Allemagne : littérature de langue allemande
Tant que le domaine de la langue allemande coïncide à peu près avec les frontières du Saint Empire romain germanique, l’étude de la littérature allemande ne comporte aucune difficulté : elle devient plus complexe après que les cantons suisses germanophones, au xive s., et l’AutricheAutriche, à partir du xixe s., eurent constitué des États indépendants.
Toutefois, certains écrivains suisses et autrichiens ont exercé, au cours de l’évolution générale des lettres allemandes, une influence telle que leurs noms doivent être cités dans une étude de la littérature allemande.
1. Le Moyen Âge
La littérature allemande s’est épanouie dès le début du xiiie s. dans l’épopée populaire, où elle produisit deux grandes œuvres, dont les auteurs sont inconnus : la Chanson des Nibelungen et Gudrun ; dans l’épopée de cour, d’inspiration française (Heinrich von Veldeke, Hartmann von Aue, Wolfram von Eschenbach, Gottfried de Strasbourg) ; dans le minnesang, qui célèbre l’amour courtois (Walther von der Vogelweide).
Vers le milieu du xiiie s., la littérature chevaleresque s’efface devant la littérature bourgeoise des maîtres chanteurs, qui a moins d’importance que les écrits en prose des mystiques du xive s. : Maître Eckart, Heinrich Seuse, dit Suso, Jean Tauler.
2. De la Renaissance au « Sturm und Drang »
Les débuts de l’époque moderne sont marqués, pour l’Allemagne, par un drame au moment où la Renaissance se développe en Italie et en France, la Réforme absorbe les forces spirituelles des humanistes. Afin de faire connaître la Bible, Luther la traduit et crée l’allemand moderne. Après lui, lassés par les conflits théologiques, les écrivains s’orientent vers un réalisme qu’illustrent les noms de Hans Sachs et Johann Fischart. Mais, dans la seconde moitié du xvie s., la Contre-réforme s’efforce de reconquérir les foules au moyen d’un art et d’une littérature « baroques » (Martin Opitz, Paul Fleming, Andreas Gryphius).
Le xviie s. se partage entre les écrits théosophiques de Jakob Böhme, que l’on publie à partir de 1610, le symbolisme lyrique de Friedrich Spee, le mysticisme d’Angelus Silesius et l’ironie picaresque des romans de Christoph von Grimmelshausen.
Vers 1680, la littérature de langue allemande commence à l’emporter nettement sur la littérature de langue latine. Elle subit des influences extérieures, d’abord celle de la France, avec Johann Christoph Gottsched, puis celle de l’Angleterre, que suit l’école suisse de Johann Jakob Bodmer et de Johann Jakob Breitinger.
De cette double influence naît l’« Aufklärung » (philosophie des Lumières), qui s’incarne surtout dans l’œuvre de Gotthold Ephraim Lessing. Pour aider la littérature allemande à devenir majeure et autonome, il préféra aux Français l’exemple de Shakespeare. Son contemporain Christoph Martin Wieland, influencé à la fois par les Anciens, par les Français et par Shakespeare, apparaît comme un précurseur du classicisme. À côté d’eux, et jetant sur eux un regard critique, le moraliste caustique Georg Christoph Lichtenberg est un maître de la prose allemande. En marge du courant rationaliste, un mouvement religieux et sentimental se manifeste dans les tentatives des piétistes pour créer une religion du cœur et dans l’œuvre de Friedrich Gottlieb Klopstock.
3. Du « Sturm und Drang » au classicisme
Vers 1770 éclate une révolution littéraire à laquelle on a donné pour étiquette le titre d’une pièce de Friedrich Maximilian von Klinger : Sturm und Drang (Tempête et élan). Elle eut un initiateur, Johann Georg Hamann, que l’on appela le « Mage du Nord », un héraut, Johann Gottfried Herder, et des représentants tels que Jakob Lenz, Heinrich Leopold Wagner, le peintre Müller, Johann Anton Leisewitz, groupés autour du jeune Goethe.
Mais, dès 1775, le « Sturm und Drang » s’assagit. Depuis que Johann Joachim Winckelmann a glorifié l’art grec, l’Antiquité supplante peu à peu Shakespeare et oriente vers le classicisme Karl Philipp Moritz, Wilhelm Heinse, Wilhelm von Humboldt et surtout Goethe. Plus jeune, Friedrich von Schiller connaîtra la même évolution, sous l’influence de Kant. L’enthousiasme pour la Grèce qui anime tous les écrivains se concilie avec la notion de progrès répandue par la philosophie des Lumières et par Herder, et se combine avec la notion de la Bildung, qui implique à la fois culture et formation. Mais ce rêve commun de régénération humaine est vécu sur le mode du paradis perdu par le plus grand lyrique de l’époque, Friedrich Hölderlin.
4. Le romantisme
C’est d’ailleurs en marge du classicisme et en réaction contre sa conception de l’artiste comme athlète intellectuel complet que se développe, à partir de 1790, le mouvement romantique, qui a sa base idéologique dans la Théorie de la science (1794), de Johann Gottlieb Fichte, et qui formule ses théories dans l’Athenäum (1798-1800). [→ le romantisme en littérature.]
La première école romantique (les romantiques d’Iéna) se compose de véritables couples littéraires : l’ironiste Ludwig Tieck, converti à la religion de l’art par Wilhelm Heinrich Wackenroder ; August Wilhelm von Schlegel, critique et traducteur, qui fit presque de Shakespeare un auteur allemand, et Friedrich von Schlegel, le théoricien du romantisme ; Novalis, poète épris de science, philosophe et mystique, et Friedrich Schleiermacher, qui fonde la religion et la poésie sur une aspiration à l’Universel.
Au début du xixe s., le premier romantisme se désagrège. Il donne naissance à deux groupes : le romantisme de Heidelberg (Clemens Brentano, Achim von Arnim, Johan Joseph von Görres, les frères Grimm) et le romantisme de Berlin (La Motte-Fouqué, E.T.A. Hoffmann, Chamisso).
C’est à cette époque que le romantisme connaît son expression dramatique avec l’enthousiasme déçu de Heinrich von Kleist, l’inspiration religieuse et populaire de Zacharias Werner, le drame noir (Müllner, Houwald) qui vulgarise la fatalité. Si Joseph von Eichendorff est « le dernier chevalier du romantisme », nombre des thèmes chers au mouvement survivent dans l’école souabe (Kerner, Uhland, Hauff) et, plus loin, dans l’éclectisme de Platen comme dans la naïveté de Eduard Mörike.
5. De la « Jeune Allemagne » à Bismarck
Le mouvement de la « Jeune Allemagne » s’éloigne des rêves romantiques et introduit dans la littérature la politique et la polémique avec Ernst Moritz Arndt, Heinrich Heine, Ludwig Börne, Karl Gutzkow, Heinrich Laube, tandis que la révolte touche au plus profond de l’être avec Christian Dietrich Grabbe, Georg Büchner et Nikolaus Lenau.
Si le mouvement de la « Jeune Allemagne » ne dure que peu de temps, il est prolongé par une esthétique de compromis, le « réalisme poétique » (Immermann, Annette von Droste-Hülshoff, Berthold Auerbach, Otto Ludwig, Theodor Storm, Friedrich Hebbel), tantôt plus intimiste, tantôt plus ironique, tantôt plus régionaliste. Ce réalisme, qui se développe dans la seconde moitié du xixe s., avec Gustav Freytag, Paul Heyse, Wilhelm Raabe, Theodor Fontane, s’épanouit dans le « naturalisme conséquent », dont les principaux représentants sont Arno Holz, Johannes Schlaf, M.G. Conrad, Wilhelm Bölsche et Gerhart Hauptmann.
6. De l’impressionnisme à l’expressionnisme
Une nouvelle époque commence vers 1890, avec Detlev von Liliencron, Richard Dehmel, Christian Morgenstern. Trois poètes surgissent alors, qui sont à l’origine de la poésie allemande contemporaine : le Rhénan Stefan George, qui groupe autour de lui le fameux Cénacle, les jeunes Autrichiens Hugo von Hofmannsthal et Rainer Maria Rilke. Cet « impressionnisme » psychologique marque également les débuts de romanciers des frères Mann et de Hermann Hesse, tandis que se dispersent des courants « néoromantiques », symbolistes ou « cosmiques ».
Vers 1910 se manifeste une école nouvelle, l’expressionnisme. D’abord cri d’angoisse et de révolte de poètes devant la violence et l’éclatement de la civilisation européenne (Else Lasker-Schüler, Ernst Stadler, Georg Heym, Gottfried Benn), l’expressionnisme s’impose principalement au théâtre avec les pièces du peintre Oskar Kokoschka ou du sculpteur Ernst Barlach, avec les œuvres de Fritz von Unruh, Walter Hasenclever, Ernst Toller, Hanns Johst, et surtout de Georg Kaiser et du jeune Bertolt Brecht, tandis qu’il inspire certaines recherches romanesques de Kasimir Edschmid et d’Alfred Döblin.
Mais l’expressionnisme perd nombre de ses représentants dans la Première Guerre mondiale et cède le pas à un nouveau réalisme, die neue Sachlichkeit (« la Nouvelle Objectivité »). La guerre inspire réflexions, interrogations, condamnations (Erich Maria Remarque, Ernst Jünger). L’écrivain devient alors l’observateur d’un monde décadent, un moraliste en quête de valeurs nouvelles, et il aspire à une communauté politique (Cari Zuckmayer, Brecht, Ferdinand Bruckner, Hans Fallada).
7. Nazisme et littérature
Contre le « bolchevisme intellectuel » et l’« art dégénéré » qu’il fustige, Hitler proclame le sang et la race comme sources de l’intuition artistique. Les écrivains n’ont plus, selon l’expression de Günther Weisenborn, que trois solutions : la résistance, l’exil, la trahison.
Pour ceux qui résistent, l’aventure se termine dans le silence (Gottfried Benn) ou la prison (Ernst Wiechert). 250 écrivains choisissent d’émigrer : pour beaucoup cet exil sera définitif et, parfois, s’achèvera en suicide (Ernst Toller, Kart Tucholsky, Walter Hasenclever, l’Autrichien Stefan Zweig). En octobre 1933, 88 écrivains proclament dans un manifeste leur fidélité à Hitler (Rudolf G. Binding, Hermann Claudius, Ina Seidel). La littérature nationale-socialiste ressasse les vieux mythes germaniques ou s’efforce d’illustrer les thèmes de la doctrine officielle (antisémitisme, antibolchevisme, génie du Führer).
8. De l’Allemagne vaincue à l’Allemagne déchirée
En 1945, dans l’Allemagne ruinée, c’est d’abord le silence chez les écrivains. La seule littérature reçue est celle des résistants au régime hitlérien et des exilés comme Thomas Mann. Cependant, pour un peuple à la recherche de lui-même, le problème posé par la défaite n’est plus, comme au lendemain de la Première Guerre mondiale, de nature sociale et politique, mais morale. L’audience de ceux qui ont quitté l’Allemagne dès les débuts du national- socialisme et qui ont dénoncé avec lucidité les dangers du régime hitlérien est moins grande que celle des écrivains qui ont souffert dans les camps de concentration, sur le front russe, qui se sont engagés dans la lutte ouverte ou clandestine (Albrecht Haushofer, Wolfgang Borchert, Hermann Kasack, Hans Erich Nossack). Entre les exilés et ceux qui ont choisi l’« émigration intérieure » existe un malaise, parfois même une hostilité.
La vie littéraire va se réorganiser selon la double exigence de simplicité et de liberté. Rejetant toute forme d’organisation, de jeunes écrivains, qui collaborent à la revue Der Ruf (l’Appel), interdite par les Alliés en 1947, entreprennent de « faire table rase » et de donner de nouvelles bases à la littérature allemande. Ainsi naît, à l’appel de Hans Werner Richter et d’Alfred Andersch, le « Groupe 47 », qui n’a ni membres inscrits ni président élu, mais qui réunit trois jours par an, dans une ville d’Allemagne, des écrivains allemands, autrichiens et suisses d’expression allemande. Cette absence d’institutions et cette mobilité du groupe traduisent non seulement sa volonté d’indépendance, mais aussi l’absence, depuis la fin de la guerre, de capitale intellectuelle.
Dans les premières années après 1945, les témoignages sur la guerre sont nombreux, toujours critiques, souvent ironiques, quelquefois plus graves, posant en particulier le problème de l’obéissance à des ordres qui révoltaient la conscience morale du combattant (Albrecht Goes). Les conséquences matérielles et morales du conflit forment le thème des récits d’Heinrich Böll, d’Arno Schmidt, de Walter Jens. Puis la description brutale de la misère et du désarroi moral fait place à un « réalisme magique », où faits réels et imaginaires composent un univers absurde (Ernst Kreuder, Elisabeth Langgässer).
Parmi les écrivains qui se fixent dans la zone soviétique d’occupation, certains sont d’obédience communiste. Mais, si l’« Association culturelle pour le renouveau démocratique en Allemagne » (Kulturbund), fondée en 1945, trace une ligne politique, elle accorde aux écrivains des avantages matériels et une certaine liberté d’expression. En 1949, dès la création de la République démocratique allemande (RDA), le régime engage une violente campagne contre le « formalisme » dans l’art et la littérature.
9. La littérature de la RDA
En mai 1951, le réalisme socialiste est imposé comme doctrine artistique. Tandis qu’à l’Ouest se développe la réflexion sur la défaite et la culpabilité de l’Allemagne, à l’Est on ne veut croire qu’à l’Allemagne nouvelle. La censure s’exerce aussi bien sur les pièces de Brecht que sur les romans d’Arnold Zweig et Ludwig Renn. Des écrivains passent a l’Ouest (Theodor Plievier, Hermann Kasack, Rudolf Hagelstange), tandis que d’autres cherchent à faire entendre un accent personnel dans des œuvres de commande (Erwin Strittmatter, Franz Fühmann, Armin Müller).
Avec la répression de la révolte ouvrière de juin 1953, puis du soulèvement hongrois, la tolérance en matière littéraire disparaît. Pour compenser une nouvelle vague d’émigration à l’Ouest (Alfred Kantorowicz, Heinar Kipphardt, Uwe Johnson), les ouvriers, les paysans et les soldats sont invités à assurer la production littéraire (conférence de Bitterfeld, avril 1959). Les quelques tentatives de la revue Sinn und Form sont condamnées, et les derniers écrivains représentatifs sont contraints à l’autocritique (Peter Huchel, Stefan Hermlin, Peter Hacks, Günter Kunert).
Pourtant, dans les années 1960, les écrivains de la RDA reviennent sur les conflits entraînés par l’édification de la nouvelle société (Christa Wolf, Brigitte Reimann, Hermann Kant). Une nouvelle génération d’écrivains tente de critiquer le dogmatisme officiel ; il ne s’agit que d’une critique à l’intérieur du socialisme, qui ne met pas le régime en cause (Rolf Floss, H.J. Steinmann). On voit apparaître des personnages qui ne sont plus d’une seule pièce. Et, en 1971, Erich Honecker, premier secrétaire du parti, annonce une libéralisation possible. Mais, très vite, les nouveaux romans de Christa Wolf sont interdits ; le poète et chansonnier Wolf Biermann n’a plus l’autorisation de se produire en public. À partir de 1976, emprisonnements, interdictions de publier, nouvelle émigration massive à l’Ouest témoignent du désir irrépressible des écrivains de la RDA de retrouver, au-delà de la littérature programmée, les drames de la conscience déchirée et les problèmes de la personne.
Par la suite, les dogmes du réalisme socialiste éclatent. Une vérité essentielle, individuelle, est recherchée par toute une génération. Les uns sont contraints de passer en RFA pour l’exprimer : Hans-Joachim Schädlich, Wolfgang Hilbig, Uwe Kolbe. D’autres continuent de vivre en RDA, y tenant une place paradoxale (comme Heiner Müller) ou publiant en RFA. D’autres, enfin, considèrent comme un devoir moral de s’adresser, en tant qu’écrivains de la RDA, au public de ce pays : Christa Wolf ou Christoph Hein.
10. La littérature de la RFA
Dès le début des années 1950, le problème de l’expression revient au cœur des débats sur la création artistique. C’est l’époque où l’on revendique comme des maîtres Hermann Broch et Robert Musil. Des poètes comme Wolfdietrich Schnurre cherchent à redonner à la poésie sa « pureté ». Personne cependant n’esquive deux thèmes fondamentaux : le sentiment d’angoisse qui étreint la jeunesse malgré la prospérité économique, et la séparation de l’Allemagne en deux États. Si certains cherchent à cette situation une signification symbolique, la peinture de l’Allemagne d’aujourd’hui est plus réaliste dans les romans et le théâtre de Günter Grass, plus cruelle dans les récits et les essais de Hans Magnus Enzensberger, plus polémique dans les poèmes et les romans d’Uwe Johnson. Cette saisie dramatique du monde est à l’origine d’un étonnant renouveau du théâtre (Siegfried Lenz, Martin Walser, Leopold Ahlsen, Rolf Hochhuth, Heinar Kipphardt), dominé encore tout entier par l’esthétique de Brecht.
À partir de 1960, la guerre et l’immédiat après-guerre cessent d’être des thèmes privilégiés. Si le passé continue à hanter les écrivains, ceux-ci font, dans une société nouvelle, d’autres expériences et cherchent notamment à mettre en rapport le monde de l’art et le monde du travail (« Groupe 6 », qui écatera plus tard pour donner naissance au « Werkkreis 70 »).
Un aspect essentiel de la littérature allemande de cette époque se marque dans une politisation de plus en plus poussée. De nombreux écrivains refusent d’être l’alibi d’une société qu’ils critiquent et passent du solipsisme à l’engagement social et politique (Peter Weiss, Erich Fried). Mais, pour d’autres, la fonction politique de la littérature est moins exclusive. De façon générale, cependant, l’individu cède la place à l’homme entièrement défini par sa situation sociale. Les écrivains ne veulent plus créer un univers cohérent qui, selon eux, ne rendrait pas compte de la réalité. Influencés peut-être par le succès outre-Rhin des « livres-documents » (Tatsachenbücher), ils cherchent à rendre de façon globale certains moments de la vie de leurs personnages. Tous insistent sur le caractère de fiction de leurs œuvres et témoignent d’une grande méfiance à l’égard du langage, auquel ils reprochent son ambiguïté.
Cette méfiance est encore plus grande chez les poètes (Helmut Heissenbüttel, Günter Eich, le Roumain Paul Celan exilé en France), chez qui se dessine, malgré la diversité des talents, une tendance commune : le langage devient l’objet même de la poésie. À partir de 1968, on assiste chez de jeunes écrivains à la création d’une sorte de contre-littérature, à la suite de l’Autrichien Peter Handke, qui dénonce l’artifice de toute œuvre prétendant dévoiler la réalité et qui finit par remplacer certains mots par des hiéroglyphes, laissant au lecteur le soin de les déchiffrer. Le phénomène le plus remarquable est cependant constitué par la nouvelle « émigration à l’intérieur » de l’Allemagne : celle des écrivains de la RDA passés à l’Ouest. Coupés de leur public et poursuivant leurs recherches sur des bases fondamentalement différentes des écrivains occidentaux, ils font l’expérience d’un double déracinement.
Après l’échec relatif du mouvement étudiant et avec la répression engagée par les autorités contre le terrorisme de la « bande à Baader », la désillusion, la mélancolie et le scepticisme généralisé s’emparént d’une grande partie des milieux intellectuels de la RFA. En réaction contre le regard jeté précédemment sur la société pour mettre à nu ses tares, les années 1970 voient l’autobiographique, le moi et l’imaginaire prendre le dessus dans la littérature. La critique a nommé « Nouvelle Subjectivité » cette lame de fond (Nicolas Born, Botho Strauss). Commencent à se manifester, pour s’imposer vraiment vers 1980, l’expression d’une quête de soi et l’évocation de la vie individuelle dans toute son intimité. Faisant suite aux revendications féministes de l’après-68, se fait jour notamment l’émergence d’une littérature du moi féminin (romans d’Eva Demski, de Brigitte Kronauer, de Gabriele Wohmann, poèmes de Ulla Han).
Les années suivantes sont marquées par ce phénomène de descente dans les arcanes de l’individu. Le marché littéraire de la RFA se trouve submergé d’autobiographies, de biographies imaginaires, de correspondances, de journaux. Les vies d’artistes disparus ou de personnalités historiques (Ovide, Wolfram von Eschenbach, Charlotte Corday, Brentano, Kleist) incitent à d’audacieuses assimilations à nos pulsions contemporaines, et avec succès.
11. Depuis l'unification
Avec la chute du mur de Berlin (1989) et l'unification des deux Allemagnes (1990), bien des problèmes se posent aux écrivains de l’ex-RDA, objets de polémiques vives et souvent injustes, prenant parfois des allures de chasse aux sorcières, d’autant que toutes les institutions de l’ancien régime socialiste (maisons d’édition, réseau de librairies, bibliothèques des associations de jeunesse et des syndicats) sont démantelées.
Aujourd’hui, outre-Rhin, la vitalité de la littérature peut se mesurer à l’aune des trois prix Nobel attribués en une décennie aux auteurs de langue allemande : Günter Grass en 1999, l’Autrichienne Elfriede Jelinek en 2004, l’Allemande d’origine roumaine Herta Müller en 2009. Paul Nizon et Martin Suter, écrivains suisses germanophones, contribuent également à ce rayonnement international.