenaient le monopole de ces échanges, tandis que le petit commerce et les métiers les plus divers étaient exercés par des artisans, marchands et marchandes de légumes, poissons ou gibier, menuisiers, sauniers, fabricants de nattes et de paniers, porteurs d'eau, tisserandes, etc. Ceux qui pratiquaient l'artisanat de luxe (orfèvrerie et joaillerie, ciselure, art de la mosaïque de plumes) formaient des corporations respectées. Il en était de même des médecins, sages-femmes, guérisseurs et guérisseuses, tandis que l'opinion et la loi condamnaient sévèrement les sorciers et magiciens.
Mexico, capitale symbole de la puissance aztèque
À mesure qu'augmentaient les ressources de la tribu dominante, la capitale, simple village lacustre à l'origine, s'était transformée en une cité de plusieurs centaines de milliers d'âmes. Au centre, sur l'île rocheuse désignée par l'oracle divin, se dressaient les pyramides, les temples, les palais impériaux. Les quatre quartiers, subdivisés en nombreuses fractions (calpulli), s'étendaient sur un millier d'hectares le long de canaux et sur l'île voisine de Tlatelolco. La cité était reliée à la côte du lac par trois chaussées surélevées. Une digue longue de 16 kilomètres, construite sous le règne de Moctezuma Ier, la protégeait à l'est contre l'irruption des eaux de la grande lagune. Deux aqueducs amenaient l'eau potable à la ville depuis Chapultepec et Coyoacán. En raison de la prospérité générale (freinée de 1451 à 1456 par de mauvaises récoltes), la population de la capitale et des villes voisines, Tlacopan, Coyoacán, Culhuacán, Xochimilco, Texcoco, etc., ne cessait de croître. En 1519, le bassin de Mexico abritait entre 1 million et 1,5 million d'habitants, soit une densité de 200 habitants par km2, pour une superficie de terres cultivées qui ne dépassait guère les 3 000 km2. L'espace propice à la culture était en effet très réduit, à cause notamment de la faible épaisseur des sols, de l'érosion, de la présence de nombreux lacs et marécages. Le génie aztèque a su pourtant en tirer un profit maximal grâce à des techniques agricoles originales : fumage des sols avec des excréments humains et animaux, irrigation, dry-farming, élévation de terrasses. Mais le plus remarquable est sans doute la manière dont les Mexicas ont asséché une grande partie des lacs de la vallée et mis en valeur les marais au moyen des chinampas, radeaux de roseaux fixés par des pieux et couverts d'une couche de terre boueuse où sont plantés maïs, haricots, courges et piments.
L'agriculture du bassin de Mexico et celle des régions tropicales sous domination aztèque ont donné au Vieux Monde les ingrédients d'une révolution alimentaire : le maïs, une cinquantaine d'espèces de haricots, dont les haricots verts, les citrouilles, les oignons, les tomates (tomatl), les pommes de terre, les cacahuètes (tlacacahuatl), la vanille… À cette liste non exhaustive, il faut adjoindre une boisson faite avec la graine de l'amaxocoatl, connue sous le nom de « cacao » ou « chocolat ».
Une société hiérarchisée, une administration efficace
La société aztèque à son origine avait été égalitaire et frugale. Mais, avec le temps et l'expansion de l'Empire, le luxe et la hiérarchie politico-sociale l'avaient profondément modifiée. Le « simple citoyen » (maceualli) menait encore une vie assez semblable à celle des Aztèques de la migration ; il cultivait le lopin de terre auquel il avait droit, chassait ou pêchait, devait prendre part aux travaux collectifs (entretien des canaux et des ponts, terrassements, etc.). Mais les négociants disposaient de grandes richesses sous forme de denrées, métaux précieux, plumes, tissus. L'aristocratie militaire, qui se renouvelait d'ailleurs par la promotion de guerriers sortis du peuple, possédait des domaines ruraux et des palais, et recherchait de plus en plus le luxe. Autour d'elle gravitaient serviteurs, métayers, esclaves, et aussi des artistes, sculpteurs, ciseleurs, orfèvres, peintres, poètes et musiciens.
Tous les enfants, quelle que fût leur origine, recevaient une éducation relevant d'un des deux systèmes en vigueur : pour les enfants du peuple, les telpochcalli, collèges de préparation à la vie pratique et à la guerre ; pour ceux de l'aristocratie, mais aussi pour ceux des négociants et pour les enfants « plébéiens » que l'on destinait à la prêtrise, les calmecac, monastères-collèges qui dépendaient des temples. Dans ces derniers, on enseignait l'histoire traditionnelle, la religion et les rites, l'écriture pictographique, la lecture des livres sacrés, la musique et le chant. Il existait d'ailleurs des écoles de chant ouvertes aux jeunes gens de la classe populaire.
L'administration de l'Empire et la justice étaient assurées par un grand nombre de fonctionnaires et de magistrats, assistés de scribes, gendarmes, huissiers, messagers. Organisés selon une hiérarchie complexe, ils percevaient en rémunération le produit de terres qui leur étaient affectées. Les conquérants espagnols et Cortés lui-même ne tarissent pas d'éloges quant à l'ordre et à l'efficacité de l'administration, à l'intégrité des juges, à la splendeur et à la propreté de la capitale. La justice est un modèle d'organisation. Grâce à une remarquable hiérarchie des juridictions, qui comprend des tribunaux d'instance (teccali) et une cour suprême ou cour d'appel (tlacxitlan), la justice est rendue avec rapidité et efficacité. Aucun procès ne dure plus de quatre-vingts jours, y compris le jugement et l'arrêt. Les juges sont nommés par le souverain et par le chef du quartier où se tient le tribunal.
Prédominance de l’empereur
L'État aztèque, né de la démocratie tribale, était devenu une monarchie aristocratique. Au sommet, le tlatoani (« celui qui parle, qui commande »), élu à vie au sein d'une même dynastie par un collège restreint de dignitaires, était assisté d'un « vice-empereur », le ciuacoatl, et de quatre « sénateurs » élus en même temps que lui. Il désignait de hauts fonctionnaires tels que le petlacalcatl, chargé de la perception des impôts et du trésor, le uey calpixqui, préfet de la capitale, etc. Le Grand Conseil (tlatocan, « lieu de la parole, du commandement ») se réunissait sous sa présidence ou sous celle du ciuacoatl pour discuter des décisions importantes, et pouvait repousser jusqu'à trois reprises les propositions du souverain, par exemple en cas de déclaration de guerre. L’empereur est, au début du xvie s., un personnage quasi divin, entouré d'un halo religieux. Sa principale mission consiste à défendre, à agrandir et à embellir le temple de Huitzilopochtli, le dieu organisateur du monde des Aztèques, auquel il offre, souvent lui-même, des sacrifices. L'empereur vit dans un palais superbe, entouré de ses femmes, de ses conseillers, de ses devins, de ses nains et de ses bouffons. Nul ne peut le regarder en face, ni le toucher. Il lui est interdit de fouler le sol.
Une religion omniprésente et sanglante
Reliée à la classe dirigeante par de multiples liens familiaux, mais distincte d'elle, influente à coup sûr dans les affaires publiques mais non mêlée directement à la gestion de l'État, la classe sacerdotale était nombreuse et respectée. À la tête de la hiérarchie se trouvaient les deux grands prêtres égaux appelés Serpents à plumes, assistés d'un « vicaire général », lui-même entouré de deux coadjuteurs. Groupés en collèges au service de telle ou telle divinité, ou répartis dans les quartiers comme simples desservants, les prêtres avaient à leur charge non seulement le culte, mais l'éducation supérieure et les hôpitaux destinés aux pauvres et aux malades. Le clergé disposait d'immenses richesses en terres et en marchandises de toute sorte, qu'administrait un trésorier général.
La vie des Aztèques était dominée par la religion, que caractérisaient un panthéon foisonnant, une riche mythologie, un rituel complexe fertile en épisodes dramatiques et sanglants mais aussi en cérémonies grandioses et en émouvante poésie. La civilisation aztèque avait réalisé la synthèse des divinités astrales des tribus nordiques (Huitzilopochtli, Tezcatlipoca), des dieux agraires adorés par les anciennes populations sédentaires (Tlaloc, Chalchiuhtlicue, etc.), des dieux étrangers tels que Xipe Totec (Oaxaca) ou Tlazolteotl (déesse de l'Amour chez les Huaxtèques).
Le dieu des Aztèques à qui est adressé le culte est guerrier et triomphant. Huitzilopochtli est fils d'une déesse de la Terre, il personnifie le Soleil par sa victoire sur ses frères et sœurs, les Ténèbres et l'Étoile du matin. Soleil et guerre : tels sont les deux principes organisateurs de la religion aztèque. Ainsi, les morts au combat ou les sacrifiés connaissent une survie grandiose, car ils sont chargés d'aider le Soleil dans sa course. Tous les jours pendant quatre ans, ils l'accompagnent du levant au zénith. Passé cette période, ils se métamorphosent en colibris ou en papillons. Celui qui meurt dans sa maison, au contraire, disparaît dans les Ténèbres. Dès son enfance, l'homme aztèque est préparé à l'idée du sacrifice; il ne doit vivre que pour donner son cœur et son sang « à notre Mère et à notre Père, la Terre et le Soleil », et contribuer de la sorte au bel ordonnancement du monde : permettre le lever du Soleil, la tombée de la pluie, la pousse du maïs… La « guerre fleurie », pacte de sang entre tribus sœurs, de même origine et de même culture, a été scellée à cette fin.
Les sacrifices humains, très fréquents, correspondaient à deux conceptions distinctes. Tantôt le sang et le cœur des victimes étaient offerts aux dieux, plus particulièrement au Soleil, afin d'assurer la marche régulière de l'univers ; tantôt les victimes incarnaient le dieu et mimaient son drame mythique, jusqu'au moment où leur sacrifice transférait leur force vitale à la divinité représentée. Les sacrifiés, de même que les guerriers tombés au combat et les femmes mortes en couches étaient promis à une éternité bienheureuse, tandis que les morts ordinaires, pensait-on, devaient subir quatre années d'épreuves dans le royaume souterrain de Mictlantecuhtli (le Pluton aztèque) avant de disparaître dans le néant. Mais les morts que Tlaloc avait « distingués » en les appelant à lui (par noyade, hydropisie, affections pulmonaires, etc.) devaient jouir dans l'au-delà d'une vie paisible dans l'abondance du paradis (Tlalocan).
« Le compte des destins »
À l'instar des Mayas et des Toltèques, les Aztèques ont élaboré un système très complexe de calendriers, mêlant observations astronomiques et métaphysique, instrument de repérage des phénomènes naturels, tels les saisons ou le mouvement des astres, mais aussi moyen de déterminer le destin des hommes et du monde. L'existence de chacun était régie par le tonalpoualli, le « compte des destins », système extrêmement complexe de divination fondé sur un calendrier rituel de 260 jours divisé en 20 séries de treize. Chacun de ces jours était désigné par un chiffre et un signe – « 1, crocodile », « 2, vent », « 3, maison », etc. –, que les prêtres spécialisés, les « compteurs de destins », interprétaient à l'occasion des naissances, mariages, départs en voyage, expéditions militaires. Chaque année solaire est désignée par le nom de son premier jour, pris lui-même dans le calendrier divinatoire. Seuls quatre signes peuvent commencer une année: tecpatl (le silex), acatl (le roseau), calli (la maison), tochtli (le lapin). Combinés chacun avec les treize nombres fondamentaux du calendrier divinatoire, ils offrent 52 débuts d'année possibles. À l'issue de ce cycle de cinquante-deux ans, le temps est réputé suspendu: il peut alors se dissoudre, et c'est la fin du monde tant redoutée, ou se répéter, les anciens signes épuisés redevenant porteurs de vie à la faveur d'une cérémonie sacrificielle. Au-delà de ce cycle clos, les noms des jours et des années se répètent inlassablement.
La chute de l’empire
Le 18 février 1519, Hernán Cortés débarque au Yucatán accompagné de quelques dizaines de soldats. Le 13 août 1521, Tenochtitlán tombe sous ses assauts ; le dernier empereur est capturé, les Aztèques sont décimés et soumis à jamais. On peut se demander pourquoi un État organisé à ce point pour la guerre et une civilisation aussi élaborée se sont effondrés comme châteaux de sable devant une poignée d'Espagnols. L'explication tient sans doute au décalage technologique (les Mexicas n'ont ni épées de fer ni armes à feu). Elle tient aussi au pessimisme de la vision religieuse aztèque. Moctezuma II, scrupuleux et méditatif, très attentif aux présages, croit reconnaître dans les Espagnols qui arrivent sur la côte du Mexique les représentants de Quetzalcóatl, le roi-prêtre des Toltèques, le dieu-serpent à plumes dont le retour est annoncé par d'anciennes prophéties. De plus, l'année 1519 coïncide avec la fin d'un cycle calendaire de cinquante-deux ans, qui marque la suspension du temps. Ces êtres étranges, blancs, barbus et vêtus de fer, qui lancent la foudre et possèdent des chevaux, animaux que personne n'a jamais vus au Mexique, ont tous les caractères des dieux. Les Aztèques, prêts à les accepter comme tels, ne veulent que les honorer…
L'explication réside enfin dans la complicité active des peuples voisins, soumis depuis trop longtemps à la puissance mexica, fatigués de donner leur fortune à son empereur, et leurs enfants à ses dieux. Les Totonaques et les seigneurs de Tlaxcala rejoignent Cortés, qui se présente devant Tenochtitlán-Mexico avec une armée de plus de 30 000 indigènes. Moctezuma hésite : il cherche la preuve qu'il se trouve devant des dieux. Il reçoit les Espagnols et prépare pour eux des fêtes, en l'honneur, notamment, de Huitzilopochtli. Mais Cortés doit regagner la côte à la hâte pour combattre des émissaires de l'Espagne venus lui demander des comptes sur son épopée. Pendant ce temps, Alvarado, son lieutenant resté sur place, organise, sous on ne sait quel prétexte, le massacre de la foule venue assister à une cérémonie religieuse. À son retour, Cortés trouve la capitale aztèque en révolte ; Moctezuma, tenu responsable de la situation, est tué par le peuple. L'insurrection progresse. Assiégés, Cortés et ses compagnons doivent se frayer un chemin hors de la ville ; ils sont décimés par les guerriers aztèques enragés : c'est la Noche Triste (la Nuit Triste) du 30 juin au 1er juillet 1520. Cortés en réchappe pourtant. Il va reconstituer ses forces et réinvestir méthodiquement Tenochtitlán à partir de la fin de 1520. Le 13 août 1521, au milieu des ruines de sa ville dévastée par les canons, le dernier empereur aztèque se rend aux Espagnols. Il s'appelle Cuauhtémoc, l'« Aigle-qui-tombe », c'est-à-dire le Soleil couchant ; le soleil aztèque s'éteint pour toujours.
Quelques divinités du panthéon aztèque
Chalchiuhtlicue
« Celle qui a une jupe de pierres vertes », déesse de l'Eau douce, compagne de Tlaloc.
Cihuateteo
« Femmes-déesses », femmes mortes en couches et divinisées ; elles prennent au zénith le relais des guerriers morts au sacrifice pour accompagner le Soleil dans son voyage.
Coatlicue
« Celle qui a une jupe de serpents », vieille déesse de la Terre, qui enfanta miraculeusement le dieu des Mexica, Huitzilopochtli.
Coyolxauhqui
« Celle qui est parée de grelots », sœur aînée de Huitzilopochtli, tuée par lui, ainsi que ses frères, les 400 étoiles au Sud, au moment de sa venue au monde. Elle symbolise les ténèbres, vaincues par le jeune Soleil triomphant.
Eecatl
Quetzalcóatl sous sa forme de dieu du Vent. Représenté avec un masque en forme de bec de canard, ou sous la forme d'un singe soufflant.
Huitzilopochtli
« Le colibri de gauche », jeune dieu de la tribu aztèque, qu'il avait guidée dans sa migration. Il symbolise le Soleil triomphant, au zénith.
Mayahuel
Déesse du Maguey, qui avait été la plante nourricière des Aztèques au temps de leur migration. Elle est généralement représentée comme plurimammaire.
Mictlantecuhtli
Le « Seigneur du lieu des morts », dieu des Enfers, représenté sous la forme d'un cadavre décharné.
Nanauatzin
Petit dieu pustuleux ou syphilitique, autre forme de Quetzalcóatl. À l'origine des temps, il s'était sacrifié en se jetant dans un brasier allumé à Teotihuacán, pour faire naître le Soleil.
Ometecuhtli et Omecihuatl
« Le Seigneur et la Dame de la dualité ». D'après certaines sources, c'est le couple primordial qui aurait enfanté tous les autres dieux et les humanités. Leur culte semble être tombé en désuétude chez les Aztèques, et n'être resté vivant que chez certains rameaux nahuas émigrés dès le xiie s. comme les Pipils du Guatemala.
Quetzalcóatl
« Serpent plume précieuse ». Sans doute la figure dominante du panthéon aztèque. Inventeur des arts, des techniques et de la pensée philosophique.
Tezcatlipoca
« Miroir qui fume », dieu du Nord, du Ciel nocturne et de la Guerre, patron des jeunes guerriers. Vainqueurs de Quetzalcóatl par ses sortilèges.
Tlaloc
Vieux dieu de la Pluie, l'un des plus importants du panthéon, honoré dans tout le Mexique. Caractérisé par ses yeux entourés de serpents formant comme des lunettes et par sa bouche ornée de crocs, comme les autres dieux de la Pluie des peuples voisins ou antérieurs : le Cocijo des Zapotèques, le Chac des Mayas, etc.
Tlazolteotl
« Déesse de l'Immondice », déesse de l'Enfantement et de l'Amour charnel, des Bains lustraux. Originaire sans doute de la Huaxteca, région connue pour sa « frivolité », elle avait le pouvoir d'effacer, par la confession, les offenses à la morale sexuelle.
Toci
« Notre aïeule », nommée aussi Teteo innan, « la mère des dieux ». C'est son culte qui était célébré sur la colline où devait apparaître la Vierge de Guadalupe, faisant de celle-ci, par un phénomène de syncrétisme, une Vierge pleinement nationale.
Tonatiuh
Le Soleil, représenté au centre du célèbre monument « la Piedra del sol », tirant la langue pour réclamer sa nourriture, le sang humain.
Xipe Totec
« Notre Seigneur l'écorché », dieu peut-être originaire de l'actuel État d'Oaxaca. Il représente le Renouveau de la végétation. Les prêtres se revêtaient en son honneur de la peau des sacrifiés, qui, en jaunissant, évoquait une feuille d'or : il est aussi le dieu des orfèvres.
Xiuhtecuhtli
« Le Seigneur du feu », également nommé Huehueteotl, « le vieux dieu ». Vieux dieu du Feu et des puissances volcaniques, représenté généralement comme un vieillard ridé dont la tête supporte un brasero.
Xolotl
Autre forme de Quetzalcóatl. Lors du sacrifice qu'avaient décidé tous les dieux à Teotihuacán pour faire vivre le Soleil, il fut le seul à s'enfuir et à tenter de se cacher. Il devint le dieu des Monstres, et de tout ce qui est double : double épi de maïs, double maguey, jumeaux…
ART
Introduction
L'art des Aztèques, comme leur religion, est le résultat d'une synthèse. La tradition toltèque qui avait survécu dans certaines villes du plateau central comme Culhuacán, le style « mixtéca-puebla » de Cholula, de Tizatlán et de l'Oaxaca, et certaines influences d'origine plus lointaine, comme celle des Huaxtèques, se sont amalgamés en un ensemble original. Riche à la fois d'un symbolisme ésotérique et d'un vigoureux réalisme, l'art aztèque frappe par la puissance et l'énergie des formes, par la sûreté du dessin, par la hardiesse de la conception.
Architecture
En architecture, les Aztèques n'ont guère innové ; ils ont repris pour l'essentiel les thèmes de l'architecture classique et toltèque, c'est-à-dire la pyramide à degrés et le palais horizontal. Cependant, la juxtaposition de deux temples au sommet d'une pyramide unique, comme c'était le cas du Grand Teocalli de Mexico, avec les sanctuaires jumelés de Tlaloc et de Huitzilopochtli, est un trait typiquement aztèque. Les monuments circulaires, tels que les temples du Vent à Mexico et à Calixtlahuaca, relèvent d'une tradition étrangère à la civilisation classique : il s'agit là d'un emprunt à l'architecture huaxtèque. Les dimensions grandioses de certains édifices, comme le palais du Tlatoani à Mexico ou celui du roi de Texcoco, immenses bâtiments groupés autour de patios et de jardins, surpassaient tout ce qui avait été réalisé au Mexique auparavant. En outre, les Aztèques sont le seul peuple autochtone du Mexique qui ait taillé entièrement dans la roche vive, à Malinalco, un temple avec ses statues et ses bas-reliefs.
Sculpture
La sculpture, dont il subsiste de très nombreuses œuvres en dépit des destructions massives dues à la conquête, présente un large éventail symbolique et stylistique, depuis les idoles et les bas-reliefs à thèmes religieux jusqu'aux statues de personnages et d'animaux, en passant par les scènes historiques à la gloire des empereurs. Parmi les spécimens les plus connus qui se trouvent dans les musées du Mexique ou à l'étranger, on mentionnera la statue colossale de la déesse Coatlicue, extraordinaire chef-d'œuvre macabre ; les représentations du Serpent à plumes Quetzalcóatl ; le « Calendrier aztèque », monolithe qui résume sur son disque les conceptions cosmologiques des anciens Mexicains ; le « Teocalli de la Guerre sacrée », dédié au Soleil et au combat cosmique ; une tête de dignitaire (« chevalier-aigle ») qui évoque de façon frappante l'énergie des guerriers ; la « Pierre de Tizoc », qui retrace les victoires du septième souverain ; la stèle commémorative de l'inauguration du grand Temple, par Ahuitzotl, en 1487.
Arts décoratifs
Les Aztèques ont fait revivre l'art du masque en pierre, qui avait été pratiqué avec virtuosité à l'époque classique (Teotihuacán, ve-viiie s.). Ils ont porté à un haut degré de perfection la sculpture et la ciselure des pierres semi-précieuses : jadéite, néphrite, serpentine, cristal de roche. D'admirables statuettes en portent témoignage, par exemple celle du dieu Tezcatlipoca (musée de l'Homme, Paris) ou celle de Xolotl (musée du Wurtemberg, à Stuttgart).
Trois grandes corporations d'artisans étaient spécialisées, à Mexico, dans les arts que nous appelons « mineurs » : les orfèvres, dont les merveilleux bijoux et ornements d'or et d'argent s'inspiraient surtout du style mixtèque de l'Oaxaca ; les lapidaires, qui décoraient de mosaïque de turquoise, de grenat, d'obsidienne et de nacre les masques, objets cérémoniels, casques d'apparat ; enfin les amanteca, ou plumassiers, dont les fragiles chefs-d'œuvre faits de plumes d'oiseaux tropicaux ornaient la coiffure et les vêtements des dignitaires ainsi que les idoles des dieux.
Peinture
Il existait à Mexico deux catégories de peintres : ceux qui couvraient de fresques les murailles des palais et des sanctuaires, et ceux qui, scribes versés dans l'écriture hiéroglyphique, enluminaient les manuscrits religieux ou historiques. Certains de ces manuscrits, tel le Codex borbonicus (bibliothèque de l'Assemblée nationale, Paris), constituent des recueils de petits tableaux symboliques admirablement exécutés.
Littérature
La littérature, surtout sous la forme de poèmes déclamés et chantés avec accompagnement de flûtes et d'instruments à percussion, présentait des genres nettement délimités : poèmes religieux d'une grande élévation, poèmes philosophiques, épopées historico-mythiques, odes lyriques, poèmes mimés et dialogués que l'on peut considérer comme un embryon de théâtre. En outre, les Aztèques attachaient une importance extrême à l'art oratoire ; toutes les circonstances importantes de la vie publique ou privée, depuis l'élection d'un souverain jusqu'au départ d'une caravane de négociants, étaient marquées par des discours pompeux et imagés. Enfin, la danse tenait une large place dans les réjouissances familiales, dans les banquets et dans les cérémonies religieuses.