Aux États-Unis également la situation de la presse semble se dégrader. Un an après Look, Life disparaît, victime de son succès. Ce magazine, l'un des plus connus du monde, illustre ce paradoxe spécifique aux industries de presse : il existe une disproportion trop importante entre le revenu que chaque numéro procure à l'entreprise et son prix de revient. Avec ses huit millions de lecteurs, Life perdait de l'argent. D'autant plus qu'il devait faire face à une augmentation des tarifs postaux de 170 % en cinq ans et que ses recettes publicitaires avaient considérablement baissé : 91 millions de dollars en 1972, contre 169,6 millions en 1966.

La mort de ce géant n'est pas le seul motif d'inquiétude : le divorce entre le président Nixon et la presse s'accentue. En butte à des difficultés de toutes sortes depuis la publication des Dossiers du Pentagone, l'information est tenue pour suspecte. Une demi-douzaine de journalistes sont emprisonnés pour avoir refusé de livrer leurs sources. L'un d'eux, William Farr, ancien reporter du Los Angeles Times, reste quarante-six jours en prison.

Mais la presse américaine ne livre pas que des batailles perdues. Un quotidien libéral, le Washington Post, dénonce, au fil des mois, le scandale du Watergate. À ses révélations, le pouvoir oppose le plus profond mépris ; à son enquête, l'entourage du président Nixon répond par de cinglants démentis, jusqu'au jour où le faisceau de preuves, inattaquables, met en lumière la corruption, l'affairisme et les méthodes louches. L'édifice de respectabilité s'écroule : la Maison-Blanche présente ses excuses au Washington Post. Le prix Pulitzer est décerné au journal. Mais son action, sa ténacité, son courage ont une autre ampleur : c'est le rôle que peut jouer une presse libre dans un pays démocratique.

Édition

Stationnaire, le bulletin de santé de l'édition n'incite ni à l'optimisme ni au pessimisme.

Pourtant, cette année, un vaste marché s'ouvre aux éditeurs – et aux écrivains – avec l'adhésion de l'Union soviétique à la Convention universelle sur les droits d'auteurs de Genève. C'est là une mesure importante ; ce pays publie chaque année quelque 2 500 titres, dont certains sont traduits dans une cinquantaine de pays. Cet accord international implique l'obligation de porter la durée de protection des œuvres à 25 ans post mortem (alors qu'elle n'était que de 15 ans) et l'octroi d'un droit exclusif de traduction.

Cette normalisation des relations avec le monde occidental pose le problème des écrivains dissidents. Les autorités pourront désormais se retourner contre un auteur – s'il reconnaît avoir accordé des droits de traduction sans passer par les filières étatiques – ou contre les éditeurs en violation de la Convention universelle si l'auteur déclare être étranger à la publication d'une œuvre tenue pour suspecte dans son pays.

À la XXIVe Foire du livre de Francfort (3 500 éditeurs, 60 pays), les contrats de coédition connaissent une vogue croissante tandis que le Ve Festival du livre de Nice regroupe 500 éditeurs de 38 pays, soit 40 % de plus que l'an passé et accentue son caractère d'animation culturelle. Au passif de l'année s'inscrivent les difficultés d'exploitation suscitées par le ministère des Finances et les nombreux procès intentés aux éditeurs.

Les premières résultent d'une baisse autoritaire de 20 centimes sur le livre de poche (qui entre dans le calcul de l'indice du coût de la vie). Président du Syndicat national de l'édition, Étienne Gillon proteste fermement auprès de Valéry Giscard d'Estaing : « Cette attitude paraît incompatible avec la politique de concertation fréquemment affirmée par vous-même et vos représentants. Les mesures prises ne tiennent aucun compte des réalités économiques. » En effet, les prix des livres de poche – extrêmement bas – sont calculés au plus juste et la marge bénéficiaire n'a cessé de s'amenuiser en raison des augmentations des prix de fabrication.

Cette différence de 20 centimes, qui, par elle-même, paraît peu importante, atteint des sommes élevées si l'on considère les dizaines de milliers d'exemplaires de ce genre de publication. Sont touchés Le livre de poche, Presse-Pocket, J'ai lu, Marabout, et surtout Folio. Cette dernière collection, créée par Claude Gallimard, compte maintenant 250 titres. Le plan d'investissement d'un programme à long terme a été calculé sur un prix de vente de 4 F. Une perte de revenus implique l'obligation d'écarter de la collection les ouvrages de diffusion restreinte. Pénaliser la qualité paraît être une politique regrettable et difficilement défendable.

Justice

Après la saisie de l'ouvrage d'André Passeron De Gaulle, 1958-1969, à la demande des héritiers de l'ancien président de la République, se pose la question de savoir si les paroles prononcées publiquement par un homme d'État sont susceptibles d'appropriation privée. Estimant que « leur devoir moral est de veiller au respect du message spirituel et politique du général de Gaulle », ses héritiers (et la Librairie Plon) obtiennent en première instance des dommages et intérêts d'André Passeron et des Éditions Bordas, qui ont reproduit de longs extraits des discours et conférences de presse sans autorisation. Un accord amiable intervenant entre les parties avant le procès en appel, le problème soulevé reste en suspens.