Pourtant, le Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, avait pu présenter dès le 20 avril devant l'Assemblée nationale les quatre volets de la réforme envisagée : « De quoi s'agissait-il ? D'abord, de continuer à augmenter le nombre des logements construits chaque année, tout en élargissant les choix offerts aux Français entre les divers types de logements individuels ou collectifs. Ensuite, de remédier aux lacunes du système actuel d'aide à la personne, qui ne bénéficie qu'insuffisamment, ou même pas du tout, à certaines catégories défavorisées ; pour cela, il faut substituer à ce système une aide dont tous les Français, sans exception, puissent bénéficier, proportionnellement à leurs charges de famille et de loyer... ; en outre, il faut permettre aux familles dont les revenus ne justifient pas une telle aide, mais ne sont pas suffisants, toutefois, pour supporter la charge du système bancaire, de bénéficier de prêts à taux d'intérêt modéré... ; enfin, pour réduire les coûts de la construction, il faut associer de façon cohérente, dans une politique foncière d'ensemble, les moyens qui doivent être mis en œuvre pour maîtriser progressivement le prix des terrains. » Vaste programme, certes, mais qui se heurtait à deux séries d'obstacles difficiles à surmonter.

Mécanisme faussé

La France est l'un des pays d'Europe qui consacre l'effort le plus grand au logement (l'État lui-même aide plus des trois quarts des logements construits chaque année) et pourtant la crise persiste. C'est donc que le mécanisme est faussé. À quoi sert, par exemple, de construire des HLM si leurs loyers les rendent inaccessibles à ceux auxquels ils sont normalement destinés, les plus défavorisés ? Et comment empêcher les milliards investis par l'État d'être dépensés de façon souvent injuste et irrationnelle ?

À quoi sert, aussi, de tenter de bloquer les prix de la construction, si les économies réalisées au grand dam des entreprises du bâtiment sont annulées par la flambée du prix des terrains ? Une enquête de l'inspection des Finances en région parisienne révèle que de 1945 à 1963, le prix du mètre carré de terrain à bâtir a augmenté six fois plus vite que le salaire horaire moyen. De 1965 à 1968, en période de détente relative du marché foncier, la hausse du prix des terrains a été, en moyenne, de 10 % par an. Comment vaincre cette hydre de la spéculation foncière aux cent tètes toujours renaissantes ?

C'est sur ces deux fronts principaux que le ministre de l'Équipement et du Logement, Albin Chalandon, va, au printemps 1971, lancer des offensives qui atteindront inégalement leurs objectifs ; selon qu'elles rencontreront le concours ou la résistance du Premier ministre.

Aide à la personne

Sur le premier front, l'accord est presque parfait. Le gouvernement veut passer progressivement de l' « aide à la pierre » (celle qui s'investit dans certaines catégories de logements, quelle que soit la situation de leurs occupants) à l' « aide à la personne », qui permettrait d'aider chacun selon ses besoins et en tenant compte de ses revenus.

Il s'agit surtout d'étendre le bénéfice de l'allocation logement à tous ceux (personnes âgées, célibataires, jeunes ménages) qui en sont actuellement privés. Malgré quelques difficiles négociations avec les caisses d'allocations familiales (dont les excédents serviront en partie à financer la réforme) et en dépit de l'opposition de certaines associations comme la Confédération nationale des locataires, qui proclame que l'aide à la personne ferait « d'une partie importante des Français des assistés », le premier train de mesures gouvernementales est mis assez facilement sur ses rails.

Impôt foncier rejeté

Il n'en est pas de même dans le domaine foncier, où les projets d'Albin Chalandon sont stoppés nets par le Premier ministre. Le ministre de l'Équipement désirait, cinq ans après Edgard Pisani, instaurer un impôt foncier qui permette de faire payer aux propriétaires les plus-values réalisées grâce aux équipements collectifs construits à proximité de leurs terrains et payés par la collectivité.