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Énergie

Faire face à l'anarchie du pétrole

Les secousses imprimées depuis 1974 à l'économie de l'énergie dans le monde par les événements du Moyen-Orient (Journal de l'année 1973-74) se sont encore aggravées en 1979-1980. Jamais, sur le marché pétrolier, la confusion n'a été aussi grande. Mais aussi des orientations, des décisions ont été prises en Occident — tardives, certes, et encore sporadiques — en vue de s'affranchir d'une trop grande dépendance du pétrole. Il serait risqué de dire que l'horizon est désormais dégagé, mais du moins commence-t-on à voir s'inscrire dans les faits les transformations en profondeur que les experts préconisaient depuis longtemps.

Escalades

Le second choc pétrolier, provoqué par la révolution iranienne, a achevé de briser les anciennes structures du marché du pétrole. Il y a dix ans, le cartel des compagnies internationales maintenait une stricte discipline des prix dans le monde entier, tout en satisfaisant sans défaillance des besoins en rapide croissance.

Après 1973, ce pouvoir passa aux mains de l'organisation des pays producteurs, l'OPEP. Mais l'autorité de celle-ci sur ses membres n'a cessé de se dégrader, le plus puissant d'entre eux — l'Arabie Saoudite — parvenant de plus en plus difficilement à faire prévaloir ses vues modérées.

Le 28 juin 1979, réunie à Genève, l'OPEP portait le prix de base du pétrole brut (respecté par l'Arabie et les Émirats) de 14,5 à 18 dollars le baril, mais laissait aux autres pays membres la liberté d'élever le leur jusqu'à un plafond de 23,50 dollars, possibilité dont profitaient aussitôt l'Algérie, le Nigeria et la Libye. Dès octobre, aiguillonnée par la flambée du marché libre de Rotterdam, la hausse repartait dans le désordre au-delà de ce plafond, à l'initiative de l'Iran, de l'Iraq, de la Libye, du Koweït, du Mexique, mais aussi du pétrole anglais de la mer du Nord. Dans un effort pour rétablir un semblant d'unité, l'Arabie Saoudite portait son prix, le 13 décembre 1979, de 18 à 24 dollars le baril.

Fin décembre, une nouvelle conférence de l'OPEP se réunissait à Caracas, mais devait se séparer sans être parvenue à s'entendre pour respecter un barème commun. Et, dès le début de 1980, l'escalade reprenait : 30 dollars le baril algérien, 35 dollars l'iranien et le nigérian... L'OPEP avait complètement perdu la maîtrise des prix. Un chiffre permet de mesurer les conséquences de cette anarchie : entre la fin 1978 et mars 1980, le coût des approvisionnements pétroliers de la France s'est accru de 130 % !

Prix et production

Dans une économie de marché classique, les fabuleuses possibilités de gain ainsi offertes auraient pour effet de multiplier la production, et ainsi de rééquilibrer l'offre et la demande. Malheureusement, il n'en va pas ainsi avec le pétrole, parce que la mise en exploitation de nouvelles ressources demande beaucoup de temps et d'argent, et qu'en tout état de cause les pays de l'OPEP, qui assurent l'essentiel des exportations mondiales, ont plus intérêt à laisser monter les prix qu'à produire davantage. En fait, certains ont même délibérément réduit leur production dès 1979 (Algérie, Gabon, Iran) et d'autres (Libye, Venezuela, Koweït) pensent de plus en plus à suivre cet exemple. Si la production mondiale de brut s'est maintenue en 1979, c'est grâce à la montée en puissance de producteurs récents extérieurs à l'OPEP, tels que le Mexique et la mer du Nord.

Les pays importateurs se trouvent ainsi devant la pénible perspective d'un pétrole de plus en plus rare et de plus en plus cher. La parade est bien connue : économiser sur la consommation, développer de nouvelles sources d'énergie. Il semble que, maintenant, les gouvernements soient sérieusement décidés à agir en ce sens.

Stratégie commune

Le 29 juin 1979, juste après la réunion de l'OPEP de Genève, les sept grandes puissances occidentales, réunies au sommet à Tokyo, s'engageaient à limiter leurs importations de pétrole en 1985 à des tonnages égaux (ou, dans le cas du Japon, légèrement supérieurs) à ceux de 1978. Sans doute, le choix des moyens pour atteindre cet objectif — au reste modéré — est-il laissé aux soins de chaque gouvernement, et bien des à-coups peuvent se produire d'ici là. Mais c'est la première fois que l'Occident fait ainsi bloc pour opposer une stratégie commune à celle des pays producteurs.