organisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Philosophie Générale, Biologie
Totalité formée des parties complexes d'un corps vivant.
Les deux doctrines majeures qui se sont disputées le droit de penser le vivant sont sans conteste le mécanisme et le vitalisme sous toutes leurs formes. Le mécanisme pose en principe la réduction du corps vivant à un ensemble de pièces mécaniques artistement assemblées par Dieu. Le vitalisme affirme l'irréductibilité d'un principe vital qui échapperait dès lors à toute description en termes de grandeur, figures et mouvement. Le procès qui est fait au mécanisme, en particulier dans la formulation cartésienne d'une supposée « théorie de l'animal machine », est foncièrement injuste dans la mesure où, loin de réduire mécaniquement la vie à une pure expression machinale, Descartes produit de toutes pièces la possibilité de faire entrer le vivant dans la voie d'une analyse scientifique. La médecine n'existe virtuellement pas au moment où Descartes s'en empare. L'affirmation selon laquelle les parties du corps vivant peuvent être expliquées par des « comparaisons », lorsqu'elles sont possibles et permises par le développement de notre connaissance des machines, n'a pas de portée éthique, mais une simple valeur de modèle explicatif(1). S'il est vrai que Descartes ne parvient pas à surmonter l'obstacle que représente la formation du fœtus, il n'en demeure pas moins qu'en se donnant à la notion toute finale d'organisme, la biologie contemporaine renonce à la qualification de certains processus physico-chimiques qui, parce qu'ils échappent à toute description en termes de mécanisme, sont assimilés au centre obscur qu'est le mot inanalysable de « vie ». Kant a éprouvé les mêmes difficultés que Descartes face à certaines dispositions corporelles (l'auto-mouvement, l'auto-cicatrisation des tissus) et a fait usage, dans la Critique de la faculté de juger, de deux notions par lesquelles une certaine doctrine mécaniste, soutenue depuis les écrits pré-critiques jusqu'à la Critique de la raison pure elle-même, se trouvait abandonnée : la force formatrice, d'une part, et la finalité (interne et externe) d'autre part.
Georges Canguilhem a utilisé cette articulation du mécanisme et du vitalisme pour penser l'organisme au moyen d'une épistémologie et d'une histoire des sciences de la vie toujours entrecroisées. Il a mené de front une carrière philosophique et une ouverture permanente vers la médecine. C'est dans ce contexte qu'il soutient, en 1943, sa thèse de médecine : Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique. Thèse d'essence théorique dans laquelle la biologie, la physiologie ou les disciplines liées à la pathologie (anatomo-pathologie, tératologie etc.) sont convoquées sous la dépendance d'une analyse de ce que signifie, pour une totalité organique (c'est-à-dire un corps organisé), l'entrecroisement du normal et du pathologique. Pour l'essentiel il s'agit d'une remise en cause de la normalité comprise comme état défini ayant une valeur descriptive pour l'action thérapeutique. La norme subit chez Canguilhem(2) une torsion majeure en ce sens qu'il conviendrait de penser la pathologie en dehors d'une référence à la norme absente, qu'un organisme désirerait retrouver. La norme n'est pas un état assignable de l'organisme mais un travail dynamique, par l'organisme même, des rapports entre le milieu qu'il est et le milieu dans lequel il évolue. La biomécanique d'origine cartésienne, redécouverte au xixe s., a laissé dans l'ombre de l'histoire des sciences, selon Canguilhem, un certain nombre de contributions non pas mécanistes mais vitalistes au problème du réflexe. C'est ici que s'affine encore, d'une part, la nécessité de ne pas évaluer une idéologie scientifique (le vitalisme) en fonction d'une lecture seulement récurrente de la relation sanction / péremption, et d'autre part l'affirmation de la vie elle-même comme ce à quoi se réduit le pouvoir de connaître.
Un organisme est donc un ensemble dans lequel les parties existent en fonction du maintien du tout. Cette détermination n'est absolument pas absente du texte cartésien mais il y aurait, selon Canguilhem, dans certains aspects du vitalisme, des éléments plus propres à penser le fonctionnement réel de ces entités organiques pour lesquels le maintien dans l'existence est une affaire permanente de négociation des normes antécédantes et des obstacles formés par le milieu lui-même. De tels comportement finalisés n'ont effectivement que peu à voir avec la machinerie cartésienne si hâtivement dépeinte dans les traits d'une doctrine réactive, hostile à la vie elle-même.
Fabien Chareix
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Descartes, R., Traité de l'homme et Description du corps humain (Vrin-reprise, vol. XI, Paris – Reprint de l'Ed. Adam et Tannery, Vrin, Paris, 1971).
- 2 ↑ Canguilhem, G., Le normal et le pathologique, PUF, Paris, 1998 ; La connaissance de la vie, « Machine et organisme », Vrin, Paris, 1971.
- Voir aussi : Schiller, J., La notion d'organisation dans l'histoire de la biologie, Maloine S.A. éditeur, Paris, 1978.
→ biologie, mécanisme, médecine, milieu, norme, vie, vitalisme