Delphes
en grec Delphoi ou Dhelfí
Ville de la Grèce ancienne, en Phocide, sur le versant sud-ouest du Parnasse.
Le site de Delphes
Comme le remarquait le géographe Strabon, le site de Delphes affecte la forme d'un théâtre. Ce cirque est creusé dans le talus de schistes instables qui sert de base aux masses calcaires du Parnasse. Au nord, celles-ci forment un fond de falaises verticales, de 250 à 350 m de hauteur, divisées par une brèche étroite et profonde en deux pans que les Anciens appelaient les roches Phaedriades (« les Brillantes », « les Radieuses »). Celle de l'Ouest s'appelle aujourd'hui Rhodini (« la Rousse »), celle de l'Est, Phlemboukos (« la Flamboyante » ; anciennement : Hyampeia, en français Hyampée).
La petite ville de Delphes (environ 1 000 citoyens), qui entourait largement le périmètre sacré du sanctuaire (téménos), vivait de l'exploitation de l'oracle et des pèlerins. Comme les autres cités grecques, elle était régie par ses lois et dirigée par son Assemblée et son Conseil. À sa tête était placé un archonte, élu pour une année à laquelle il donnait son nom. On possède ainsi la liste complète des archontes, le plus souvent choisis parmi les membres des mêmes familles aristocratiques, sur une période de près de dix siècles (590 avant J.-C. - 315 après J.-C.). Les principales ressources économiques provenaient de la fabrication des couteaux de sacrifice, de l'hôtellerie, des métiers de sacrificateurs, de guides, de graveurs de stèles, et du commerce des objets de piété. Cette population, parasite d'Apollon, était réputée pour sa rapacité, sa paresse, sa vanité cruelle : c'est du haut des falaises que les prêtres précipitaient les sacrilèges ; ainsi aurait péri le fabuliste Ésope que les Delphiens auraient précipité pour se venger de ses sarcasmes – il les avait comparés à des bâtons flottants.
L’histoire de Delphes
L’oracle de Delphes
Le premier sanctuaire : GAIA, la déesse de la Terre
La vallée du Pleistos fut habitée avant l'arrivée des Achéens en Grèce et c’est dans ce site particulièrement spectaculaire de falaises et de gorges profondes, où sévissent orages violents et tremblements de terre, où des vapeurs méphitiques, des sources sacrées jaillissent des rochers fissurés, que se développa de bonne heure (dès le IIe millénaire avant J.-C.) un culte : les divinités, Gaia, la Terre mère, vieille divinité chthonienne qu'Eschyle, dans le prologue des Euménides, appelle protomantis (« première prophétesse »), sa fille Thémis et Poséidon, rendaient leurs oracles, assistées par le serpent Python, que la Terre avait enfanté. Ce sont des exhalaisons sortant de crevasses des rochers, et les sources qui jaillissent près du site de Delphes qui ont donné son caractère sacré à ce haut lieu qui s'appelait originellement Pythô (de puthô : « se putréfier », « pourrir »). L'oracle, où la divinité prophétisait par l'intermédiaire de la Pythie, était localisé près d'un antre que gardait le serpent Python. Thémis après elle présida aux destinées de l'oracle delphique.
La mort de Python et la victoire d’Apollon
Avant la fin de l'époque mycénienne (xiie s. avant J.-C.), Apollon supplanta l'ancienne déesse. La mythologie raconte comment le jeune dieu, peu de jours après sa naissance dans l'île de Délos, aborda au pied du Parnasse et, conseillé par sa mère Léto, tua à l'aide d'une torche enflammée et de son arc le serpent Python qui gardait l'antre prophétique, dont le cadavre fut condamné à pourrir sous les fondations du nouveau temple. Après avoir dû quitter Delphes pour se laver de la souillure de ce crime, Apollon revint peu de temps après pour prendre possession de l'oracle et consacra, dans le vénérable sanctuaire, le trépied (symbole de son culte) sur lequel devait s'asseoir la Pythie, qui parlerait en son nom. Pythô reçut alors le nom de Delphes (de delphis, dauphin), et le nouveau maître du sanctuaire, Apollon Pythien, continua à prophétiser.
Vers le viie s. avant J.-C., Delphes prit une importance considérable en devenant un grand centre panhellénique. Cet essor fut grandement lié à la période d'expansion des cités-États, qui vit les Grecs partir fonder des colonies sur les rives éloignées de la Méditerranée. Avant de partir en guerre ou d'entreprendre les expéditions lointaines qui préludaient à la fondation des colonies, les cités dépêchaient à Delphes des envoyés pour consulter son oracle et se concilier les faveurs du dieu.
L’oracle d’Apollon
À partir du viie s. avant J.-C., la ville dut son importance à l'oracle d'Apollon, qui se manifestait par l'intermédiaire de la Pythie qui, assise sur un trépied installé au-dessus d'une crevasse d'où sortaient des vapeurs, rendait des oracles en termes incohérents ; les prédictions étaient ensuite « interprétées » par des prêtres et présentées sous la forme de conseils. Les chefs d'État comme les simples particuliers consultaient l'oracle, qui joua un rôle important dans les orientations politiques des cités grecques et de leurs colonies, dont il semble avoir favorisé l'expansion. Delphes, qui était le siège d'une importante amphictyonie (« ceux qui habitent autour », assemblée), vit son influence diminuer au ive s. à la suite des guerres sacrées.
La première guerre sacrée et l'Amphictyonie
À l'origine, le territoire de Delphes appartenait à Krissa, petite ville de la plaine de Phocide. Les pèlerins abordaient en son port de Kirrha (aujourd'hui Itéa), dont les habitants tiraient grand profit de cette affluence. Mais Krissa fut une suzeraine trop rigoureuse et trop âpre au gain, et le clergé de Delphes suscita une coalition d'États grecs pour la « libération » de l'oracle. Ligués dans l'Amphictyonie delphique, ceux-ci marchèrent contre les Phocidiens, sous la conduite de Solon d'Athènes. L'histoire de Delphes commence véritablement après cette première guerre Sacrée, qui dura dix ans et se solda en 590 par la défaite des Phocidiens. Krissa fut rasée et l'ensemble de son territoire fut voué à la stérilité et consacré à Apollon. Le sanctuaire devint alors le centre d'une confédération religieuse, l'amphictyonie delphique, dirigée par un Conseil interhellénique composé des représentants de douze peuples grecs, en majorité thessaliens et doriens, qui, deux fois par an, chaque printemps et chaque automne, tenaient leurs assemblées aux Thermophyles (à Anthéla) et à Delphes, et géraient l'intendance du sanctuaire, dirigeaient les travaux d'entretien ou de reconstruction du temple, et organisaient les fêtes et les jeux Pythiques ; ceux-ci furent désormais célébrés tous les quatre ans avec de nouvelles épreuves, notamment des courses de chars à partir de 582.
Dès lors, pour l'oracle delphien, commença une période de grande prospérité. Les cités de Corinthe, Sicyone, Clazomènes, édifièrent des Trésors pour abriter leurs dons, et des souverains étrangers tels Gygès et Crésus firent de riches offrandes. En 548 avant J.-C., le temple fut détruit par un incendie mais on entreprit, probablement dès 539-538, de le reconstruire grâce au produit d'une souscription internationale. Le devis de la reconstruction se montait à 3 000 talents dont le quart fut mis à la charge des Delphiens. Ceux-ci firent à travers de monde grec une tournée de quêtes, et même certains princes étrangers, tel le roi d'Égypte Amosis II qui offrit 1 000 talents d'alun (poids et non numéraire), tinrent également à manifester par des dons leur intérêt pour le sanctuaire delphique. Il s'écoula sans doute un quart de siècle entre le moment où l'on se mit à travailler à l'aménagement de la terrasse du temple et celui où les Alcméonides intervinrent (514-513) pour prendre en main son achèvement.
Au moment des invasions de Darios et de Xerxès, en 490 et en 480 avant J.-C., l'oracle eut tout d'abord une attitude ambiguë envers la cause des Athéniens menacés par les Perses (ceux-ci étaient de surcroît soutenus par les Béotiens de Thèbes, membres de droit de l'Amphictyonie). Tiraillé ainsi entre des intérêts grecs contradictoires, et sans doute aussi par peur du pillage, l'oracle commença par rendre des avis équivoques, avant de se prononcer plus clairement en faveur des Grecs victorieux. Toutefois, après la bataille de Marathon, les Athéniens reconnaissants consacrèrent à Delphes de riches offrandes et constructions, au premier rang desquelles figuraient un Trésor et une monumentale statue d'Apollon
La troisième guerre sacrée et la tutelle macédonienne
Mais, passé ce grand moment où les Grecs semblèrent quasi unanimes autour de leur sanctuaire, Delphes, malgré sa prudence, ne put éviter de se trouver mêlée aux rivalités entre les grandes cités-États (Sparte, Athènes, Thèbes, Argos, etc.) pour lesquelles elle constituait un enjeu d'importance. Ainsi, les Phocidiens s'en emparèrent, puis en furent chassés par Sparte en 448 avant J.-C., avant d'y être ramenés l'année suivante par l'Athènes de Périclès.
En 373 avant J.-C., le temple des Alcméonides fut à son tour détruit par un tremblement de terre. Une nouvelle souscription internationale permit sa reconstruction, de 370 à 330 environ. En 357, les Amphictyons, sur l'accusation des Thébains, condamnèrent les Phocidiens au paiement d'une forte amende pour avoir cultivé la plaine sacrée de Krissa (qui avait été vouée à la stérilité à l'issue de la première guerre Sacrée). La résistance des Phocidiens (troisième guerre sacrée) se prolongea pendant dix ans (356-346), au cours desquels Philomèlos, stratège des Phocidiens, pilla le trésor sacré et bâtit une forteresse à Delphes ; il fallut l'intervention de Philippe IIde Macédoine pour mettre un terme aux exploits de son successeur, Onomarchos. S'immixant dès lors dans la gestion de l'oracle, la Macédoine prit la place des Phocidiens au Conseil amphictyonique et les fit condamner, en 346, à une amende annuelle de 60 talents qui fut employée à la reconstruction du temple sous le contrôle des trésoriers internationaux. Mais une nouvelle querelle allait bientôt naître après que les Locriens d'Amphissa se mirent à leur tour en tête de cultiver la plaine sacrée de Krissa. Par la bouche d'Eschine, et malgré les objurgations de Démosthène, l'Amphictyonie pressa Philippe d'intervenir. L'occasion était trop belle pour le roi de Macédoine, qui déferla sur la Grèce (338) et défit les États grecs coalisés trop tard à la célèbre bataille de Chéronée qui vit sa victoire sur les Athéniens et les Thébains (quatrième guerre sacrée, 339-338). Dès lors, comme toute la Grèce, Delphes fut placée sous la domination de laMacédoine.
Si la prospérité de Delphes n'eut guère à souffrir de cette tutelle macédonienne, l'oracle perdit son rôle central d'arbitre dans la politique des États grecs, dès lors que ceux-ci étaient réduits à l'impuissance. L'Amphictyonie continua cependant à se réunir sous la tutelle des Macédoniens, puis sous celle de la Confédération des Étoliens, auréolés du prestige que leur valut leur victoire, en 279 avant J.-C., sur les envahisseurs Galates (Gaulois). Un second récit merveilleux, copié sur celui inventé du temps des Perses, mit encore au compte d'une intervention divine la protection du sanctuaire contre ces Barbares, ensevelis sous les avalanches de pierres des roches. Quelques années plus tard fut instituée, en souvenir de cet événement, la fête des Sôtéria que les Étoliens prirent bientôt sous leur patronage.
Le déclin et la disparition de Delphes : Rome et le christianisme
Cependant, Delphes poursuivit son déclin, car le centre (l'omphalos) du monde n'était plus ici, mais désormais à Rome, qui subjugua la Grèce au ive s. avant J.-C. Les Étoliens furent chassés de Delphes par les Romains en 191 avant J.-C., qui la proclamèrent indépendante par le Sénat, bien qu’elle fût en fait passée sous la tutelle romaine. Delphes s'appauvrit, comme toute la Grèce. Le principe même de son existence, l'oracle, fut battu en brèche par la philosophie sceptique et l'indifférence religieuse. En 109 avant J.-C., une nouvelle invasion des Galates fut repoussée par Minucius Rufus puis, en 91, le temple fut incendié par les Maedes (Thraces). Quelques années plus tard, en 86, le sanctuaire fut pillé par Sulla qui l'arracha à Mithridate.
Certains empereurs s'efforcèrent néanmoins de relever l'antique culte et le temple. Auguste réorganisa l'Amphictyonie mais Néron dépouilla le sanctuaire de plus de 500 statues dont il orna ses palais. Cependant Pline comptait encore plus de 3 000 statues, et Pausanias (vers 170 après J.-C.) trouva Delphes toujours très riche en œuvres d'art. Par leurs libéralités, Domitien, Hadrien et les Antonins tentèrent de redonner son lustre à l'oracle et furent à l'origine d'une certaine renaissance de la ville et du lieu saint. Selon Plutarque, qui y exerça la prêtrise de 105 à 126 après J.-C., Hadrien, en particulier, s'efforça de ranimer la religion affaiblie, et dota le sanctuaire d'une statue de son favori Antinoüs dont il imposa le culte.
Mais Constantin Ier le Grand, à son tour, sans égard pour le paganisme dont il s'était détourné, dépouilla le sanctuaire pour enrichir sa nouvelle capitale (Constantinople) au détriment des monuments et des trésors de Delphes. Quelques empereurs témoignèrent cependant encore de l'intérêt pour le fameux sanctuaire, notamment Julien l'Apostat, ou encore Valens.
Enfin, la proscription du paganisme par Théodose (381) porta le coup fatal au sanctuaire de Delphes. À l'époque paléochrétienne (fin du ive s.), alors que l'espace urbain se rétrécissait, le sanctuaire (téménos) fut transformé en zone d'habitation. On pava la Voie sacrée avec des matériaux empruntés aux édifices antiques (c'est ce dallage que l'on peut voir aujourd'hui) tandis que le temple d'Apollon, le premier à être démantelé de manière systématique, servit de carrière aux nouvelles constructions chrétiennes. Ce qui n'était plus qu'un village fut gravement saccagé par les Slaves au viie s. Ce village survécut pourtant, puisqu'il fut la patrie de saint Luc, fondateur du célèbre monastère d'Hosios Loukas.
L'oracle et ses rites de consultation
Primitivement, le dieu ne donnait audience qu'une seule fois par an, le 7 de Bysios, le huitième mois de l'année delphique (février-mars) ; au iie s., une fois par mois. Dans les cas urgents (menace de guerre, afflux de visiteurs, etc.) l'oracle pouvait toutefois être consulté à tout moment, sauf pendant les trois mois d'hiver, pendant lesquels Apollon se retirait dans la vallée de Tempé pour se purifier du meurtre initial du serpent qui avant lui gardait le lieu.
Quiconque voulait interroger l'oracle devait acquitter une taxe (pélanos), qui donnait au consultant le droit d'approcher le Grand Autel d'Apollon pour y faire accomplir le sacrifice sans lequel il lui était interdit d'entrer dans le temple. On immolait le plus souvent des chèvres, parfois des sangliers ou plus rarement des taureaux. L'examen de la victime décidait si la consultation était agréée : avant de la sacrifier, les prêtres guettaient un tremblement de la bête au moment où on l'aspergeait d'eau bénite ; si l'animal exprimait un tremblement, c'est qu'Apollon acceptait de rendre l'oracle ; lorsque le tremblement ne se produisait pas, la consultation était ajournée.
Les consultants passaient ensuite dans l'oikos, salle d'attente voisine de l'adyton, la chambre souterraine où officiait la Pythie, et un tirage au sort déterminait l'ordre de présentation des consultants (les femmes étaient exclues). Toutefois, ceux qui avaient reçu des Delphiens le privilège de la promantie passaient les premiers ; cette faveur de passer avant les autres pouvait être accordée (sans doute après versement d'une somme suffisante) à des hommes particulièrement illustres ou à des cités.
Pendant ce temps, la Pythie qui s'était purifiée avec l'eau de la fontaine Castalie, pénétrait dans le temple et procédait, au-dessus du foyer perpétuel de la cella, à des fumigations de feuilles de laurier et de farine d'orge, sans doute en présence des prêtres et peut-être aussi des consultants. Après ces rites préparatoires, la Pythie descendait l'escalier qui conduisait au manteion (endroit où l'on rendait les oracles), traversait la salle (oikos) où attendaient les consultants et gagnait le lieu prophétique.
Ainsi, après avoir accompli de nouveaux rites préliminaires au-dessus du foyer, la Pythie montait sur le trépied, buvait l'eau de la source Cassôtis qui coulait près de l'omphalos, mâchait des feuilles de laurier (l'arbre sacré d'Apollon) et se penchait au-dessus de l'omphalos pour respirer les vapeurs émanant du sein de la Terre. Elle entrait alors dans un délire prophétique propice à rendre perceptibles les réponses du dieu aux questions posées à haute voix par les consultants qui se tenaient dans la pièce voisine. Dans son extase inspirée par Apollon, la Pythie prononçait des paroles incohérentes qui étaient recueillies, interprétées et rédigées en vers ou en prose par un prêtre. Des exégètes se chargeaient ensuite d'expliquer le sens de l'oracle, d'une manière qui n'était pas non plus dépourvue de toute ambiguïté (d'où le surnom de Loxias, c'est-à-dire « l'Oblique », donné à l'Apollon de Delphes). On raconte ainsi qu'au roi Crésus qui l'avait interrogé sur l'opportunité d'une campagne contre les Perses, l'oracle répondit qu'à l'issue de la guerre un royaume serait détruit. La Pythie avait simplement omis de préciser au roi qu'il s'agissait du sien.
Les consultants ne devaient pas chercher à percer le mystère de leur avenir personnel, ce qui eût déplu à Zeus, le maître des destinées, mais ils posaient des questions très précises, par exemple sur l'opportunité de telle ou telle entreprise : voyage, expédition pour fonder une colonie, sur les chances de succès d'une guerre, d'un mariage, d'une entreprise commerciale, etc.
À l'origine, les Pythies étaient choisies parmi les jeunes femmes de Delphes ; par la suite, pour être plus sûr de leur vertu, on sélectionna, au moins en certaines époques, des femmes qui avaient dépassé la cinquantaine. Il y en eut jusqu'à trois aux temps les plus prospères et une seule à l'époque romaine.
Les fêtes delphiques
La principale fête pythique, celle des Pythia, ou jeux Pythiques, qui se déroulait au début de septembre sous la surveillance des Amphictyons, avait pour objet la célébration de la victoire d'Apollon sur le serpent Python. Elle eut d'abord lieu tous les huit ans, puis, à partir de 590 avant J.-C., tous les quatre ans, en alternance avec les trois autres fêtes panhelléniques, les jeux d'Olympie, de Corinthe et de Némée. Alors s'ouvrait une trêve sacrée pour permettre à tous les Grecs de venir concourir à Delphes.
Les États grecs envoyaient des théories, chargées de présents. La fête consistait en processions et sacrifices, puis en concours de musique (cithare, flûte, chant) et de cantates (péans) en l'honneur du dieu exécutées dans le théâtre (on y adjoignit plus tard des représentations de tragédies et de comédies). Se déroulaient également des concours gymniques dans le stade, et des courses de chars dans l'hippodrome de la plaine. Les prix étaient des couronnes de lauriers. En dehors des jeux Pythiques, les Athéniens envoyaient à Delphes une théorie spéciale ou Pythaïde et y célébraient une fête à part, avec jeux et drames. Tous les huit ans se déroulait le Septérion, une fête solennelle au cours de laquelle était représenté sur l'Aire le drame sacré figurant le combat d'Apollon contre Python.
ART ET ARCHÉOLOGIE
Les importants vestiges qui nous sont parvenus ne donnent qu'un pâle reflet de la richesse artistique du site dans l'Antiquité. La disposition des lieux (forte pente entraînant glissements de terrain et chutes de pierres), les pillages dont fut victime le sanctuaire (source de métal précieux, plus tard de fer et de plomb, de blocs taillés) expliquent l'état des monuments.
Les fouilles
À partir du xve s., les voyageurs européens signalèrent épisodiquement l'existence de ce hameau semé de vestiges antiques, que les habitants appelaient Kastro et dont ils ignoraient tout du prestigieux passé, jusqu'à son nom de Delphes. L'exploration des ruines, commencée en 1838 par l'architecte français Laurent, reprise en 1840 par les savants allemands O. Müller et E. Curtius, poursuivie par l'École française d'Athènes (P. Foucart et Wescher, 1860-1861 ; Haussoullier, sous la direction de Théophile Homolle), fut menée de manière exhaustive par cette même École de 1892 à 1903. Les travaux reprirent après la Première Guerre mondiale, notamment à la Marmaria (sanctuaire d'Athéna Pronaia), en 1920, sous la direction de R. Demangel qui mit au jour les restes du plus ancien lieu du culte delphique. Parallèlement à cette activité, l'exploration du sanctuaire d'Apollon se poursuivit, notamment avec la participation de P. de La Coste-Messelière. Le chantier de fouilles redevint très actif vers 1935 et L. Lerat dégagea les ruines d'un habitat mycénien au nord-est du temple d'Apollon tandis que J. Bousquet et P. Amandry continuaient leurs recherches (1937-1939) dans la région du temple.
Les ruines sont groupées en deux secteurs principaux : d'une part le sanctuaire d'Apollon proprement dit, qui comprend le temple, le théâtre et l'essentiel des constructions religieuses ; d'autre part le petit sanctuaire d'Athéna Pronaia (« gardienne du temple »), situé sur la route de Thèbes à Delphes, 1 500 m environ avant d'arriver au hiéron (sanctuaire) d'Apollon. L'enceinte du sanctuaire d'Athéna Pronaia renferme plusieurs temples et « trésors » (dépôts d'offrandes) construits entre le vie s. et le ive s. avant J.-C. Le plus célèbre édifice de cet ensemble est la tholos (rotonde) de marbre, dont la fonction n'a pu être élucidée jusqu'ici. Delphes possédait en outre un gymnase et un stade.
Le sanctuaire d'Apollon Pythien
Très vaste, le sanctuaire d'Apollon était, conformément à l'usage, entouré d'un mur d'enceinte (dont le dessin est en gros trapézoïdal) destiné à délimiter l'espace sacré d'Apollon ; percée de plusieurs portes, cette enceinte de tracé quasi rectangulaire fut refaite au ive s. avant J.-C. sur les fondations en grand appareil polygonal datant du vie s. À l'extérieur du hiéron, et le long de ce mur d'enceinte, on a reconnu les ruines de plusieurs constructions ou aménagements successifs : les thermes romains, construits au iiie s. après J.-C., près desquels fut mise au jour, en 1940, une grande stèle où était gravé le texte d'un oracle légendaire rendu à Agamemnon au moment de la guerre de Troie et lui prescrivant de sacrifier au Sphaléotas, au plus profond de la demeure divine, pour triompher de Télèphe ; un vaste portique dorico-ionien d'époque hellénistique, le portique d'Attale (que les Romains transformèrent par la suite en réservoir pour alimenter les thermes), et l'agora romaine, grande place rectangulaire dallée, bordée de portiques abritant des boutiques où l'on vendait probablement des souvenirs et des objets de piété. Étagé sur le flanc de la montagne, le sanctuaire est parcouru par la voie sacrée, qui conduit en deux lacets jusqu'à la terrasse du temple. Tout au long de la voie sacrée sont disposés les monuments votifs dédiés aux dieux : « trésors », trépieds, statues (dans l'Antiquité, on en comptait plusieurs milliers), colonnes, etc.
La voie sacrée et ses monuments
De la place, on pénétrait dans le sanctuaire par une porte principale qui était précédée de quatre marches (on n'entrait donc pas en char), et au-delà de laquelle commençait la Voie sacrée conduisant au temple d'Apollon ; de chaque côté, tout au long de cette rue large de quatre à cinq mètres, s'élevaient les innombrables monuments votifs, les offrandes et les Trésors construits par les plus opulentes cités de la Grèce pour abriter les ex-voto (statues, objets en marbre, en bronze, en or, isolés, dressés sur des colonnes ou des piliers, ou alignés sur des bases) de leurs citoyens ou de leurs collectivités.
Ces édifices érigés dans le téménos étaient avant tout des offrandes faites au dieu par les habitants d'une cité. L'argent nécessaire à leur construction était généralement prélevé sur le butin consécutif à une victoire ou sur les bénéfices d'une quelconque opération fructueuse. Si tous les ordres architecturaux sont représentés dans ces monuments, leur plan d'ensemble reste toujours le même dans ses grandes lignes : un bâtiment de taille modeste, sorte de temple en miniature, comprenant une cella (équivalent du naos d'un temple) précédée d'un prodomos (entrée, correspondant au pronaos) doté de deux colonnes (ou de caryatides). À l'origine, les Trésors n'abritaient pas, comme ils le firent par la suite, d'offrandes précieuses.
Les murs des Trésors étaient couverts d'inscriptions : actes d'affranchissement d'esclaves, décrets de promantie (droit de priorité pour consulter l'oracle), décrets de proxénie (par lesquels une cité accordait à tel riche citoyen étranger le droit de la représenter dans la ville où il résidait ; ainsi, Athènes chargeait tel Delphien de la représenter à Delphes), etc.
Le temple d'Apollon
C'est à l'intérieur du temple d’Apollon qu'officiait la Pythie, dans une salle spéciale où, penchée au-dessus de l'omphalos, le centre du monde pour les anciens Grecs, elle respirait les exhalaisons qui la faisaient entrer en transes.
Devant l'entrée du temple, on peut encore voir les restes du grand autel d'Apollon, élevé en marbre blanc par les Grecs de Chio en reconnaissance de leur libération, soit au moment de la révolte des cités ioniennes contre les Perses (499-494 avant J.-C.), soit après la bataille de Mycale (479 avant J.-C.). Certains historiens pensent cependant que cet autel ne fut consacré par les habitants de Chio qu'en 246 avant J.-C., année où ils entrèrent dans l'amphictyonie. Cet autel s'élevait sur l'emplacement de l'autel très ancien qui se dressait auparavant devant le temple, antérieurement à l'incendie de 548 avant J.-C. C'est au sommet de cette plateforme que l'on sacrifiait les chèvres propitiatoires offertes par les pèlerins qui venaient consulter l'oracle. Sur cet autel, aujourd'hui en partie reconstitué, de nombreuses croix gravées, plus nombreuses que partout ailleurs sur le site, témoignent de la vindicte dont ce monument fut l'objet de la part des chrétiens de l'Antiquité tardive.
Le temple d'Apollon dont on peut voir aujourd'hui les ruines date du ive s. avant J.-C. ; il ne fut que le troisième (peut-être même le sixième) à avoir occupé ce site. Un premier édifice monumental avait sans doute été construit sur ce même emplacement au viiie-viie s. avant J.-C. Selon l'Hymne homérique à Apollon, ce fut le dieu lui-même qui l'avait élevé, assisté dans cette tâche par deux architectes légendaires, Agamêdès et Trophônios. Selon d'autres légendes dont Pausanias se fait encore l'écho, ce « premier » temple aurait lui-même été précédé de trois édifices primitifs, successivement construits en bois, avec de la cire et des plumes. On sait en tous cas qu'un temple monumental (peut-être celui dont la construction était attribuée à Agamêdès et à Trophônios) fut détruit par un incendie en 548 avant J.-C. Une souscription fut alors lancée à travers l'ensemble du monde grec – et même au-delà, puisque le roi d'Égypte Amosis II versa une contribution considérable – pour réunir les fonds nécessaires à la reconstruction d'un nouveau temple. La mission d'achever ce travail, qui plus de 30 ans après l'incendie n'avait pas encore été menée à bien, fut confiée aux Alcméonides, une puissante famille athénienne contrainte à l'exil sous la tyrannie de Pisistrate.
L'érection du monument nécessita d'énormes travaux de terrassement (environ 6 000 m3 de remblais) : les murs de soutènement de la terrasse du temple, édifiés en appareil polygonal à joints sinueux, taillés au ciseau, constituent l'un des plus remarquables travaux effectués dans le sanctuaire de Delphes. Enfin, l'édifice fut achevé entre 514-513 et 506-505 avant J.-C. Vers 475 avant J.-C., la crête de ses murs fut ornée d'une série de vingt statues d'Apollon offertes par les colons cnidiens des îles Lipari pour commémorer une victoire navale remportée sur les Étrusques. Mais ce temple des Alcméonides ayant été ravagé par un tremblement de terre en 373 avant J.-C., une nouvelle souscription fut lancée, dont on a retrouvé une grande partie des comptes, gravés sur des stèles. Ce nouveau temple (celui dont on voit aujourd'hui les ruines), subit encore diverses restaurations aux époques hellénistique et romaine (les Anciens gravèrent sur ses murs plus de huit cents actes officiels entre 200 avant J.-C. et 100 après J.-C.), avant d'être partiellement incendié après l'interdiction du paganisme. Il ne fut cependant pas complètement détruit par cet incendie puisqu'il semble qu'il resta au moins en partie debout jusqu'au saccage final de Delphes par les Slaves, au viiie s.
L'architecture du bâtiment
Les tremblements de terre, puis les destructions systématiques opérées par les chrétiens à partir du iiie s., et enfin le saccage opéré par les invasions slaves, ont gravement endommagé ce temple, qui se révéla extrêmement ruiné lors de sa mise au jour ; les restitutions effectuées depuis lors restent donc grandement conjecturales.
On peut cependant restituer les principales divisions grâce aux textes anciens et à quelques morceaux d'architecture. Ce temple du ive s. avant J.-C. était un temple dorique périptère de 60,32 m sur 23,82 m, avec six colonnes en tuf stuqué (diamètre 1,91 m) sur les façades, et quinze colonnes sur les côtés et deux colonnes entre les antes du pronaos et de l'opisthodome. Les frontons des façades étaient ornés de groupes sculptés, représentants, l'un l'assemblée des dieux autour d'Apollon, l'autre un groupe dionysiaque. Le temple fut reconstruit sur la terrasse qui avait été aménagée pour le temple des Alcméonides ; ce puissant massif atteint par endroit 8 m de haut sur 60 m de long et un minimum de 4 m d'épaisseur.
Le temple s'ouvrait à l'Est par un vestibule (ou pronaos), auquel on accédait par une rampe, le long de laquelle on pouvait lire des devises des Sept Sages (« Connais toi toi-même », « Rien n'est trop », etc.). Ce pronaos, autrefois recouvert par un dallage, renfermait la statue d'Homère. Au-dessus de l'immense porte plaquée d'ivoire qui faisait communiquer le pronaos et la cella était fixé un epsilon couché (E), d'abord en bronze, puis en or (don de Livie) comparable à celui gravé devant le nom de la déesse Terre sur l'omphalos, et qu'on peut considérer comme le symbole de la porte cosmique.
Dans la pénombre de la cella, le pèlerin découvrait un autel consacré à Poséidon, les statues d'Apollon et de deux des trois Moires – celle de la troisième Moire étant remplacée par une statue de Zeus Moiragétès (« qui dirige le Destin ») –, et le foyer sur lequel le prêtre d'Apollon avait tué Néoptolème.
Dans la partie la plus reculée de la cella, le pèlerin s'approchait enfin (sans avoir le droit d'y pénétrer) de l'adyton, salle souterraine aménagée dans une grotte dans laquelle, devant une statue en or d'Apollon (que Pausanias mentionne sans l'avoir vue), s'ouvrait l'omphalos au-dessus duquel, sur son trépied, siègeait la Pythie. La salle abritait également le tombeau de Dionysos, qui avait la garde des lieux pendant les trois mois d'hiver.
L'omphalos, le seul accessoire que l'on ait retrouvé, était une pierre sacrée qui passait pour être tombée du ciel. On expliqua ensuite qu'elle marquait l'endroit où s'étaient rencontrés deux aigles lâchés par Zeus, l'un du Levant, l'autre du Couchant, marquant ainsi le centre ou nombril de la Terre. Et, de fait, l'omphalos que l'on a mis au jour à Delphes était percé, de part en part, par un canal central où était fixé une tige de métal qui servait sans doute à maintenir un réseau de bandelettes ou un filet de laine constituant le vêtement de ce bétyle, mais aussi à assujettir les deux aigles (en bronze doré) de Zeus. L'omphalos exhumé à Delphes, qui semble dater du viie s. avant J.-C., porte une inscription en caractères archaïques mentionnant uniquement le nom de la divinité (ΓΑΣ, au génitif, la Terre), précédé d'un epsilon (E). L'omphalos, qui était aussi le monument funéraire du serpent Python, le fils de la Terre, qu'Apollon avait tué pour s'emparer de l'oracle, était placé, disait-on, sur une profonde crevasse d'où s'échappaient des exhalaisons (pneuma) délétères, provenant de la décomposition du corps de Python, et qui mettaient la Pythie en état de délire prophétique.
Maintes fois représenté sur des vases ou des bas-reliefs, le trépied de la Pythie était composé d'un chaudron en métal supporté par trois pieds, au-dessus duquel on plaçait un couvercle pour le transformer en siège sur lequel la Pythie devait s'asseoir pour prophétiser.
Les autres monuments principaux de l'enceinte sacrée
Parmi les autres principaux monuments de l’enceinte sacrée se trouvent notamment le stade de Delphes (ive s. ou au début du iiie s. avant J.-C.), l’un des mieux conservés de Grèce et le théâtre (ive s. avant J.-C., en partie conservé) dont l'auditorium (cavea), qui comporte 35 gradins en calcaire blanc du Parnasse, pouvait contenir environ 5 000 personnes. Les pèlerins y assistaient aux fêtes delphiques, du moins à celles qui comprenaient des concours de chant et de musique, comme la Pythaïde, le pèlerinage des Athéniens.
Parmi les édifices religieux, figurent le Marmaria, (« les marbres »), le premier sanctuaire que découvraient les pèlerins lorsqu'ils arrivaient à Delphes, l'ancien temple d'Athéna (fin du vie s. avant J.-C., érigé sur l'emplacement d'un temple de la fin du viie s. et reconstruit à plusieurs reprises).
Le Tholos (ive s. avant J.-C.), est considéré comme l'une des plus remarquables merveilles du site Delphes. La destination de cette rotonde en marbre, demeure encore inconnue : hoplothèque (c'est-à-dire, sanctuaire où étaient conservées les armes rituelles offertes à Athéna) ? temple d'Artémis ? Cet édifice était entouré d'un péristyle de 20 colonnes doriques qui encerclaient une cella circulaire en marbre. D'après le témoignage de Vitruve, l'architecte, Théodoros Phocaeus (de Phocée ? ou de Phocide ?), fut à juste titre si fier de son chef-d'œuvre, qui constituait une étonnante innovation architecturale, qu'il en écrivit un traité.
Enfin, dans l’enceinte sacrée se trouvait la fontaine Castalie, chantée par les Grecs pour la pureté de ses eaux, qui servaient au lavage du temple d'Apollon et aux ablutions de la Pythie (qui, pour sa boisson, prenait des eaux de la fontaine Cassotis ayant, elles, des vertus divinatoires). Les poètes latins en firent l'un des lieux de séjour favoris d'Apollon et des Muses et, comme d'Hippocrène, la célèbre source du Val des Muses, une source inspiratrice.
Le musée de Delphes
Le musée qui contient l'essentiel des trouvailles est l'un des plus riches de Grèce. Il offre un ensemble unique pour la sculpture des vie s. avant J.-C., ve s. et ive s. avant J.-C. : sphinx des Naxiens, caryatides, Jumeaux d'Argos (longtemps identifiés à Cléobis et Biton) ; décoration sculptée du monoptère de Sicyone, du trésor de Siphnos, du trésor des Athéniens, du temple, de la tholos de Marmaria ; la colonne aux Danseuses, le groupe des Thessaliens de Pharsale.
Y sont exposés, outre des bronzes archaïques et classiques et un bel Antinoüs, les ivoires, le taureau d'argent grandeur nature et les fragments de statues chryséléphantines trouvés sous la Voie sacrée, vestiges d'innombrables offrandes précieuses.
Mais la plus belle des trouvailles est sans conteste celle de l'Aurige, statue de bronze de grandeur humaine représentant un jeune homme debout, d'allure majestueuse. La statue, qui est parfaitement conservée, faisait primitivement partie d'un groupe comprenant un quadrige, un palefrenier, un char et le conducteur lui-même, vainqueur de la course. L'œuvre remonte au début du ve s. avant J.-C. Les réserves renferment des éléments architecturaux et une collection importante d'inscriptions.