Après deux mois de calme relatif, une flambée de violence embrase, le 12 juillet 1969, les six comtés de l'Ulster, à l'occasion du défilé, à Belfast et dans dix-sept autres localités, de plus de 100 000 membres de l'ordre protestant d'Orange commémorant l'anniversaire de la victoire de Guillaume d'Orange sur le catholique Jacques II, en 1660. Ces manifestations sont ressenties comme une provocation par la communauté catholique, lasse d'attendre les réformes qui atténueront la domination politique, économique et culturelle exercée par la majorité protestante. Les bagarres entre catholiques et protestants font plusieurs dizaines de blessés. À Londonderry, ville à majorité catholique, les policiers font usage de leurs armes ; deux personnes sont blessées par balle dans Bogside, le quartier pauvre où les catholiques se sont barricadés. Des incendies éclatent à Belfast. Le gouvernement décide de renforcer les effectifs des forces spéciales B, unités supplétives de police formées de volontaires exclusivement protestants. La décision est très mal accueillie par les catholiques, qui honnissent la force B pour son sectarisme religieux et sa violence.

Dans les premiers jours d'août, de violentes bagarres éclatent à Belfast et tournent rapidement à l'émeute. À Londres, le gouvernement travailliste de Harold Wilson commence à envisager l'éventualité d'une intervention en Ulster, au cas où la situation continuerait à se détériorer. À la Chambre des communes, Bernadette Devlin, ardente militante du Mouvement pour les droits civiques et député catholique nouvellement élu de l'Ulster, demande au gouvernement de placer le ministère de l'Intérieur de l'Irlande du Nord sous sa juridiction. Mais les milieux gouvernementaux de Londres comme ceux de Belfast redoutent que toute intervention directe des forces britanniques n'implique une révision des rapports constitutionnels entre les deux pays.

La journée du 12 août

Pendant une semaine, un calme lourd de menaces s'étend sur les six comtés. La tension est extrême à Belfast ; catholiques et protestants parcourent les quartiers qui ont été le théâtre des récents événements et invitent la population à la plus grande vigilance. Tout le monde attend avec angoisse la journée du 12 août, le jour où défileront à Londonderry les apprentis des loges d'Orange. Ces loges, qui regroupent plus de 100 000 protestants, constituent une sorte de franc-maçonnerie puissante et efficace. Ses partisans sont fiers de dire que l'ordre d'Orange est l'« épine dorsale de l'Ulster ». Il régente l'Irlande du Nord par l'intermédiaire du parti unioniste. Aucun gouvernement ne peut se soustraire à son influence. Sur les 36 députés unionistes du Parlement de Belfast, 31 appartiennent à l'ordre. Personne ne peut gouverner sans son appui.

Comme on le redoutait, le défilé de Londonderry dégénère en émeutes sauvages qui mettent aux prises catholiques d'un côté, policiers et protestants de l'autre. Retranchés derrière des barricades dans leur quartier de Bogside, les catholiques repoussent les assauts de leurs adversaires. Du fond de leur réduit, les militants du Mouvement pour les droits civiques lancent un appel aux volontaires de toute l'Irlande, y compris celle du Sud, pour venir en aide aux assiégés de Londonderry. En pleine bataille, Bernadette Devlin, qui est à son poste sur les barricades, s'adresse au gouvernement britannique pour lui demander de suspendre la constitution de l'Ulster et de convoquer immédiatement une conférence composée de représentants des gouvernements de Belfast, de Londres et de Dublin, et des diverses tendances du Mouvement pour les droits civiques.

De Londonderry, les émeutes s'étendent à huit autres villes, dont Belfast. En trois jours, elles vont faire 8 morts et plus de 500 blessés, malgré l'intervention des troupes britanniques qui essaient de se substituer à la police locale partout où les adversaires sont directement en contact.

Politique de discrimination

Cette fois, on a dépassé largement les habituels affrontements entre catholiques et protestants. Si l'antagonisme entre les deux parties atteint ce degré dans la violence, ce n'est pas tant parce qu'il est religieux que parce qu'il est social, économique, politique et même racial. Il oppose les Celtes aux Anglo-Saxons, les pauvres aux riches, les colonisés aux colonisateurs. D'ailleurs, les orangistes en oublient leur dénonciation de la « conspiration papiste » et parlent d'un « complot communiste international ». Quant aux extrémistes catholiques, ils légitiment leur recours à la violence comme étant « la révolte d'une minorité victime d'un véritable génocide ».