Louis XV
(Versailles 1710-Versailles 1774), roi de France (1715-1774).
1. Dauphin
1.1. Enfant-roi
Troisième fils de Louis, duc de Bourgogne, et de Marie-Adélaïde de Savoie, il porte le titre de duc d'Anjou puis celui de Dauphin à la mort de son frère aîné Louis (1712). Roi à 5 ans à la mort de son arrière-grand-père Louis XIV (1er septembre 1715), il est confié à Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine, surintendant de son éducation, à Fleury, son précepteur, au duc de Villeroy, son gouverneur. Fleury lui fait donner une excellente instruction avec des professeurs de choix tel le géographe G. Delisle.
Louis XV est un esprit curieux et ouvert, un lecteur assidu et éclectique. Homme du siècle des Lumières, passionné de sciences et de techniques, il favorisera la création de chaires de physique (1769) et de mécanique (1773) au Collège de France.
1.2. La Régence (1715-1723)
Pendant la minorité du roi (1715-1723), Philippe, duc d'Orléans, neveu de Louis XIV, exerce la régence muni des pleins pouvoirs que le parlement lui octroie (2 septembre 1715) après avoir cassé le testament du roi défunt moyennant la restitution du droit de remontrances. À la recherche d'appuis, le Régent favorise la noblesse en instaurant la polysynodie(15 septembre) et conclut l'alliance franco-anglaise (→ Triple-Alliance, 1717) destinée à contrecarrer les prétentions à la Couronne de France de Philippe V, roi d'Espagne.
Mais, devant l'incapacité politique de la noblesse, le Régent en revient à l'administration monarchique traditionnelle en rétablissant les secrétariats d'État (1718), puis confie le poste de Premier ministre au cardinal Dubois (1722).
Sacré à Reims en 1722 et proclamé majeur en 1723, Louis XV laissera gouverner le duc d'Orléans, devenu Premier ministre en août 1723, jusqu'à la mort de ce dernier (2 décembre).
Pour en savoir plus, voir l'article la Régence.
2. Le ministère du duc de Bourbon
Sur les conseils de Fleury, il le remplace par le duc de Bourbon, prince de Condé. Le roi a peu de part aux décisions du gouvernement, qui est livré aux influences occultes d'un clan d'affairistes comprenant notamment É. Berthelot de Pléneuf et le banquier J. Pâris-Duverney. Louis XV se voit imposer un mariage sans grandeur après que le duc, hostile à l'Espagne, a rompu ses fiançailles avec l'infante Marie-Anne Victoire : en 1725, il épouse Marie Leszczyńska, fille de Stanislas Ier Leszczyński, roi détrôné de Pologne ; dix enfants naîtront de cette union, dont sept survivront : le Dauphin Louis (1729-1765) et six filles.
Le ministère du duc de Bourbon est marqué par la persécution des protestants (1726), des manipulations monétaires, l'institution d'impôts nouveaux comme le cinquantième (1725) et la cherté des grains, qui entraîne troubles et marasme. En 1726, Louis XV renvoie le duc, qui envisage une guerre contre l'Espagne et l'Autriche, et le remplace par Fleury, son ancien précepteur, qui devient Premier ministre sans titre.
3. Prospérité et modernité
À partir de 1730-1735 s'ouvre pour une quarantaine d'années une période de prospérité matérielle sans précédent et d'essor intellectuel.
3.1. Abondance monétaire, production, échanges
La conjoncture des prix, des productions et des naissances, dépressive depuis 1630-1640, se retourne et connaît même un âge d'or (1763-1770), sous le ministère de Choiseul. Grâce à l'argent mexicain et à l'or brésilien, l'abondance monétaire revient et stimule la production et les échanges. La montée des prix agricoles entraîne la hausse de la rente foncière, qui, dans cet Ancien Régime économique à dominante agraire, soutient toute l'activité. Les profits de la terre s'investissent surtout dans les offices et les seigneuries, mais aussi pour une part non négligeable dans les ports, les manufactures ou le bâtiment.
C'est le temps des premières grandes aventures marchandes ou industrielles, le temps des Indes (→ Compagnie française des Indes), du sucre des Antilles, de la traite des Noirs, des compagnies du Creusot, d'Anzin et de Saint-Gobain. L'amélioration de la production agricole et la fin des famines vont de pair avec le recul des épidémies (la dernière peste, celle de Marseille, date de 1720) et la chute de la mortalité. Louis XV règne sur une France dont les habitants, estimés entre 19 et 22 millions, sont mieux nourris et plus riches qu'au siècle précédent, enrichissement qui se traduit par l'essor des villes. L'époque de Louis XV prépare ainsi la révolution agricole et industrielle. Engendrées par l'essor économique, de profondes mutations sociales sont en cours qui vont, à terme, ébranler les structures de l'Ancien Régime.
3.2. Bourgeoisie financière et vieille noblesse terrienne
Le règne de Louis XV est celui de la bourgeoisie financière, des Pâris, Dupin, Bouret ou Laborde, associés au pouvoir par ministre (ou favorite) interposé(e) et sans qui souvent la monarchie ne pourrait vivre. La marquise de Pompadour est avant tout la nièce du financier M. Le Normant de Tournehem, et le duc de Choiseul un protégé du clan financier Le Normant. Toutefois, une réaction nobiliaire se dessine qui vise à restaurer dans sa plénitude la richesse et la prépondérance sociale de la vieille noblesse terrienne. Elle se manifeste par les édits de triage (1767, 1773), qui autorisent la clôture des communaux, ou encore par la remise à jour des censiers. De même, c'est sous la pression de l'aristocratie que Louis XV révise dans un sens restrictif la procédure d'admission à la cour (1732, 1759).
3.3. Le combat de la noblesse
En réaction contre la politique de Louis XIV, la noblesse revient en force aux postes ministériels dont elle avait été écartée (Choiseul, d'Argenson, d'Aiguillon, etc.). Éclipsant les autres groupes par sa puissance matérielle et politique, la noblesse de robe, qui fusionne par mariages avec la noblesse d'épée et forme de vraies dynasties (les d'Aligre, les Séguier, les d'Ormesson, etc.), est en pleine ascension et elle s'emploie à assurer sa prééminence, en particulier contre le pouvoir royal. Au nom des privilèges baptisés « libertés », la robe, au sein des parlements, engage contre le « despotisme ministériel » (c'est-à-dire royal) un combat qui ne connaîtra pas le moindre répit pendant le règne : par son droit de remontrances, elle s'opposera à tout essai de réforme qui porte atteinte à ses privilèges.
3.4. L'esprit des Lumières
C'est enfin sous le règne de Louis XV que se développe une révolution des mentalités qui aboutit à remettre en cause l'Ancien Régime au profit de valeurs nouvelles, comme l'individualisme, la tolérance, la liberté, la croyance au progrès, la séparation des pouvoirs, l'égalité des hommes et la souveraineté du peuple : c'est le temps des « Lumières ». Au regard de l'histoire, les grandes dates du règne sont la publication de De l'esprit des lois (1748) de Montesquieu, de l'Encyclopédie (1751-1772), du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire et du Contrat social (1762) de Jean-Jacques Rousseau.
Pour en savoir plus, voir l'article siècle des Lumières.
4. Le ministère « réparateur » de Fleury (1726-1743)
Pendant près de vingt ans (1726-1743), Louis XV s'en remet de la conduite des affaires au cardinal de Fleury, dont le gouvernement générateur d'ordre et de paix est « réparateur ». Avec l'aide des contrôleurs des finances Le Peletier des Forts et Orry, Fleury stabilise la monnaie (1726), équilibre le budget (1738) et favorise l'essor économique : les communications s'améliorent (construction du canal de Saint-Quentin, 1738 ; développement du réseau routier par le corps des Ponts et Chaussées) ; le commerce maritime est stimulé par le Bureau et le Conseil du commerce : le trafic extérieur passe de 80 à 308 millions de livres de 1716 à 1743.
Toutefois, la réglementation colbertiste de l'État enraie le développement industriel. L'autorité royale manifeste sa puissance en réduisant l'opposition janséniste et gallicane : l'agitation provoquée par les convulsionnaires au cimetière Saint-Médard de Paris est brisée (1727-1732) ; contraint d'enregistrer la bulle Unigenitus (1730), le parlement, après l'exil de 139 magistrats, doit accepter de ne plus s'occuper de questions religieuses.
À l'extérieur, Fleury conduit une politique de paix fondée sur l'alliance anglaise et la réconciliation franco-espagnole. Mais Louis XV, circonvenu par Chauvelin, intervient dans la guerre de la Succession de Pologne (1733) pour soutenir son beau-père Stanislas Leszczyński. Toutefois, le traité de Vienne (1738), qui met fin au conflit, assure à la France les duchés de Lorraine et de Bar à la mort de Stanislas.
L'année suivante, une habile médiation de la France dans les affaires d'Orient (traité de Belgrade, 1739) débouche sur le renouvellement des capitulations (1740), qui consacre la prépondérance du commerce français dans le Levant. Le prestige de Louis XV, arbitre de l'Europe, est alors au plus haut.
5. Louis le Bien-Aimé (1743-1748)
À la mort de Fleury (1743), Louis XV décide de gouverner sans Premier ministre. Le souverain jouit alors d'une réelle popularité. Tombé malade à Metz (1744), il est l'objet de prières ferventes et reçoit le surnom de « Bien-Aimé ». Mais cette affection ne tarde pas à se muer en hostilité en raison des gaspillages financiers du roi, du rôle de ses favorites, mais surtout du vide apparent du trône.
5.1. Le règne des clans
Le roi s'intéresse aux affaires de l'État. Mais, indolent, il laisse le plus souvent agir ses ministres, chacun dans son département, quitte à leur rappeler soudain sa volonté par des disgrâces subites, mais sans jamais vraiment les diriger. En outre, il agit souvent à leur insu, notamment en politique étrangère, par l'intermédiaire du « Secret du roi ». L'essentiel du travail se fait dans des comités de ministres, réunis sans le roi. Au Conseil d'en haut, le roi laisse s'affronter les clans qui se disputent l'influence : au parti dévot, dirigé par le comte d'Argenson, secrétaire d'État à la Guerre, s'oppose le parti philosophique, dominé par Machault d'Arnouville, contrôleur général des Finances, et soutenu par la marquise de Pompadour, véritable ministre officieux de 1745 à 1764.
5.2. L'influente marquise de Pompadour
Maîtresse « déclarée » (1745), celle-ci favorise les idées de réformes. Appuyée par son clan financier (Pâris-Duverney, Montmartel, etc.), elle obtiendra du roi la nomination de ministres (→ Bernis, 1757), comme leur renvoi (→ Orry, 1745 ; Maurepas, 1749). Sur ses conseils, Louis XV soutient la politique d'équité fiscale de Machault d'Arnouville, qui crée l'impôt du vingtième sur tous les revenus (édit de Marly, 1749) pour combler le déficit du Trésor royal, qui s'élève à 100 millions en 1745.
6. Le tournant du règne
6.1. « Guerre de l'impôt », remontrances
Mais l'impôt soulève les violentes protestations des privilégiés au sein des états provinciaux, de l'assemblée du clergé et du parlement. Circonvenu par son entourage, Louis XV cède et dispense le clergé du vingtième (1751), qui devient un simple supplément de taille : c'est sa première défaite dans la « guerre de l'impôt » menée contre les privilégiés. En outre, le parlement, prenant prétexte de la querelle qui oppose le clergé aux jansénistes, adresse au roi des remontrances (avril 1753) où il se proclame « défenseur naturel des lois fondamentales du royaume » contre l'arbitraire monarchique.
6.2. Une politique extérieure déconcertante
À l'extérieur, la politique de Louis XV semble inconséquente : alors que la guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748) se termine par une série de victoires (→ Fontenoy, 1745 ; Rocourt, 1746 ; Lawfeld, 1747), le roi, par le traité d'Aix-la-Chapelle (1748), restitue toutes ses conquêtes à la stupéfaction des Français. En outre, en 1756, rompant avec la traditionnelle entente franco-prussienne, le roi opère le renversement des alliances par un accord avec l'Autriche (traité de Versailles, 1er mai) et s'engage dans la guerre contre la Prusse et l'Angleterre (→ guerre de Sept Ans).
6.3. Une impopularité croissante
Le mécontentement grandit contre l'incapacité politique du roi et le gaspillage de la cour, stigmatisés par une violente campagne de libelles qui inspire peut-être l'attentat de Damiens (5 janvier 1757) contre le roi. À l'instigation de la marquise de Pompadour, Louis XV renvoie les deux ministres les plus haïs, le comte d'Argenson et Machault (1er février 1757), et fait appel à Choiseul.
7. La crise du régime : Choiseul
Secrétaire d'État aux Affaires étrangères, à la Guerre et à la Marine, Choiseul fait fonction de Premier ministre de 1758 à 1770. Son ministère associe la prospérité économique et le fléchissement de la monarchie.
7.1. La France humiliée
En 1758, la situation extérieure est désastreuse en raison d'une guerre mal conduite par Bernis (→ défaite de Rossbach, 1757). Malgré le pacte de Famille, qu'il conclut en 1761, Choiseul ne peut éviter la perte de l'Inde et du Canada, cédés à l'Angleterre par Louis XV au traité de Paris (1763), qui met fin à la guerre de Sept Ans.
Dès lors, le ministre s'attache surtout à restaurer le prestige de la France. Il réorganise l'armée et la marine en vue d'une guerre de revanche contre l'Angleterre. Il réunit les duchés de Lorraine et de Bar à la France à la mort de Stanislas Leszczyński (1766), et assure la prise de possession de la Corse, achetée à Gênes (1768).
7.2. La fronde parlementaire
Mais, lié aux milieux privilégiés, Choiseul soutient les parlementaires dans leur opposition au roi et contribue ainsi à l'affaiblissement du pouvoir royal et au triomphe de la noblesse de robe. Les parlementaires imposent à Louis XV la dissolution de la Compagnie de Jésus (1764) ; s'ils acceptent la politique de libéralisme économique préconisée par les ministres physiocrates (libre commerce des blés, 1763-1764 ; exclusif mitigé, 1767 ; abolition du monopole de la Compagnie des Indes, 1769), ils s'opposent à tous les projets de réforme fiscale visant à instaurer ou augmenter les impôts pesant sur tous (subvention générale de Silhouette, 1759 ; édits fiscaux de Bertin, 1760) et destinés à juguler la crise financière de l'État.
La crise constitutionnelle atteint son apogée avec l'affaire du parlement de Bretagne : bien que fustigé par Louis XV (séance de la Flagellation, 3 mars 1766), le parlement exige le procès d'un agent du roi, le duc d'Aiguillon, qu'il prive en outre de ses privilèges, et émet la prétention de contrôler tous les actes de l'administration royale en Bretagne.
Interdisant à la monarchie toute réforme institutionnelle, la robe se dresse, en outre, contre le courant du siècle, contre la philosophie, et fait preuve de l'intolérance la plus rétrograde (affaires → Calas, Sirven, La Barre).
8. La réaction absolutiste
Humilié par les parlementaires, Louis XV disgracie Choiseul (24 décembre 1770) pour ses intelligences avec les magistrats, mais aussi pour sa politique extérieure, qui conduit à une guerre contre l'Angleterre. Le roi confie alors le gouvernement à un triumvirat formé par le duc d'Aiguillon, l'abbé Terray et le chancelier Maupeou (protégés de Mme du Barry), qui va, avec l'appui du roi, restaurer l'autorité royale et redresser la situation financière.
En 1771, le parlement s'opposant aux mesures financières de Terray et faisant grève pour protester contre la condamnation de l'unité de corps des parlements (lit de justice, 7 décembre 1770), Louis XV, soutenu par Maupeou, se décide à un « coup de majesté » : 130 magistrats sont exilés, le parlement de Paris est supprimé et remplacé par six conseils supérieurs ; les magistrats deviennent des fonctionnaires payés par l'État et la justice est rendue gratuite (édit du 23 février).
Cette « révolution » judiciaire, qui est aussi politique par la suppression d'une opposition paralysante, et sociale par l'extinction de la caste nobiliaire de la robe, permet à Terray de procéder à des réformes financières (le vingtième devient un impôt frappant tous les revenus, édit de novembre) et de réduire le déficit de 27 millions. Louis XV ne devait pas survivre longtemps à cet acte d'autorité qui avait sauvé le régime au bord de l'abîme en 1770. Le 10 mai 1774, il succombe à la petite vérole.