Carl von Linné
Naturaliste et médecin suédois (Råshult 1707-Uppsala 1778).
Jeunesse et années de formation
Carl, fils de Nils, lui-même fils d'Ingemar, reçoit à sa naissance ce qu'aucun de ses ascendants n'a eu : un nom de famille. Ce fut Linnaeus, d'un mot suédois latinisé signifiant « tilleul ». Son père, en effet, aime arbres et plantes, et, lorsqu'il est nommé pasteur à Stenbrohult en 1709, il dispose d'un terrain qu'il s'empresse de transformer en jardin. Carl fait parmi les fleurs ses premiers pas et ses premières observations.
C'est toutefois vers la médecine qu'il s'oriente, il mène à Lund (1727), puis à Uppsala (1728) une vie d'étudiant désargenté, s'occupant davantage des sciences naturelles que de médecine proprement dite. Jamais Linné ne recevra le titre suédois de docteur en médecine : il sera reçu docteur dans une toute petite université néerlandaise (Harderwijk) en 1735 et n'obtiendra l'équivalence dans son pays que grâce à ses relations.
La classification générale des êtres naturels
La chance de sa vie est alors de rencontrer, en 1729, Peter Artedi (1705-1735). C'est ensemble que les deux jeunes gens conçoivent le plan d'une classification générale des êtres naturels, ensemble qu'ils en commencent la réalisation. Le partage de leurs attributions respectives n'est pas très scientifique ; Linné se réserve les groupes aimables, bien vus des poètes et des dames – oiseaux, insectes, fleurs –, laissant à Artedi les groupes « répugnants » – poissons, reptiles – et les plantes ombellifères, que Linné trouve ennuyeuses.
Le premier grand voyage de Linné le conduit, seul, en 1732 en Laponie, d'où il rapporte les éléments de la Flora lapponica, qui ne paraîtra qu'en 1737. Mais c'est son séjour aux Pays-Bas (1735-1738) qui décidera de sa vie. Il présente à deux personnages haut placés, le Néerlandais Johann Frederik Gronovius (1686-1762) et l'Anglais Isaac Lawson, le manuscrit de son Systema naturae, que ceux-ci publient à leurs frais sans hésiter (1735).
Un auteur prolifique
Le banquier Georges Clifford (1685-1760) engage Linné comme médecin, intendant de son jardin et de sa ménagerie de Hartekamp entre Leyde et Haarlem. La même année, Artedi vient le rejoindre et se noie accidentellement dans un canal d'Amsterdam. C'est donc la volonté d'un ami mort que Linné exécute en publiant en 1738 l'Ichtyologie. D'autres publications : Bibliotheca botanica et Fundamenta botanica (1736), Genera plantarum, Methodus sexualis, Hortus cliffortianus (1737) et Classes plantarum (1738), marquent cette période néerlandaise, extraordinairement féconde.
Puis Linné rentre en Suède, exerce la médecine pendant trois ans, fait jouer la puissante influence de son ami le comte Tessin pour obtenir en 1741 une chaire de médecine à l'université d'Uppsala et pour troquer celle-ci, dès l'année suivante, contre la chaire de botanique. Entre-temps, il s'est marié (1739) et il a fondé et présidé l'Académie des sciences de Suède.
Le reste de sa carrière va se traduire par de nombreuses publications, notamment Flora suecica (1745), Fauna suecica (1746), Hortus upsaliensis (1748), Philosophia botanica (1751), Species plantarum (1753). En 1755, le roi d'Espagne offre à Linné un poste éminent, qu'il refuse. En 1761, Carl Linnaeus est anobli sous le nom de Carl von Linné.
C'est en pleine gloire que Linné tombe malade (1774) et meurt (1778), laissant derrière lui une œuvre immense et, mieux encore qu'un nom, un adjectif : linnéenne, qui se dit d'une espèce aux caractères nettement tranchés et clairement définis. On appelle même parfois de telles espèces des linnéons.
L'apport scientifique de Linné : un ordre et un langage
On est, au premier abord, surpris de tant de gloire : la classification générale des plantes proposée par Linné, et fondée sur le nombre des étamines, est entièrement artificielle et ne lui a pas survécu. Fixiste résolu, il affirme que « la nature compte aujourd'hui autant d'espèces que l'Être infini en a créées à l'origine », à une époque où des précurseurs, tels Buffon et Pierre Louis de Maupertuis, pressentent que les espèces se transforment au cours du temps. La contribution de Linné à la connaissance de faits scientifiques nouveaux est minime. Mais Linné est venu dans le monde scientifique exactement à son heure : au moment où, submergés sous les envois d'espèces nouvelles venues des lointains tropiques, les botanistes, et dans une moindre mesure les zoologistes, en arrivaient à ne plus savoir de quoi ils parlaient, Linné leur a fourni un ordre et un langage.
Un ordre, par ce fabuleux travail de recension et de comparaison qui l'a conduit à grouper espèce par espèce plusieurs dizaines de milliers de formes vivantes animales et végétales. Un langage, par la mise au point de la nomenclature dite « binomiale » ou « binominale », celle qui permet seule de ne prononcer que deux mots pour désigner sans ambiguïté une espèce. On sait en effet que le premier de ces mots, le nom générique, est commun à plusieurs espèces voisines l'une de l'autre, tandis que le second, ou nom spécifique, qui est d'ailleurs souvent un adjectif, ne s'applique qu'à une seule espèce à l'intérieur du genre. Ce mode de désignation des êtres aurait été précieux même si, dans le détail, Linné avait fait beaucoup d'erreurs ; or, il en a fait remarquablement peu, et nombreuses sont les espèces qui, de nos jours encore, portent à la suite de leur nom l'initiale L., signalant que ce nom est dû à Linné.
Qu'on ajoute à cet immense service rendu à la science l'enthousiasme communicatif du professeur et l'on s'expliquera qu'une véritable « école linnéenne » ait pu se constituer, qu'il y ait à Londres et ailleurs des « sociétés linnéennes » et que l'autorité de la méthode linnéenne ait pu faire longtemps obstacle à la divulgation de pensées scientifiques tout aussi fécondes, mais d'esprit opposé, comme celle de Buffon et celle de Darwin.