Panorama

Introduction

Riche en événements, l'année politique semblait néanmoins devoir être sans surprise. La défaite de la gauche aux élections était prévue et nul ne doutait que la cohabitation, pour être un jeu subtil, était inévitable. Et vint, en fin d'année, l'inattendu. D'autant plus surprenant que tout semblait calme de ce côté-là.

« Coluche ou Tapie ?
– Les deux, M'sieur ! »

Huit millions de jeunes de 15 à 24 ans... En ce mois de janvier 1986, Antenne 2 et l'Événement du Jeudi se penchent sur leurs aspirations. Ne seront-ils pas « le pays dès le second millénaire qui commence demain » ? Mais, même si 75 p. 100 des jeunes sondés « redoutent les agressions dans la rue », nulle Grande Peur, ni Grande Illusion ne les agite à l'approche de l'an 2000. Ils aiment la pub, le look, le parfum, le Coca-Cola et la Marie-Brizard ; et, s'ils rêvent de créer leur entreprise, ils cotisent aux restaurants du cœur chers au fantaisiste Coluche, devenu, jusqu'à sa mort accidentelle le 19 juin 1986, un inamovible – quoique officieux – superministre de la Charité publique.

Bref, une jeunesse sage, studieuse, réaliste, aux aspirations « entrepreneuriales » et qui, si elle cherche ce supplément d'âme sans lequel il ne saurait y avoir de « vraie jeunesse », l'a trouvé prosaïquement dans l'Hexagone en faisant sienne une grande cause nationale qui fait l'unanimité de la classe politique : la solidarité avec les « nouveaux pauvres ». Dans les classes terminales, les premiers enfants des soixante-huitards ne connaissent de Guevara et d'Hô Chi Minh que ce qu'en disent leurs manuels scolaires. Leurs héros à eux seraient plutôt – s'il faut en croire les sondages – à chercher quelque part entre business et show biz.

Sage, cette jeunesse le restera d'ailleurs toute l'année. Trop, peut-être, au goût de la gauche, lorsque, dans un printemps aux froideurs attardées d'hiver, les 18 à 24 ans apportent, le 16 mars, 50 p. 100 de leurs suffrages à la droite (et même 53 p. 100 pour les plus jeunes d'entre eux, les 18-20 ans). Du jamais vu dans une sociologie électorale qui, habituellement, constate que la jeunesse penche plutôt à gauche.

Trop sage, peut-être, aux yeux de la droite, lorsque, dans un hiver aux moiteurs de printemps, défilant par centaines de milliers à Paris et en province, elle le fait en si bon ordre et avec un visage si bon enfant – ni drapeaux rouges, ni Internationale – que, seuls, casseurs... et forces de l'ordre semblent porter alors, aux yeux de l'opinion, la responsabilité des inévitables violences de fin de manif.

Comment résister à une jeunesse si sage – aux antipodes de celle de mai 1968 – sans risquer de voir une crise sociale succéder à une crise universitaire ? Et ce, pour un énième projet de réforme universitaire que très peu de Français, hormis les lycéens et les étudiants, ont lu et dont l'auteur même – le très discret ministre aux Universités, Alain Devaquet – n'a jamais cru devoir démentir l'insistante rumeur selon laquelle il ne l'a rédigé, à son corps défendant, que pour payer quelque dette postélectorale à ceux que l'on commence, en ce dixième mois de cohabitation, à appeler les « ultras » du libéralisme.

Ce fut, les 6 et 7 décembre, pour le Premier ministre Jacques Chirac, le plus long week-end de l'année. La pluie et les nuages revenus semblaient faire escorte à la dépouille d'un étudiant décédé des suites d'une « bavure » policière. Télévisions et radios répercutaient l'appel d'une coordination étudiante qui, maniant l'apolitisme avec une maestria à laisser pantois monsieur Barre, invitait les syndicats à se joindre à une « grande manifestation populaire ». Peu enthousiastes, mais craignant de ne pas tenir leurs troupes, André Bergeron (Force ouvrière) et Edmond Maire (CFDT) adjuraient le Premier ministre de retirer ce projet de loi. Le lendemain, lundi, la Bourse enregistrait, à l'ouverture, une forte baisse et, sur toutes les places financières, le franc était attaqué. À 13 heures, le Premier ministre annonce le retrait de la loi Devaquet.