signe
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin signum.
Dans le signe, ce ne sont pas seulement des sons, des images ou des concepts qui sont véhiculés : c'est leur relation elle-même qui est interrogée, même lorsqu'elle vient à être défaite par cette image particulière et renversante qu'est l'art.
Linguistique
Marque, naturelle ou conventionnelle, désignant pour quelqu'un un objet ou un concept, et destinée à être interprétée par un tiers.
L'étude de la relation entre un signe et ce qu'il signifie remonte à Aristote(1) et aux stoïciens(2), et a fait l'objet, tout au long de l'histoire de la philosophie, d'élaborations au sein de ce qu'on appelle aujourd'hui une sémiotique. Le signe est d'abord un caractère ou une marque concrète, physique ou linguistique, qui indique un objet (index), soit de manière naturelle (par une relation causale, comme celle de la fumée et du feu), soit de manière conventionnelle (avec les signes linguistiques). Ce que signifie ou exprime un signe est tantôt tenu comme l'objet du signe (sa référence ou dénotation), tantôt comme l'état mental de celui qui l'utilise, tantôt comme un exprimé abstrait, que les stoïciens appelaient lekton, et que la tradition a tantôt appelé complexe signifiable, tantôt proposition, tantôt sens. Selon l'accent mis sur l'une ou l'autre de ces relations, une sémiotique est tantôt axée sur la référence (comme la théorie médiévale des suppositions), tantôt axée sur la composante mentaliste (telle la théorie des signes comme idées dans l'esprit chez Locke et les empiristes classiques), tantôt sur la composante idéale. Les sémiotiques philosophiques distinguent habituellement deux niveaux (comme chez Frege(3), la distinction entre le sens et la référence d'un signe, ou chez Saussure(4) la distinction entre signifiant et signifié), mais il semble préférable, avec Peirce(5), de voir dans la relation de signe trois éléments (qui en font une relation « triadique ») : un signe est une chose reliée sous un certain aspect à un second signe, son objet, de manière à ce qu'il mette en relation une troisième chose, son interprétant, et ainsi de suite à l'infini. Il n'y a donc pas de signes pour un individu isolé, mais seulement pour une communauté au moins virtuelle d'interprètes. Peirce distingue encore les types de signes comme icônes, index et symboles, et la plupart des sémiotiques contemporaines ont repris ou reformulé des classifications de ce genre.
Une philosophie des signes n'est pas seulement une philosophie du langage. Comme l'avaient vu les stoïciens, elle implique aussi une théorie de l'inférence causale et inductive, une théorie de la pensée et l'intentionnalité (que l'on peut tenir pour un type de signification, mentale), et, dans la mesure où le langage est un trait spécifiquement humain, une théorie de la culture. La philosophie s'est souvent définie, en particulier au sein de la tradition herméneutique, comme discipline de compréhension des signes humains (voire divins, quand il s'agit d'interpréter les signes de la prédestination ou l'écriture), et de l'ensemble de la culture (comme dans la philosophie des formes symboliques de Cassirer(6)). La question fondamentale que posent les signes est celle de l'articulation du naturel et du conventionnel, et donc de la relation entre l'explication causale, propre aux phénomènes de la nature, et l'explication « compréhensive », propre aux phénomènes humains.
Claudine Tiercelin
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, De l'interprétation, trad. Tricot, Vrin.
- 2 ↑ Les Stoïciens, Gallimard, Pléiade, éd. Bréhier, Paris.
- 3 ↑ Frege, « Uber Sinn und Bedeutung », trad. in Écrits logiques et philosophiques, Seuil, Paris, 1970.
- 4 ↑ Saussure, F., Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1973.
- 5 ↑ Peirce, C. S., Écrits sur le signe, Seuil, Paris, 1978.
- 6 ↑ Cassirer, E., la Philosophie des formes symboliques, Minuit, Paris, 1972.
- Voir aussi : Nef, F., le Langage, Payot, Paris, 1993.
- Tiercelin, C., la Pensée-signe, J. Chambon, Nîmes, 1993.
→ icône, index, interprétant, référence, sémiotique, sens, symbole
Esthétique
Est-il possible de traiter les éléments constitutifs des objets esthétiques sur un mode plus ou moins conventionnalisé, calqué sur l'analyse du signe linguistique ?
À la différence des langues, les systèmes sémiotiques en usage dans les arts ne présentent pas de structure de double articulation. De plus, leur organisation syntaxique les rend souvent inaptes à la description quantique du langage ; par exemple, la continuité spatiale des images fait obstacle à la construction d'un vocabulaire iconique composé d'unités isolables et répétables, même si l'on peut toujours prélever en leur sein des motifs qui présentent une physionomie complète et les faire fonctionner de manière discriminante iconographiquement (par exemple, un rocher ou une plante dans une fresque médiévale), voire les recombiner dans un nouveau contexte (comme le pratique l'affiche publicitaire). Si l'image artistique peut fonctionner comme processus d'invention de code, elle est l'équivalent d'une langue qui présenterait la particularité d'être à la fois spécifique (ou adéquate) et restreinte à l'œuvre considérée.
Contrairement aux signes verbaux qui sont immotivés, les éléments iconiques conservent par ailleurs un lien de concordance visuelle avec ce dont ils sont les marques, ce pourquoi on en a fait au xviiie s. des paradigmes de signes naturels. Cette approche doit prendre en compte deux orientations de lecture : la ressemblance entre élément visuel et référent remplace l'unité de l'« image conceptuelle » (Gombrich), l'expérience visuelle étant censée fournir le principe illusionniste d'interprétation qui met en relation la totalité de l'image et ses parties. Inversement, l'invention plastique tend à schématiser un élément figuratif pour le faire entrer dans un répertoire formel qui lui confère une portée plus générale bien qu'il reste stylistiquement identifiable (témoin les gouaches découpées de Matisse). Il peut être alors éclairant de distinguer entre signe iconique (modes de transformation globale, notamment géométriques et optiques, d'une image) et signe plastique (registres qualitatifs de forme, couleur, texture, concernant sa facture).
Compte tenu de ces particularismes, l'art est en définitive moins langage que moyen de défaire et de refaire des systèmes de signes, d'en explorer les capacités symboliques et les limites, et de les faire interagir avec l'intégralité de notre expérience.
Jacques Morizot
Notes bibliographiques
- Groupe μ, Traité du signe visuel, Seuil, Paris, 1992.
- Eco, U., « Pour une reformulation du concept de signe iconique. Les modes de production sémiotique », in Communications, no 29, 1978.
- Gombrich, E. H., « Image and Code : Scope and Limits of Conventionalism in Pictorial Representation », in The Image and the Eye, Further Studies in the Psychology of Pictorial Representation, Phaidon, 1982.