Information

Un équilibre instable

Une année de combats pour son indépendance et sa survie : tel a été l'objectif de la presse en 1972-73, tandis que la crise, dont le processus est amorcé depuis plusieurs années, a, sans être complètement enrayé, marqué le pas. Encore des disparitions de titres, mais également, cette fois, des créations. Et, surtout, une volonté plus nette que les précédentes années de voir définie la place de l'information dans la société moderne.

Combat : celui que mène Lutte ouvrière contre les militants CGT des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), qui bloquent la diffusion de plusieurs numéros en juillet et août. Raison invoquée : répondre à des provocations gauchistes. Curieuse façon de concevoir la liberté d'expression que celle qui consiste à se faire l'instrument d'une pression idéologique. Naturellement, la direction des NMPP désavoue auprès de la CGT ce genre de représailles, et les syndicats nationaux de journalistes (SNJ, CFDT, FO) joignent leurs protestations à celles des publications d'extrême gauche.

Combat encore : celui qu'entreprennent le directeur de l'hebdomadaire La Manche libre et le Syndicat national de la presse périodique contre deux journaux gratuits distribués dans la région de Saint-Lô. Ce n'est pas la première fois que cette forme abâtardie de la presse, tirant ses revenus uniquement de la publicité et pernicieuse en ce qu'elle déshabitue le lecteur de contribuer aux moyens d'existence de l'information, est mise en accusation. Mais, cette fois, les tribunaux devront se prononcer.

Ce n'est pas seulement au niveau des organes de presse que le combat se poursuit, mais également au niveau des hommes et des idées. Retombée de l'affaire de Bruay-en-Artois, le problème du secret de l'instruction se trouve posé avec une nouvelle acuité.

En Corse, l'affaire des boues rouges pose le problème du secret professionnel. Sur réquisition du parquet, les pellicules prises par les photographes des quotidiens Nice-Matin et Le Provençal lors des manifestations sont saisies à Bastia. « On veut faire de nous des indicateurs de police » déclarent les reporters, qui constatent que « jamais une telle atteinte n'avait été portée, non seulement aux droits mais aux devoirs absolus de notre métier ». L'Union nationale des syndicats de journalistes (UNSJ) demande avec fermeté la reconnaissance légale du secret professionnel des journalistes et lance un appel au garde des Sceaux. Cette question, évoquée à plusieurs reprises au cours des dernières années, est toujours en suspens. Un Manifeste comportant 413 signatures exprime clairement la volonté des journalistes de trouver une solution.

Aides

Pourtant, les rapports entre la presse et l'État, s'ils sont parfois dénués d'aménité, ne laissent pas dans l'ombre l'examen des questions essentielles. Jean Serisé – PDG du Comptoir des entrepreneurs – remet le rapport (demandé par Jacques Chaban-Delmas) qu'il a établi après ses entretiens avec les représentants de la presse et de l'Administration. Il suggère qu'un traitement préférentiel soit accordé aux journaux peu publicitaires ; cette aide pourrait porter sur des tarifs préférentiels aux journaux de poids léger (l'aide représenterait environ de 3 à 4 millions de F), le papier serait moins cher pour les journaux dont les recettes publicitaires sont peu importantes ou qui ont peu de surface publicitaire.

De son côté, Alain Griotteray préconise de fixer pour trois ans le régime fiscal des entreprises de presse, en permettant à l'ensemble des publications de provisionner 80 % de leurs bénéfices pour les consacrer aux investissements nécessaires.

Ces différentes études et propositions ne restent pas lettre morte. Philippe Malaud, alors qu'il n'est encore que secrétaire d'État auprès du Premier ministre, annonce à l'Assemblée, le 15 novembre 1972, certaines mesures :
– maintien du régime fiscal exceptionnel réservé aux investissements de la presse. Le taux des bénéfices admis en provision est porté à 80 % pour les quotidiens et à 60 % pour les autres publications. Cette mesure est étendue aux journaux d'information générale de province paraissant au moins une fois par semaine ;
– réduction de 50 % du tarif postal pour les journaux routés au bénéfice des quotidiens et des hebdomadaires de moins de 70 grammes ;
– aide spécifique (sous forme d'achat de lignage au bénéfice des grandes causes d'intérêt national) aux quotidiens dont les ressources ou la surface publicitaire sont inférieures à un certain montant.