Près de 15 % de la population active est au chômage, l'inflation a atteint 16 % en 1978 et le déficit de la balance commerciale est en constante augmentation. Un grand nombre d'entreprises présentent des bilans négatifs. « Une conscience autogestionnaire insuffisamment développée », qui se manifeste par une mauvaise organisation du travail, l'indiscipline, le gaspillage, en est la cause selon les autorités. Remède-punition : la loi sur le travail associé, adoptée en 1976 et qui interdit le versement intégral des salaires dans les entreprises déficitaires, est appliquée pour la première fois en novembre 1978. Les 600 000 ouvriers des firmes non rentables ne perçoivent plus que le salaire minimum garanti (environ 700 F). Ce qui explique, entre autres, la centaine d'arrêts de travail enregistrée au cours de 1978.
En dépit de ces aspects négatifs, la contestation du régime semble limitée. Cela n'empêche pourtant pas en décembre Vladimir Bakaric, membre de la présidence collégiale, de dénoncer devant le Comité central de la Ligue ces opposants de tous bords, « nationalistes, kominformistes et autres », qui tentent de se regrouper autour d'une « plate-forme politique centrée sur les droits de l'homme pour nous faire le plus de mal possible ». « Nous ne pouvons plus les tolérer, déclare à son tour, deux jours plus tard, le numéro un yougoslave devant les cadres de l'armée. Il nous faut être un peu plus sévère, sinon notre comportement pourrait être interprété comme de la faiblesse alors que nous ne craignons personne. »
Diplomatie
Cette affirmation peut parfaitement s'appliquer au domaine de la politique étrangère. Fort de la cohésion du pays qu'il a su imposer, Tito veut désormais consacrer ses dernières années à consolider la position internationale de la Yougoslavie dont la règle diplomatique essentielle reste le non-alignement. Nonobstant les événements, le maréchal réussit à établir des relations confiantes, ou au moins correctes, à la fois avec Washington et avec les deux frères ennemis Moscou et Pékin.
Du 21 au 29 août 1978, un an après sa visite en Chine, il reçoit à Belgrade le numéro un chinois Hua Guofeng, mais affirme — manifestement à l'intention de l'URSS — que le rapprochement avec Pékin ne doit pas se faire « aux dépens des bonnes relations que nous avons avec d'autres pays ». De fait, et malgré la prise de position anti-soviétique lors de l'invasion du Cambodge par les troupes vietnamiennes — attitude violemment dénoncée par la presse moscovite —, Tito se rend du 16 au 21 mai à Moscou. Il peut affirmer avec Leonid Brejnev qu'en dépit de divergences sur certains problèmes les rapports entre les deux pays sont « positifs ». Ils se concrétisent notamment dans le domaine économique. Avec 3,2 milliards de dollars d'échanges, l'URSS est devenue en 1978 le premier partenaire commercial de la Yougoslavie.
Hormis le problème de la Macédoine, revendiquée par la Bulgarie que l'URSS soutient en sous-main, c'est l'avenir du mouvement des non-alignés qui provoque le plus de divergences avec Moscou. Belgrade constate en effet l'influence prépondérante de l'Union soviétique sur des pays comme Cuba, le Viêt-nam, l'Afghanistan, l'Éthiopie ou le Mozambique. L'aide matérielle, et surtout militaire, qu'elle leur apporte les satellise peu à peu et fait d'eux des États qui n'ont plus de non alignés que le nom. Pour Belgrade, champion de tous ceux qui cherchent à se dégager de l'empire des blocs, c'est une attitude difficile à admettre.
Ce qui explique peut-être qu'entre la Conférence des 84 non-alignés qui s'est tenue à Belgrade en juillet 1978 et la prochaine conférence qui aura lieu en septembre 1979 à La Havane, le maréchal Tito ait multiplié les visites dans ces pays. En février, il entreprend un voyage de deux semaines au Koweït, en Iraq, en Syrie et en Jordanie. Fin mai, à peine rentré de Moscou, il quitte de nouveau Belgrade pour l'Algérie, la Libye et Malte, avant d'envisager une tournée en Angola et au Nigeria.