premier Empire
Régime politique établi en France le 18 mai 1804 par Napoléon Ier et qui dura jusqu'au 6 avril 1814.
1. Les origines
Le coup d'État des 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799) institue le Consulat et porte le général Bonaparte au pouvoir. En théorie, la République continue : elle inscrit son nom sur les pièces de monnaie et sur les documents officiels. Son effigie, ses emblèmes, ses chants, son drapeau demeurent. Mais en cinq ans, la France devient un vaste chantier où les finances, l'administration, l'État, l'économie et la société sont reconstruits. Bonaparte établit la paix à l'intérieur et à l'extérieur ; les Français, d'abord réticents, se rallient à sa personne jusqu'à en faire un nouveau monarque, un empereur, un « roi du peuple ».
L'établissement de la monarchie impériale résulte du sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1804) [ou Constitution de l'an XII], approuvé massivement par plébiscite (6 novembre), qui confie le gouvernement de la République au Premier consul avec le titre d'Empereur des Français, et proclame la dignité impériale héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte. Le nouveau régime complète ses attributs par le sacre à Notre-Dame de Paris de Napoléon Ier (2 décembre 1804), par la création d'une cour avec sa hiérarchie (grands dignitaires, grands officiers civils et militaires, dont dix-huit maréchaux) et d'une noblesse d'Empire (1806, 1808).
2. Le despotisme
2.1. Des libertés bafouées
L'Empire se veut l'aboutissement de la Révolution, désormais close, dont il est chargé de préserver les conquêtes essentielles (égalité civile, respect de la propriété, abolition de la féodalité). Il est la garantie contre le retour de la Contre-Révolution et de l'anarchie jacobine. À ce titre, il justifie la mise en place d'un despotisme centralisateur. Napoléon maintient le système hérité du Consulat qui assure la primauté de l'exécutif sur un législatif impuissant et partagé entre le Conseil d'État, le Corps législatif et le Sénat. Le Tribunat, seule assemblée délibérative, est supprimé en 1807. Les ministres sont de simples agents d'exécution.
La police, confiée à Fouché puis (1810) à Savary, forte de ses multiples informateurs officiels et secrets, est l'instrument du règne par excellence. Elle viole le secret des correspondances, fait comparaître des suspects devant des magistrats serviles ou bien les enferme arbitrairement ; cependant, l'on ne dénombre guère que 2 500 arrestations « politiques » durant tout l'Empire. La liberté individuelle n'est pas respectée.
La liberté d'opinion est abolie : journaux, livres, pièces de théâtre sont objet de censure. La direction des esprits est complétée par la mainmise sur l'Église de France, chargée d'enseigner le catéchisme impérial (publié en 1806) imposant le devoir d'obéissance à l'Empereur (« honorer l’Empereur, c'est honorer et servir Dieu lui-même »), et sur l'enseignement, dont le monopole est donné à l'Université impériale (loi du 10 mai 1806 et décret du 17 mars 1808) qui décerne les grades, baccalauréat et licence, règle la vie et les programmes des professeurs de l'enseignement public ou de l'enseignement privé, toléré mais surveillé, et doit modeler l'opinion morale de la jeunesse.
2.2. Noblesse d’Empire
La cour impériale, formée des princes membres de la famille de Napoléon, des grands dignitaires, des grands officiers de la couronne, et secondée d'une cohorte d'écuyers, de hérauts d'armes et de pages, est destinée à glorifier l'Empereur aux yeux des Français et des étrangers. Elle est un moyen d'attirer les nobles de l'Ancien Régime et de contrôler les grands de l'Empire. Mais Napoléon échoue dans sa volonté de renouveler les fastes de Louis XIV : la cour, où tout se règle « au tambour et au pas de charge », sue l'ennui.
En 1808, Napoléon crée une noblesse impériale. Aux princes et aux ducs s'ajoutent des comtes, des barons et des chevaliers. Napoléon argumente : la nouvelle noblesse, contrairement à l'ancienne, est largement ouverte au mérite et au talent, elle ne dispose pas de privilèges, hormis ceux, honorifiques, qui marquent l'utilité sociale de quelques-uns, premiers dans une société d'égaux. Le raisonnement ne convaincra qu'à moitié les Français, qui estimeront que Napoléon viole ainsi un des principes fondamentaux de la Révolution. Pour le choix des membres de cette noblesse, les critères appliqués sont la fortune ou le mérite acquis au service de l'État : 59 % des 3 263 personnages annoblis sous l'Empire furent des militaires, 22 % des hauts fonctionnaires, préfets, évêques ou magistrats, 17 % des notables, membres des collèges électoraux, maires ou sénateurs. La part laissée au monde du commerce et de l'industrie fut restreinte, comme le fut celle des artistes et des hommes de lettres. Les milieux sociaux les plus représentés furent la noblesse de l'Ancien Régime, les « comtes refaits » (22 %), et la petite et la moyenne bourgeoisie française, belge ou hollandaise. Cette noblesse est un instrument politique : Napoléon espère de cette manière confondre la noblesse d'Ancien Régime dans la nouvelle ; il cherche là encore à rapprocher l'ancienne et la nouvelle élite. Elle est aussi un outil fidèle et dévoué du despotisme.
Pour en savoir plus, voir les articles Ancien Régime, noblesse.
3. La société
3.1. Une France de notables
L'essor de la bourgeoisie
La bourgeoisie voit sa prépondérance consolidée. Les institutions politiques et universitaires lui réservent l'accès aux fonctions administratives. La multiplication de ces fonctions lucratives, les encouragements donnés par l'Empereur aux industriels, aux négociants, aux financiers, et la prospérité générale concourent à son essor. Les notables, maîtres d'un peuple immense de fermiers et de métayers – en 1812, sur 31 851 000 Français, 22 251 000 sont des ruraux –, d'ouvriers, de domestiques et de fournisseurs, rassemblent des nobles de l'Ancien Régime et des propriétaires jadis roturiers ; les notables remplacent les gentilshommes d'autrefois.
La fortune foncière
La société nouvelle est fondée sur la fortune foncière et, dans une certaine mesure, sur le talent et le mérite. Jusqu'en 1808 et la guerre d'Espagne, les notables seront les piliers du régime ; l'aventure guerrière et la crise économique et religieuse de 1810-1811 rompront leur alliance avec l'Empire. Posséder une propriété foncière importante fait le notable : tradition ancienne ancrée dans les mentalités. Beaucoup d'hommes d'affaires, de négociants et d'industriels disposent d'une partie de leur capital pour l'investir dans la terre. Jusqu'en 1811, les conditions climatiques sont favorables aux récoltes, qui se vendent bien. Il n'y a pas de révolution agricole, les techniques anciennes ne se modifient pas, mais les grands propriétaires mettent plus de soin à gérer leurs domaines. C'est le cas notamment des nobles rentrés d'émigration qui retrouvent pour la plupart leurs biens. Le gouvernement pousse aux défrichements, aux assèchements, à l'amendement des terres. Il incite aussi à l'introduction ou au développement de cultures nouvelles comme le maïs et la betterave à sucre pour suppléer les matières jusqu'alors importées et que le Blocus continental interdit d'acquérir.
Le développement du commerce
Les notables qui, à côté de leurs terres, exploitent des maisons de commerce souffrent du blocus des côtes. Ceux de la façade atlantique, jadis prospère, abandonnent ou bien transfèrent leurs affaires vers Paris, le nord et l'est de la France. Jusqu'en 1809, c'est là que se développe le commerce en relation avec le marché européen : la conquête l'ouvre aux entrepreneurs. Le régime facilite ces échanges par la construction de routes dans le Nord-Est, dans les Alpes ou vers l'Espagne : elles ont un but essentiellement militaire, mais elles désenclavent des régions et rendent plus aisées les communications avec le reste de l'Europe.
Naissance de l'industrie contonnière et chimique
Si le paysage industriel reste encore marqué plus par les petits ateliers que par les usines, celles-ci se multiplient. La guerre continuelle n'interdit pas la croissance de certains secteurs qui connaissent un « démarrage » annonciateur de la révolution industrielle du xixe siècle. C'est le cas de l'industrie cotonnière ou de l'industrie chimique qui lui est en partie liée. Là sont à l'œuvre « les aventuriers du siècle », comme les frères Ternaux, qui ont plusieurs fabriques de draps à travers la France et concentrent dans leurs usines machines à filer le coton, à le tisser et à le blanchir. Richard Lenoir fabrique, à Paris et en Normandie, du coton filé, des calicots, des basins et des piqués. Faisant travailler plusieurs milliers d'ouvriers, il dispose d'un capital de 6 millions de francs et d'un revenu de 50 000 F. Il fait partie du Conseil général du commerce, créé par le régime pour développer l'économie, et participe aux expositions qu'organise le gouvernement.
3.2. Paysans et ouvriers
Les gros fermiers connaissent, pour la plupart, une relative aisance, due à l'achat de biens nationaux et à la hausse du prix du grain. Le nombre des propriétaires ruraux s'est élevé de 4 millions en 1789 à 7 millions en 1810. Mais la plupart des paysans ne possèdent pas leur terre. La culture du blé l'emporte toujours sur la prairie artificielle et l'élevage, d'autant que le prix du blé n'a cessé de monter entre 1800 et 1812. Les journaliers ou les domestiques, grâce à la conscription qui allège le poids des jeunes, trouvent plus facilement que jadis du travail. Mais il suffit qu'une crise survienne et ils sont mendiants.
Les ouvriers, soumis à une législation reprise de celles de l'Ancien Régime et de 1791 (interdiction des grèves et des coalitions, livret ouvrier délivré par la police), améliorent, en revanche, leur condition économique, la hausse des salaires dépassant celle du prix du pain (50 % contre 28 %). Malgré la loi, on fait parfois grève, mais la plupart du temps le « pain du despotisme » n'est pas cher, et chacun l'a sur sa table. Là aussi les besoins de l'armée ont raréfié la main-d'œuvre, ce qui a permis une diminution du chômage et une augmentation des salaires. Quelques compagnons parviennent à gravir l'échelle sociale. Des ouvriers qualifiés réussissent à s'établir à leur compte.
Essor démographique
L'élévation du niveau de vie de l'ensemble de la société se traduit par un accroissement de la population, qui augmente de 1 700 000 habitants. Cet essor démographique contribue à la prospérité économique, que favorisent aussi la stabilité de la monnaie (assurée par la loi du 7 germinal an XI [28 mars 1803] qui fixe le poids du franc), le soutien du gouvernement à l'économie et la politique extérieure de Napoléon.
4. Le Grand Empire
Les objectifs de la politique extérieure napoléonienne sont divers et circonstanciels : abattre la Grande-Bretagne, puissance économique concurrente et animatrice des troisième, quatrième et cinquième coalitions contre la France ; renforcer les frontières naturelles ; construire le Grand Empire par la conquête, qui s'explique par la volonté de puissance de Napoléon, et aussi par l'hostilité de l'Europe des rois envers un homme qui demeure, à ses yeux, le soldat de la Révolution.
4.1. La Grande Armée
La conquête de l'Empire est d'abord l'œuvre de l'armée. L'armée de Napoléon est une armée de conscription. Les jeunes âgés de 20 à 25 ans sont inscrits ensemble (« conscrits ») sur les registres militaires. Tous ne partent pas. Un contingent est fixé chaque année. Les soldats sont les hommes qui ont tiré au sort un mauvais numéro. Ils peuvent, s'ils sont riches, se faire remplacer : il leur en coûte jusqu'à 6 000 F. De 1800 à 1814, on voit partir ainsi 2 millions d'hommes, soit 36 % des mobilisables et 7 % de la population. Napoléon fait de plus en plus appel à des contingents étrangers et l'armée de la campagne de Russie en sera composée pour moitié.
Napoléon n'innove guère : les armes données à l'infanterie comme à l'artillerie sont copiées sur les modèles de l'Ancien Régime. Napoléon n'utilisera ni le ballon d'observation ni le sous-marin de Robert Fulton. L'armée est divisée en corps, mêlant infanterie, artillerie et cavalerie légère, aux ordres des maréchaux. La cavalerie lourde donne les coups de boutoir. La Garde impériale forme une masse de manœuvre de plusieurs dizaines de milliers d'hommes. On surnomme les gardes les « immortels », car Napoléon ne les utilise qu'en cas de péril extrême.
Les cadres sont instruits dans des écoles militaires. Le temps manque pour accroître le nombre de ces élèves officiers et, à 90 %, les gradés sortent de la troupe, où ils ont fait preuve de courage et d'initiative. Ce sont des hommes jeunes, bons entraîneurs d'hommes, mais de piètres tacticiens.
La tactique de Napoléon est inspirée de celle des stratèges du xviiie siècle et de l'expérience des guerres de la Révolution : tout dépend « du coup d'œil et du moment ». L'armée est comme une gigantesque main s'ouvrant sur le théâtre des opérations et laissant l'ennemi dans l'incertitude sur le point d'attaque. L'action décidée, la main se referme avec rapidité et le poing frappe et écrase. Les deux manœuvres les plus courantes sont celles que résument les batailles d'Ulm – une action sur les arrières de l'adversaire le coupe de ses zones d'approvisionnement et une attaque de flanc le pousse dans une nasse – et d'Austerlitz, où une masse centrale, obtenue en dégarnissant les secteurs secondaires, fractionne l'armée adverse et accable tour à tour ses divers éléments.
Pour en savoir plus, voir l'article Grande Armée.
4.2. L’Europe comme champ de bataille
De 1805 à 1810, après le désastre naval de Trafalgar (21 octobre 1805), la Grande Armée (200 000 hommes en 1805, 900 000 en 1809 dont 160 000 sont fournis par la conscription) remporte les victoires d'Austerlitz (2 décembre 1805), d'Iéna (14 octobre 1806), de Friedland (14 juin 1807), du col de Somosierra (30 novembre 1808) et de Wagram (6 juillet 1809), qui permettent à Napoléon de dominer l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne et de s’être fait une alliée de la Russie, après Friedland, lors de l’entrevue de Tilsit (→ traités de Tilsit, 1807).
Mais, dès l’origine, la conquête de l’Espagne tourne au désastre. Napoléon s’est persuadé que les Espagnols accepteraient un roi français. Le 23 mars 1808, Murat entre à Madrid. Le 2 mai , la population se soulève (→ El dos de mayo de 1808. L'armée française réprime la révolte dans le sang. Convoquant à Bayonne la famille royale espagnole et jouant de ses dissensions, Napoléon obtient du roi et de son fils une double abdication. Le 10 juillet, il fait de son frère Joseph un roi d'Espagne et de Murat le roi de Naples. Mais l'armée française est mise en échec par les guérilleros espagnols (capitulation, le 19 juillet, du général Dupont à Bailén) et Joseph Bonaparte se retire derrière l'Èbre.
Après l'entrevue d'Erfurt (septembre-octobre 1808), où il consolide ses liens avec la Russie, Napoléon intervient lui-même en Espagne et réinstalle son frère à Madrid, le 4 décembre 1808. Mais Talleyrand et Fouché complotent contre l'Empereur : l'armée, engagée dans une guerre atroce, est en fait prise dans un guêpier ; la bourgeoisie française commence à se méfier de l'« aventurier corse ».
Le Blocus continental (1806-1807), qui vise à acculer la Grande-Bretagne à la négociation par la ruine économique et à donner à la France l'hégémonie sur le marché européen, est aussi une arme de guerre. Cette politique profite jusqu'en 1808 au commerce français. Mais le Royaume-Uni a des atouts pour vaincre le Blocus : sa flotte de guerre qui protège les vaisseaux qui font de la contrebande, la possession de marchés en Méditerranée, en Extrême-Orient et en Amérique. Il parviendra à surmonter la crise, mais le Blocus entraîne Napoléon dans une guerre perpétuelle contre les États qui sont dans la nécessité de commercer avec Londres. Le Blocus distend l'Empire aux dimensions du continent.
4.3. L'Empire des Bonaparte
En 1811, l'Empire français s'étend de Lübeck à Rome sur 130 départements peuplés de 45 millions d'habitants. Autour de lui gravitent des États vassaux (royaumes d'Italie, d'Espagne, de Westphalie et de Naples, Confédération du Rhin et Confédération helvétique) qui lui fournissent argent, hommes, matières premières.
Ces États vassaux sont gouvernés par des parents ou des serviteurs de Napoléon, ou placés sous la protection de l'Empereur. Napoléon a mis en place un système continental fondé sur des alliances matrimoniales. En 1806, Eugène de Beauharnais, fils d'un premier mariage de l'impératrice Joséphine et adopté par Napoléon, a épousé la fille du roi de Bavière. Eugénie de Beauharnais, la cousine d'Eugène, adoptée elle aussi par l'Empereur, s’est mariée avec l'héritier du duché de Bade. Le royaume de Hollande a été confié à Louis Bonaparte, la Westphalie au plus jeune frère de l’Empereur, Jérôme. Depuis 1805, Élisa Bonaparte est princesse de Lucques et de Piombino. Murat, marié à Caroline Bonaparte, a été fait grand-duc de Berg et de Clèves en 1806.
Ces États appliquent le Blocus continental comme les États alliés (Russie, Prusse, Autriche, Danemark, Suède). Une partie de l'Europe est ainsi soumise au système de gouvernement napoléonien et régie par le Code civil. Le Grand Empire qu'elle forme avec la France semble même devoir se perpétuer avec la naissance du roi de Rome (1811), fils de Marie-Louise d’Autriche et de Napoléon, mariés un an plus tôt après que celui-ci ait divorcé de Joséphine de Beauharnais.
Pour en savoir plus, voir l'article Bonaparte.
4.4. L'Empire miné
Mais l'édifice impérial est un géant aux pieds d'argile. En 1810, Napoléon est maître de l'Europe, mais son pouvoir est miné : à l'intérieur par la crise économique, sociale et religieuse ; à l'extérieur par l'éveil des nations, dont les rois de l'Europe se servent bientôt pour l'abattre. Les premières fissures de l'Empire apparaissent. Crise financière et industrielle en 1810 : des banques font faillite, les entreprises, qui ont trop emprunté, sont aux abois, le marché intérieur se dérobe. Le commerce français en Europe est de plus en plus concurrencé par la contrebande anglaise. En 1811, de mauvaises récoltes appauvrissent les campagnes et la crise se répercute sur le commerce et l'industrie.
Crise religieuse aussi : le pape, spolié de ses États et prisonnier à Savone, refuse de donner l'investiture aux nouveaux évêques et suspend la vie de l'Église. Napoléon, pour tourner le pouvoir pontifical, réunit un concile national des évêques (juin-août 1811) ; c'est un échec : les évêques résistent, certains sont emprisonnés, le pape est déporté à Fontainebleau en 1812. Désormais, le clergé prêche l'insoumission contre le César qui maltraite le pape et la religion. Napoléon voit dans la guerre un dérivatif au mécontentement, un moyen de remplir son trésor de guerre et de rétablir ses finances.
Enfin, la guerre est nécessaire pour soutenir sa politique en Europe. Le tsar Alexandre Ier, poussé par les magnats russes liés aux commerçants britanniques, n'applique pas le Blocus. Il reproche aussi à Napoléon de ne pas tenir ses promesses et de ne pas l'aider à agrandir sa zone d'influence en Europe orientale et méridionale.
5. La chute de l'Empire
À partir de 1811, plusieurs événements (conjoncture économique défavorable, éveil des nationalismes dans les États vassaux, rupture de l'alliance franco-russe, opposition en France de la bourgeoisie à la guerre, hostilité des catholiques à la politique religieuse de Napoléon) se conjuguent donc pour provoquer la chute de l'Empire.
5.1. La campagne de Russie ou le début de la fin
Le 24 juin 1812, Napoléon franchit le Niémen avec 620 000 hommes appartenant à 20 nations. Il pense mener, comme à l'accoutumée, une campagne éclair. Mais l'armée russe se dérobe, jouant de son premier atout : le vaste espace de l'Empire. Deuxième atout du commandement russe : la religion orthodoxe ; l'armée qui se bat commence d'abord par prier, ce qui l’unifie. Enfin, au bord de la Moskova, le général Koutouzov accepte le combat pour protéger Moscou. Du 5 au 7 septembre, Napoléon l'emporte à Borodino, dans une bataille acharnée qui lui coûte 30 000 hommes (→ bataille de la Moskova). Le 14 septembre, il entre à Moscou, mais y attend en vain les envoyés du tsar. Celui-ci dispose d'un troisième atout : le « général hiver » qui approche. Moscou brûle, incendiée sur ordre du gouverneur russe selon les Français, par les soldats français ivres, selon les Russes exaspérés par le ravage de la ville sainte. Napoléon ordonne la retraite. Dans le froid (− 30 °C), sans habits chauds, sans nourriture, harcelée par les cosaques et les paysans, l'armée franchit la Berezina, les 27 et 29 novembre, grâce au sacrifice des pontonniers. Elle a perdu près de 500 000 hommes.
En Europe, les nations s'éveillent. Déjà, de 1806 à 1809, la haine du despotisme français avait agité les populations : dans le Tyrol, par exemple, une révolte paysanne avait été animée par Andreas Hofer. À Berlin, en 1807, Fichte avait appelé la nation allemande à se rebeller. S'appuyant sur ce mouvement pour le contrôler, la Prusse entre en guerre le 17 mars 1813, bientôt rejointe par l'Autriche et la Suède, dont Bernadotte est devenu le prince héritier. À Leipzig, du 16 au 19 octobre 1813, dans la « bataille des Nations », 160 000 Français affrontent 320 000 coalisés et sont obligés de reculer jusqu'au Rhin. En Espagne, en Hollande, partout l'ennemi progresse. En Italie, Murat, par ambition ou fidélité « à ses peuples », se tourne contre son beau-frère. Avec une armée improvisée de 175 000 jeunes, les Marie-Louise, Napoléon mène la campagne de France et y retrouve son génie de capitaine. En vain. Les notables et les ministres complotent. Les maréchaux le pressent d'abdiquer. Il s'y résout le 6 avril 1814. Les Alliés entrent dans Paris et établissent Louis XVIII roi de France. Napoléon n'est plus le souverain que d'une île de la Méditerranée : l'île d'Elbe.
5.2. « Le vol de l’aigle »
Si Louis XVIII est assez habile pour « octroyer » une charte libérale qui reconnaît les acquis de la Révolution, les émigrés de retour choquent les Français par leur volonté de revanche.
Napoléon sait ce retournement de l'opinion et la désunion installée dans le camp des vainqueurs. Avec une petite troupe, il débarque le 1er mars 1815 à Golfe-Juan, et, comme il l'avait prédit, « l'aigle impérial vole de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame ». Il est à Paris le 20 mars, sans avoir fait tirer un coup de feu, l'armée se ralliant et les populations ouvrières acclamant en lui l'héritier de la Révolution. Il ne veut pourtant pas être le « roi de la rue ». Il se tourne à nouveau vers les notables, et Benjamin Constant rédige un Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire qui instaure une monarchie constitutionnelle.
5.3. Septième coalition (mars 1815)
Napoléon croit la paix possible, mais les grandes puissances, toujours occupées au congrès de Vienne à réorganiser l'Europe, se coalisent à nouveau contre lui. Avec une armée de vétérans, il se porte à la rencontre des Anglo-Prussiens. Le 18 juin 1815, il livre bataille à Waterloo, sur la route de Bruxelles, aux troupes de Wellington. Ce dernier a tiré la leçon de ses luttes en Espagne contre les Français : il accroche ses troupes au terrain et multiplie les feux croisés. Napoléon attend pour l'assaut final l'arrivée d'un de ses lieutenants, Grouchy. Celui-ci tarde et ce sont les Prussiens qui apparaissent sur le champ de bataille. On entraîne l'Empereur, tandis que la Garde se sacrifie.
À Paris, Fouché, la Chambre des représentants et les notables le forcent à une nouvelle abdication, le 22 juin. Napoléon demande l'asile aux Britanniques, mais ceux-ci le déportent à l'île de Sainte-Hélène. Il y mourra le 5 mai 1821.