Alain Bashung
Auteur-compositeur de rock et chanteur français (Paris 1947-Paris 2009).
Le choix du rock and roll
Enfant de constitution délicate, Alain quitte la capitale en 1948 pour l'air autrement vivifiant de la campagne alsacienne. Il grandit à Wingersheim, petite bourgade de la lointaine banlieue strasbourgeoise, dans sa famille paternelle. De cette époque, dont il garde un souvenir pour le moins mitigé, il n'a pas oublié les rengaines allemandes entendues à la radio, ni ses débuts dans le chant d'église, et les longues randonnées à vélo au cours desquelles il exorcise sa rage d'exister.
Quand il retrouve Paris, à douze ans, son univers musical s'est élargi à d'autres sons. Il a découvert Brassens, Gainsbourg, les premiers chanteurs de rock. Dès 1960, sur une guitare électrifiée avec les moyens du bord, il se produit avec des copains dans les kermesses et autres fêtes de quartier. Leur registre oscille entre bluegrass, country et rockabilly. Après des vacances à Royan où les concerts dans les bistrots lui ont rapporté ses premiers cachets, commence une longue tournée dans les bases américaines. Alain Bashung s'immerge un peu plus dans la culture anglo-saxonne et, surtout, le rock and roll. Ses modèles ont pour noms Buddy Holly, Gene Vincent, Eddie Cochran, Bo Diddley, Ray Charles, Sam Cooke, Nat King Cole, Bob Dylan. Entre ce monde de musique et une carrière de comptable qui se dessine, il n'hésite pas.
Romantique malgré lui
Après un premier enregistrement, Pourquoi rêvez-vous des États-Unis ?, en 1966. Alain Bashung va réaliser une douzaine de singles, dont un sous le pseudonyme de David Bergen, sans compter les reprises de Johnny Hallyday, Gene Vincent et Cliff Richard. Durant près de dix ans, il passe par tous les états du chanteur de variété en quête d'une notoriété qui se fait désirer. Nourri de culture rock, il doit se plier aux exigences de producteurs qui veulent à tout prix faire de lui un romantique. Les pochettes de ses disques d'alors, devenus autant d'objets de collection, en disent long sur le sujet. Bashung hante les scènes de clubs parisiens, prend part à divers tremplins sans parvenir à s'imposer. Beaucoup, embarqués dans ce mauvais mélo, auraient fini par se perdre, par renoncer. Lui s'accroche, non sans souffrir. D'un programme de 1967, avec entre autres le groupe Cream d'Eric Clapton, il se retrouve, six ans plus tard, dans la peau de Robespierre pour les besoins de la comédie musicale la Révolution française.
Un passage écourté sous les drapeaux, à Angoulême, ne constitue même pas un intermède dans cette lente descente aux enfers. De retour à Paris, Bashung loue ses services, en 1972, à Dick Rivers, french rocker patenté, pour qui il est tout à la fois producteur, musicien, homme à tout faire. Il s'initie alors aux autres facettes du métier. En 1977, il peut enfin laisser parler sa véritable nature, dans un premier 33 tours intitulé Roman-photos. Il y travaille avec Boris Bergman, qui a signé le texte de Rain and Tears des Aphrodite's Child. Les neuf chansons, où pointe déjà une certaine dérision, révèlent, à travers un touchant éclectisme, une solide culture musicale. Elles servent de répétition générale à la carrière qui s'ébauche.
La revanche du rocker
Avec l'album Roulette russe, pressé en 1979, le virage rock est indéniable. Outre Elsass Blues, autobiographique, on y découvre de véritables pépites comme Station service, Bijou, bijou, Toujours sur la ligne blanche et C'est la faute à Dylan. La voix a trouvé ce ton rauque qui colle si bien au genre. L'ambiance générale est noire, marquée d'une tristesse désabusée que vient contrebalancer l'humour. Comme les accords de guitare, torturés par instant jusqu'à l'angoisse, les mots s'inscrivent dans une logique créatrice rigoureuse. Pourtant, la maison de disques n'y croit pas. Un titre va alors tout faire basculer. En 1980, Gaby, oh Gaby – avec son introduction au saxophone, ses phrases aussi délirantes qu'incisives — propulse du jour au lendemain l'inconnu en pleine lumière et se vend à plus d'un million d'exemplaires. Blouson de cuir et lunettes noires, l'allure décalée déjà, Bashung devient un personnage très médiatique.
1981 est une année décisive : Vertige de l'amour impose un ton définitivement rock, avec les compositions radicales que sont Rebel, Ça cach'quekchose et Aficionado, et l'extravagant Pizza décroche le « Bus d'acier » qui est le Grand Prix du rock français. Les premiers pas de Bashung au cinéma dans le film de Fernando Arrabal le Cimetière des voitures, dont il signe la bande originale, et un passage à l'Olympia pour une unique soirée ressemblent à une parenthèse. Le chanteur va surprendre tout le monde en réalisant un disque jugé suicidaire, avant de devenir album culte : Play Blessures (1982), qu'il met en mots avec Gainsbourg. À l'autoparodie fait place une pensée troublante, hors du temps, traversée par un vent de folie incendiaire. Composés dans l'urgence, les neuf morceaux choisis, plus un instrumental, pulvérisent les règles de l'écriture traditionnelle et cultivent le paradoxe jusqu'à le transformer en art.
L'apothéose du créateur
Sorti en 1983, Figure imposée ressemble à une respiration. Sans sombrer dans le conventionnel, l'ambiance générale marque un retour à plus de normalité. Le double Live Tour 85, agrémenté d'une version studio de Hey Joe, crée l'événement tant il rend la dimension scénique de ce personnage à haut risque. Qu'il habille son show de quelques artifices ou qu'il se livre tel quel, Bashung n'est jamais aussi grand qu'en public. Félin, élégant, avec une invariable économie de mots pour ne pas se perdre dans d'inutiles digressions, il livre sa musique à l'instinct. Il percute, avec fulgurance, la peau et les sens avant de triturer l'esprit, même lorsque son lyrisme, toujours rock, passe par l'épure conceptuelle. Dès Passé le Rio Grande (consacré aux Victoires de la musique 1986), aux inspirations multiples, il ne cesse plus de brouiller les pistes. D'enregistrement en enregistrement, ses textes gagnent en pureté et, en parfaite harmonie avec les rythmes rock – ce qu'on a cru si longtemps impossible pour la langue française –, ils offrent plusieurs degrés de lecture, non sans évoquer une certaine poésie surréaliste.
Après Novice (1989), Osez Joséphine (1991), avec son titre homonyme à succès, amorce un retour vers un certain conformisme, qu'il faut toutefois nuancer à l'écoute de la version très minimaliste de Nights In White Satin des Moody Blues, du symphonique Madame rêve ou du virulent Volutes. En 1993, une compilation de toutes les créations depuis 1978 exhume 12 inédits et le Novice Tour de 1986. En 1994 sort l'album Chatterton,, aux textes plus énigmatiques que jamais et à la couleur musicale « country-new age » avouée. Puis Bashung signe encore un single triomphal, La nuit je mens (1999), un album fondamental, l'Imprudence (2002) et, malgré la maladie qui va l'emporter, l'exigeant autant que lumineux Bleu pétrole (2008), contenant l'exceptionnel Résidents de la République. Cet opus a contribué à faire de son auteur, en 2009, l'artiste de variété le plus couronné par les jurys des Victoires de la musique, avec onze récompenses au total.