Malgré les menaces d'ostracisme de ses anciens amis politiques, Charles Millon persiste et signe, au nom d'une droite qui s'affiche désormais avec une majuscule, et « sans complexe ». Les 7 et 8 novembre, il réunissait à Paris le congrès fondateur de son mouvement, La Droite, lancé au lendemain des élections régionales de mars, qui lui avaient permis de conserver, avec le soutien des voix du Front national, la présidence de la région Rhône-Alpes. Les premiers objectifs fixés par ce mouvement qui revendique 20 000 adhérents ont été atteints, puisque 7 000 personnes avaient répondu à l'appel.
Une démonstration de force bien utile pour l'ancien ministre de la Défense ; après avoir fait de la résistance dans son fief de Rhône-Alpes, face à la stratégie d'obstruction des autres élus qui rejetaient en octobre la quasi-totalité de ses rapports, il passe à une offensive d'envergure nationale, pour transformer en force politique son choix du printemps dernier. De paria de l'opposition, le transfuge de l'UDF en deviendrait le sauveur, investi d'une mission nationale visant à « redonner sa fierté » à une droite « inhibée ». Contre cette droite « de gestion » et « de complaisance » qui a abdiqué devant les valeurs de gauche et a vendu son âme à la cohabitation, il prétend incarner une droite « de conviction », se vantant d'avoir « lancé le premier mouvement qui ose s'appeler Droite depuis 1789 » (le Monde, 7/11/98). Et si l'Alliance (RPR-UDF-DL) persiste à le rejeter, il s'imposera à elle en créant un rapport de forces avec ses dirigeants.
En disant tout haut ce qu'il pense tout bas, La Droite va-t-elle « réveiller » le peuple de droite ? L'Alliance, qui a freiné l'hémorragie dans ses rangs, ne se sent pas vraiment menacée. M. Millon marche sur les traces de M. de Villiers, et son état-major est encore très rhône-alpin ; manquant d'assise nationale, il ne manifeste qu'une ardeur limitée pour les européennes de juin 1999, son principal souci étant de tenir jusqu'aux municipales de 2001. C'est justement cette perspective qui donne des sueurs froides à l'opposition, qui redoute que les accords tacites passés entre le FN et M. Millon, mais aussi Jacques Blanc (Languedoc-Roussillon), Jean-Pierre Soisson (Bourgogne) et Charles Baur (Picardie), ne fassent des émules. Pour conjurer ce scénario, l'opposition va œuvrer à saper les assises du pouvoir de M. Millon dans son bastion, sans pour autant commettre l'erreur, précise M. Séguin, d'en faire un « martyr ».
G. U.
Millon et le FN, des affinités électives...
Devant ses partisans à Paris, M. Millon a récusé toute alliance, idéologique ou partisane, avec le FN. Pour preuve, l'expulsion de Bruno Golnisch, venu en curieux, qui sera d'ailleurs contestée par un public avouant certaines sympathies lepénistes. « Les voix ne se sentent pas, elles se comptent », répète-t-il à l'envi, pour justifier son maintien à la présidence de la Région Rhône-Alpes qui provoqua un séisme à droite ; mais la « paix civile » (c'est le titre de son livre) dont il se réclame sent le soufre. Car le pragmatisme affiché n'exonère par La Droite de pesants soupçons sur ses rapports avec le FN ; en revendiquant des « choix idéologiques » que la droite « n'ose pas assumer », M. Millon entretient une « ambiguïté » dénoncée par M. Séguin, au moment où l'opposition veut « clarifier ses relations » avec le FN.
Le Pen-Mégret : deux têtes pour le FN
Sans doute Jean-Marie Le Pen reste-t-il le président du Front national et conserve-t-il tous les attributs de l'autorité sur son parti. Mais les apparences sont parfois trompeuses, même si le leader n'a pas dit son dernier mot.
Depuis les élections régionales, le 15 mars 1998, en dépit des 15,27 % de suffrages obtenus par son mouvement, J.-M. Le Pen a – provisoirement ? – en partie perdu la main au profit de B. Mégret. Dans la rivalité l'opposant à son ambitieux et jeune délégué général qui ne cache plus guère ses ambitions sur l'héritage, le patron du FN, partisan du « ni gauche ni droite » et des formules du style « Chirac, c'est Jospin en pire », quand il n'enfonce pas le clou sur le « détail » ou sur l'« inégalité des races », a dû s'incliner devant le triomphe de la stratégie de la main tendue à la droite républicaine prônée par son numéro 2 pendant la campagne des régionales.
« Casser » la droite
Convaincu que le FN ne peut arriver aux affaires sans alliances, et qu'il est donc vital de briser le cordon sanitaire mis en place par les états-majors de l'UDF et du RPR afin de le sortir de sa quarantaine et de l'intégrer dans une recomposition des droites, le « vrai faux » maire de Vitrolles, champion toutes catégories de la « dédiabolisation » du FN, a su imposer sa ligne à une majorité de cadres et d'élus du mouvement lassée par quinze ans de marginalisation, avide de respectabilité et désireuse d'exercer des responsabilités. Une ligne que Bruno Mégret défendait jusqu'à présent sans grand succès contre celle des tenants de la radicalité entraînés par J.-M. Le Pen. Mais, fort de sa victoire à Vitrolles par épouse interposée pour cause d'inéligibilité, de sa montée en puissance et de celle de certains de ses amis au sein de l'appareil lors du congrès du FN, à Strasbourg, et, enfin, de sa prise en main de la campagne des législatives au printemps 1997, le délégué général a su faire triompher ses vues, et plus rapidement qu'il ne le pensait. D'abord, parce que, en dépit de la rivalité Le Pen-Mégret, le patron du FN, par tactique, a opéré ce virage sans grande difficulté, voyant dans cette opération l'occasion de « casser » la droite républicaine. Ensuite, parce que la droite républicaine elle-même, déboussolée par la dissolution ratée du mois de juin 1997, s'est engouffrée dans le piège tendu par Mégret d'un soutien sans participation et sans conditions. Contre l'avis de leurs états-majors, Charles Millon en Rhône-Alpes, Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie et Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, tous UDF, n'ont pas hésité à accepter la courte échelle des élus du FN pour conserver ou conquérir leur fauteuil de président de Région. Au RPR, Jean-François Mancel, ancien secrétaire général et nouvel exclu du mouvement néogaulliste, n'a pas eu plus d'états d'âme pour se maintenir à la tête du conseil général de l'Oise. Mégret est loin du compte et de la réalisation de ses ambitions pour espérer sortir victorieux du bras de fer qui l'oppose à Le Pen. D'autant que, en juin 1999, un obstacle de taille se chargera de faire rebondir le conflit entre les deux hommes : les élections européennes. Europe et proportionnelle, un cocktail explosif qui pourrait bien permettre au président du FN de reprendre la main, même s'il est frappé d'inéligibilité.