Serge Gainsbourg

de son vrai nom Lucien Ginzburg

Chanteur, compositeur et parolier français (Paris 1928-Paris 1991).

Porté par le souffle libertaire de Saint-Germain-des-Prés, Serge Gainsbourg a été l’orchestrateur des profondes transformations que la chanson francophone a connues dans la seconde moitié du xxe s.Le répertoire qu’il a créé fait de lui le plus grand auteur-compositeur de sa génération.

L'esprit de Saint-Germain

Fils d’émigré russe ayant fui la révolution, Lucien Ginsburg (né le 2 avril 1928) doit à son père sa maîtrise du piano. Entré aux Beaux-Arts, il abandonne toutefois l’idée de vivre de la peinture, et c’est presque contraint et forcé qu’il se consacre à la musique. À Paris, il fréquente les cabarets de la rive gauche. D’abord accompagnateur, il se met ensuite – à l’instigation de Boris Vian – à interpréter ses propres textes, qui, au départ, déroutent plus qu’ils ne séduisent. Personnage clé de la chanson d’après-guerre, Jacques Canetti est l’un des tout premiers à reconnaître le talent de Gainsbourg. Non seulement il l’engage au théâtre des Trois-Baudets, mais il lui fait aussi prendre le chemin des studios. C’est ainsi que paraît l’album Du chant à la une (1958), qui contient les titres le Poinçonneur des Lilas et la Femme des uns sous le corps des autres, et qui est couronné par l’académie Charles-Cros l’année suivante.

Se forgeant la personnalité d’un poète cynique et baudelairien, Gainsbourg propage avec délice l’esprit de Saint-Germain-des-Prés (l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961 ; Gainsbourg confidentiel, 1964), que porte à son apogée son premier pur chef-d’œuvre romantique, la Javanaise (1964). Puis survient Poupée de cire, poupée de son, la chanson qui donne la victoire à France Gall lors du concours de l’Eurovision en 1965, et qui va considérablement élargir l’horizon de Gainsbourg.

De B.B. à Jane B.

Converti quelque temps à l’insouciance du yé-yé, puis véritablement intéressé par les nouveaux sons venus d’outre-Manche, Serge Gainsbourg lance la mode du franglais dans des chansons qui comptent parmi les plus originales de son répertoire, notamment celles que lui inspire l'actrice Brigitte Bardot (Harley Davidson, Bonnie and Clyde, Docteur Jekyll et Monsieur Hyde). Puis, avec la complicité de sa future épouse, la jeune actrice anglaise Jane Birkin, c’est de nouveau le flamboiement dont témoignent, en 1969, la chanson Je t’aime moi non plus (initialement enregistrée avec Brigitte Bardot) et l’album Jane Birkin et Serge Gainsbourg, qui comprend notamment l’Anamour et 69 année érotique, puis, en 1971, Melody Nelson, poème symphonique qui est l’œuvre à la fois d’un exceptionnel novateur et d’un esthète amoureux.

Même s’il considère la chanson comme un « art mineur », Gainsbourg continue à lui consacrer des albums retentissants : Vu de l’extérieur (1973), avec Je suis venu te dire que je m’en vais, puis Rock around the Bunker (1975), l’Homme à la tête de chou (1976), contenant les vers admirables dédiés à Marilou, et le très reggae Aux armes et cætera (1979). Ceux qu’il écrit pour Jane (Di Doo Dah, 1973 ; Lolita Go Home, 1975) appartiennent aussi au meilleur de son œuvre. Artiste aux multiples facettes, il réalise pour le cinéma Je t’aime moi non plus (1976), que suivront d’autres films.

Feu Gainsbarre

Au début des années 1980, rien ne va plus pour Serge Gainsbourg, qui se ressent des excès de sa vie (éthylisme, tabagisme) et peut-être d’interrogations plus profondes sur sa propre existence. Après le départ de Jane et de leur fille Charlotte, il devient « Gainsbarre », avec à la clé quelques beaux scandales sur les plateaux de télévision. C’est alors qu’une jeune femme entre dans sa vie. D’origine allemande et chinoise, elle s’appelle Caroline von Paulus. Avec celle qu’il surnomme Bambou, et qui lui donnera le « petit Lulu », Gainsbourg retrouve goût à la vie. « Tout homme peut être père, tant d’hommes le sont. La difficulté consiste à devenir papa », confiera-t-il.

Après un second album reggae (Mauvaises nouvelles des étoiles, 1981), le compositeur libère à nouveau toutes ses forces créatrices. Il écrit Guerre et pets (1980) pour Jacques Dutronc, Amour année zéro (1981) pour Alain Chamfort, Play blessures (id.) pour Alain Bashung, Souviens-toi de m’oublier (id.) pour Catherine Deneuve, Isabelle Adjani (1983) pour l’actrice devenue chanteuse, Baby Alone in Babylone (1983) et Lost Songs (1987) pour Jane Birkin, puis Variations sur le même t’aime (1990) pour Vanessa Paradis. Quant à ses deux derniers albums studio, Love on the Beat (1984) et You’re under Arrest (1987), ils confirment que le talent de Gainsbourg, après trente années de carrière, demeure à son zénith.

« Je composerai jusqu’à la décomposition », avait prévenu Gainsbourg. Les versions pathétiques de Gloomy Sunday et de Mon légionnaire sont les derniers faits d’armes de ce mélodiste hors norme. Trop gravement malade à la fin de 1990, il s’isole en famille dans un hôtel réputé de l’Yonne. Dès son retour à Paris, il est terrassé par une crise cardiaque le 2 mars 1991. Depuis lors, la chanson française n’est plus tout à fait la même…

L'« affaire » de la Marseillaise

Serge Gainsbourg fut un de ces artistes qui donnent dans la provocation comme on se voue à un art. Un jour, il a l’idée d’adapter la musique de la Marseillaise sur un rythme de reggae. Parue sur son album de 1979, Aux armes et cætera, cette version choc de l’hymne national français déclenche le courroux que l’on peut imaginer. Un journaliste va jusqu’à écrire qu’en voyant Serge Gainsbourg il se sentait « aussitôt en état de défense contre une sorte de pollution ambiante ».

Sincèrement affecté par la campagne de presse dont il est l’objet, Gainsbourg riposte en achetant le manuscrit original de la Marseillaise (135 000 F [20 580 euros]), vendu aux enchères à Versailles le 13 décembre 1981. Peu après, sur scène cette fois, il saura mettre de son côté les parachutistes, faisant de la sorte définitivement taire la bronca.