Les choses sont donc claires. Le pape juge la situation présente injuste : « Il faut que les choses changent ici », dit-il à Haïti au terme de son voyage. Mais ce changement ne peut être fait par la violence, seulement « par des réformes adéquates et par l'observation des principes de la démocratie sociale », ainsi qu'il le répète le 16 mars à son retour à Rome. Dans cette perspective, le pape insiste sur la nécessaire unité des catholiques autour des évêques, le non-engagement politique ou social des prêtres.

Amérique latine

Les autorités religieuses au Chili interviennent publiquement à plusieurs reprises pour dénoncer les violations des droits de l'homme. En mars 1983, le vicaire général de Santiago, Juan de Castro Reyes, chargé par le cardinal Raul Silva Henriquez de ce qu'il appelle la « solidarité », c'est-à-dire l'aide aux détenus politiques, publie un long rapport qui constate notamment : « Les droits à l'intégrité physique et psychologique des détenus ne sont pas garantis au Chili, bien que la Constitution le proclame. La torture est toujours utilisée au Chili comme méthode policière ». Des tableaux statistiques annexés à ce rapport font état de 1 213 arrestations « portant atteinte aux droits à la liberté personnelle et à la sécurité individuelle ».

Le 24 juin, un nouveau communiqué de l'épiscopat demande à tous les Chiliens de ne pas « répondre à la violence par la violence » et réaffirme les droits aux libertés individuelles, syndicales, judiciaires, etc.

Entre-temps, les 16 et 19 mars, le gouvernement chilien avait décidé d'expulser trois prêtres étrangers, deux Irlandais et un Australien, accusés d'activités « à caractère politique », ce qui a provoqué une protestation du cardinal Raul Silva Henriquez, lue en chaire dans toutes les églises.

La situation en Argentine provoque l'intervention du cardinal brésilien Évariste Arns, archevêque de São Paulo, qui remet le 17 janvier au pape un rapport sur la disparition de 7 921 personnes depuis 1976. Il indique que l'on a « menti jusqu'à la nausée à Dieu et au monde au sujet du sort des prisonniers ».

Les mystères du voyage en Pologne

Le deuxième voyage du pape en Pologne, à partir du 16 juin, est bien sûr l'un de ses grands actes de l'année (entre-temps, il s'était rendu à Milan, du 20 au 22 mai, pour participer à la clôture du Congrès eucharistique national d'Italie). Ce voyage, d'abord prévu pour 1982, avait dû être ajourné en raison de la proclamation par le gouvernement polonais de l'« état de guerre » : les autorités polonaises craignaient les répercussions d'une telle visite, et Jean-Paul II ne tenait pas à se rendre dans le pays sans que soient remplies certaines conditions, par exemple le vote d'une loi d'amnistie.

À Varsovie, lorsque, le 17 juin au matin, Jean-Paul II rencontre au palais du Belvédère les plus hautes autorités du pays, les positions sont indiquées clairement de part et d'autre. Le général Jaruzelski explique : « Nous comprenons que le pape polonais se préoccupe du sort de son pays natal. L'entente nationale est indispensable en Pologne. La récente période a apporté un notable progrès sur cette voie. Les différences dans les diverses visions du monde n'y mettent pas obstacle. » Mais Jean-Paul II se réfère, lui, très clairement, aux accords de Gdansk : « Je ne perds pas l'espérance que ce moment difficile puisse ouvrir la voie au renouveau social, dont le début a été constitué par les accords en matière sociale que les représentants des autorités de l'État ont passés avec les représentants du monde du travail. (...) »

Solidarité

Cela dit, le pape commence son voyage d'une semaine qui l'amènera dans les principales villes du pays — mais pas à Gdansk. Partout, il est accueilli par des foules énormes (deux millions de personnes le 19 juin sous les murs du monastère de Jasna Gora) portant de multiples oriflammes et banderoles sur lesquelles on remarque souvent l'insigne du syndicat Solidarité. Le pape rappelle d'ailleurs (notamment à Katowice où il parle nommément de Solidarité) l'exigence d'indépendance syndicale, et multiplie, dans ses interminables homélies et discours, les appels à la concorde et à la liberté. Le voyage prend une telle tournure qu'une nouvelle rencontre entre le pape et le général Jaruzelski apparaît nécessaire (sans qu'on sache encore clairement dans quelles conditions elle a été décidée). C'est le 22 juin dans la soirée que le général Jaruzelski arrive à Cracovie pour rencontrer le pape. Au terme de l'entretien de 75 minutes, un communiqué exprime l'espoir que « les contacts entre le Saint-Siège et la République polonaise serviront pour le bien du pays et de l'Église ». Aux yeux de nombreux observateurs, cela signifie que désormais le Vatican (et non plus l'épiscopat polonais) devient l'interlocuteur privilégié et reconnu par les autorités civiles pour traiter des affaires polonaises.