Comment trancher ce nœud d'ailleurs, dès lors que Flamands et francophones continuent de faire valoir des points de vue diamétralement opposés ? Les francophones souhaitent que les Flamands s'inclinent devant une donnée sociologique indéniable : la capitale est peuplée de francophones à concurrence de 80 %. Les Flamands opposent à cet état de fait un principe : la capitale d'un pays où coexistent deux communautés linguistiques doit être bilingue. Chaque groupe accuse l'autre d'impérialisme. Selon les Flamands, les francophones veulent franciser systématiquement les gens du Nord qui s'établissent dans la capitale ; selon les francophones, les Flamands veulent imposer artificiellement l'usage de leur langue aux habitants de Bruxelles.

Le gouvernement s'efforce de défaire tout doucement le nœud en effilochant la corde. Il laisse passer les vacances de l'été 1970. Dans tous les groupes politiques, l'idée prévaut, à ce moment, qu'aucune initiative ne pourrait plus être prise avant les élections communales. Celles-ci ont lieu le 11 octobre. Plus de 6 millions d'électeurs se rendent aux urnes ; les jeunes gens ayant atteint l'âge de dix-huit ans accompagnent pour la première fois leurs aînés.

Bruxelles

Si dans les villes et les villages de Flandre et de Wallonie le scrutin garde sa valeur traditionnelle de consultation municipale et ne vise qu'à sanctionner la gestion locale des hommes au pouvoir, il n'en est pas de même dans l'agglomération bruxelloise. Là les élections prennent valeur d'épreuve de force politique entre partenaires et adversaires du compromis gouvernemental, et, à certains égards, valeur aussi de recensement linguistique.

Le résultat de ces élections est clair et on peut le synthétiser dans la formule suivante : le Parti socialiste belge (PSB) est vainqueur dans le pays, le Front démocratique des francophones (FDF) est premier à Bruxelles. Ce parti, allié au plan national avec le Rassemblement wallon, recueille 170 077 des 459 604 voix obtenues par les cinq formations qui s'étaient réunies en un Comité de salut public pour s'opposer aux dispositions du plan Eyskens relatives à Bruxelles. Les partisans de ce plan recueillaient 125 300 voix, dont 107 782 s'étaient portées sur la liste UAB (Union pour l'avenir de Bruxelles, dirigée par Paul Vanden Boeynants, ancien Premier ministre social-chrétien). Le FDF devient donc la première force politique à Bruxelles et ses représentants font leur entrée dans une série de collèges échevinaux.

Ils enlèvent de plus, 4 sièges de bourgmestres. À Bruxelles-Ville, noyau des 19 communes, un accord est conclu entre le PLP (Parti pour la liberté et le progrès), l'UAB et le PSB. Cet accord précipite la crise au sein de la fédération PLP de l'arrondissement, dont les éléments alliés au FDF ne peuvent admettre que l'on s'entende avec l'UAB. Cette crise secoue le parti tout entier : un député du groupe se met à siéger sous l'étiquette libéral indépendant (G. Mundeleer) et un parti radical se crée en Wallonie, qui se réclame des principes traditionnels du libéralisme.

Les semaines qui suivent les élections sont consacrées à la mise en place des nouveaux collèges et conseils communaux. C'est, pour le gouvernement, un répit bienvenu. La Chambre ne reprend l'examen du dossier communautaire, et en particulier des problèmes de la future organisation de Bruxelles, qu'au mois de décembre.

Le Premier ministre fait, au préalable, une communication aux Chambres, laquelle doit, à ses yeux, apporter aux francophones de la capitale les apaisements que ceux-ci peuvent souhaiter. Le gouvernement, sous la pression de son aile flamande, maintient cependant la proposition de limiter la région bilingue de Bruxelles-capitale à ses 19 communes actuelles.

Les articles controversés de la révision de la Constitution sont finalement votés à la Chambre après un débat marathonien de douze heures, dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 décembre 1970.

Le quorum des présents est atteint, cette fois, grâce au ralliement de députés wallons du PLP. Les dirigeants du parti d'opposition obtiennent en contrepartie que le gouvernement s'engage à mettre en place les nouveaux organes d'administration qui permettraient de rétablir, à la date du 1er septembre 1971, la liberté du père de famille (le droit pour le père de famille bruxellois de choisir librement le régime linguistique d'enseignement pour son enfant). À la veille des fêtes de Noël, les derniers votes sont exprimés dans les deux Assemblées.

TVA

Le régime fiscal de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) entre en vigueur au 1er janvier 1971. Il se substitue à l'ancien système de la taxe de transmission, déjà abandonné dans la plupart des pays du Marché commun. Immédiatement, on assiste à un fort mouvement de mécontentement au sein des classes moyennes. Plusieurs groupements qui les représentent font bloc pour s'opposer à l'obligation d'un versement provisionnel.