Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Disciplines

Athlétisme

Quatre records du monde battus, un autre égalé, des courses palpitantes, des révélations, un public chaleureux et connaisseur, le Mondial d'athlétisme de Stuttgart a tenu toutes ses promesses, affichant un niveau d'ensemble supérieur à celui des JO 92. Les grandes tendances constatées à Barcelone se sont confirmées : leadership des États-Unis, déclin des ex-pays de l'Est et plus généralement du Vieux Continent, montée en puissance de l'Afrique et de l'Asie. Par ailleurs, dix champions olympiques barcelonais ont été de nouveau sacrés à Stuttgart. Quant aux deux grands athlètes de la décennie, l'Américain Carl Lewis et l'Ukrainien Sergueï Bubka, ils ont connu des fortunes diverses : l'un poursuit son règne, l'autre l'achève.

En enlevant un quatrième titre mondial d'affilée après ceux de 83, 87 et 91, Bubka entre dans l'histoire et efface de la plus belle des façons son retentissant échec olympique (il avait pris la dernière place du concours des Jeux sans avoir passé la moindre barre). À trente ans, l'Ukrainien reste le maître incontesté de la perche mondiale. Un titre que Carl Lewis ne peut plus revendiquer dans les épreuves de sprint : pour la première fois dans son éblouissante carrière, King Carl est reparti d'un grand rendez-vous sans or. Sa médaille de bronze, obtenue sur 200 m, n'est pour l'athlète de Santa Monica qu'une piètre consolation. Lewis a même failli perdre son record du monde du 100 m. Dans cette finale qui représente toujours le moment fort des compétitions athlétiques, le Britannique Linford Christie s'est emparé définitivement de la couronne de roi du sprint. Champion olympique à Barcelone en l'absence de Lewis, le Britannique d'origine jamaïquaine, âgé de trente-trois ans (deux ans de plus que Lewis), a réussi une nouvelle fois une course parfaite, un modèle d'équilibre entre puissance et vélocité. Il échoue à un centième du record du monde (9″ 87 contre 9″ 86), mais il devance les trois Américains qui avaient juré sa perte et mis en doute l'an passé la valeur de son titre olympique (Lewis avait déclaré après les Jeux : « Le cours de l'or a baissé à Barcelone. »). La victoire de Christie est emblématique de la vitalité de l'athlétisme britannique, qui rafle dix médailles, dont trois titres. Mieux, deux des quatre records du monde ont été battus par deux sujets de Sa Majesté : Colin Jackson sur 110 m haies (12″ 91 contre 12″ 92) et Sally Gunnell sur 400 m haies (52″ 74 contre 52″ 94). La Grande-Bretagne fait presque jeu égal avec la Russie, qui est très loin de retrouver les scores de l'ex-Union soviétique.

Profitant de l'explosion de l'ex-URSS, et de la réunification des deux Allemagnes qui a mis fin aux « méthodes » d'entraînement est-allemandes, l'athlétisme américain domine nettement les bilans. Ses échecs en sprint masculin (100 m, 200 m. 110 m haies) ont été largement compensés par les succès des Michael Johnson, Kevin Young, Mike Powell, Mike Conley, Dan O'Brien, Gail Devers, Jackie Joyner-Kersee, qui ont tous confirmé leur supériorité dans leurs disciplines respectives. Les Américains ont également dominé les relais, véritables juges de paix d'un athlétisme national, le relais 4 × 400 m masculin établissant un nouveau record du monde (2′ 54″ 29 contre 2′ 55″ 74).

Avec 20 médailles et 7 titres, l'Afrique poursuit sa progression au plus haut niveau. Aux médailles promises aux coureurs kenyans et à l'Algérien Morcelli sont venues s'ajouter les victoires de l'Éthiopien Gebresilasié sur 10 000 m, du Namibien Frankie Fredericks, éternel second enfin récompensé sur 200 m, et celle de la jeune Mozambicaine de vingt ans, Maria Mutola, sur 800 m. Intouchables dans les épreuves de fond et de demi-fond, les athlètes africains sont désormais compétitifs dans les épreuves de sprint. Pour preuve, la deuxième place des Kenyans sur 4 × 400 m.

Mais la véritable révélation de ce Mondial est venue d'Asie. Inexistant chez les hommes, l'athlétisme chinois doit à ses très jeunes athlètes féminines une inattendue deuxième place au classement des médailles. Les Chinoises ont survolé les épreuves de fond, réalisant même un triplé historique sur 3 000 m. Des résultats qui ont soulevé nombre d'interrogations sur leurs méthodes de préparation, directement inspirées de l'école est-allemande (des entraîneurs est-allemands exercent aujourd'hui en Chine populaire). Au-delà de la suspicion, au-delà des sifflets du public entendus à chaque succès chinois, on peut se demander si ces championnats du monde n'ont pas constitué les prémices d'une nouvelle hégémonie sur l'athlétisme féminin. Trois semaines après Stuttgart, lors des championnats nationaux, Wang Junxia (vingt ans) confirmait son titre mondial en pulvérisant le record du monde du 10 000 m de 42 secondes (29′ 31″ 78 contre 30′ 13″ 74). Trois jours plus tard, elle s'attribuait le record du monde du 3 000 m (8′ 6″ 11 contre 8′ 22″ 62 à la Russe Kazankina en 84). À ces mêmes championnats, Qu Yunxia, championne du monde du 1 500 m, établissait un nouveau record du monde de la distance (3′ 50″ 46 contre 3′ 52″ 47). Des performances ahurissantes qui ont relancé les polémiques, la Fédération internationale promettant de multiplier l'an prochain les contrôles antidopage sur le territoire chinois.