Yitzhak Yzernitzky, dit Yitzhak Shamir
Homme politique israélien (Ruzinoy, Pologne, 1915-Tel-Aviv 2012).
Dans ses Mémoires, rédigés après avoir quitté la tête du gouvernement israélien, en 1992, Yitzhak Shamir apparaît d'une fidélité absolue au choix politique qu'il fit à quatorze ans, dans sa Pologne natale, en rejoignant les rangs de la droite sioniste. Il était fermement persuadé en 1929 de la nécessité de constituer un état juif sur toute la terre d'Israël (y compris, donc, la Cisjordanie et Gaza occupés en juin 1967), il le reste aujourd'hui. Cette persévérance correspond bien à ce combattant obstiné qui a œuvré sans relâche pour défendre un sionisme intégral.
1. En Pologne
Ayant grandi dans une famille aux convictions sionistes bien trempées, le jeune Yzernitzky – il hébraïsera son nom après son arrivée en Palestine – fréquente les écoles et lycées du réseau Tarbout (culture) dans lesquels les cours sont donnés en hébreu. Les émeutes anti-juives d'août 1929 en Palestine dont les échos parviennent vite jusqu'à lui précipitent son engagement politique. Il adhère au groupe de jeunesse Betar dont le leader, Vladimir Jabotinsky, est le chef de la droite sioniste. Cette dernière défend l'idée d'une immigration de masse et la création à terme d'un état juif sur « toute la terre biblique d'Israël ». Elle est aussi favorable au renforcement des capacités militaires des Juifs en Palestine, indispensables pour briser l'opposition des Arabes. Yitzhak Shamir est séduit par ce sionisme sans concession, et la montée de l'antisémitisme en Allemagne comme en Pologne, le convainc de le mettre en pratique. En novembre 1935, il débarque à Jaffa.
2. L'activisme en Palestine
Il gagne sa vie comme comptable mais le plus clair de son temps libre est occupé par l'activisme politique. Les années 1936-1939 sont particulièrement troublées. Après une grève générale de six mois, les Arabes palestiniens lancent une vaste insurrection armée contre les Britanniques mais aussi contre les Juifs. Si la Haganah, l'organisation para-militaire proche des socialistes, est favorable à une posture de défense, un groupe dissident, l'Irgoun, identifié à la droite sioniste, se fait l'avocat d'une stratégie offensive. Elle entreprend de répondre à la violence palestinienne qui vise parfois des civils sur le même terrain : des bombes sont déposées dans les marchés et les bus arabes. Shamir participe à ces attentats terroristes en 1937-1939 mais refusera toujours de donner des détails précis.
Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l'Irgoun suspend ses activités anti-britanniques. Yitzhak Shamir, pourtant, ne s'y résout pas et rejoint un groupuscule radical, le Lehi (Combattants pour la liberté d'Israël), ou groupe Stern, du nom du fondateur et dirigeant, Abraham Stern (1907-1942), un homme auquel il a voué toute sa vie une admiration sans borne, donnant à son propre fils le nom de guerre d'Abraham Stern, Yair. Il est chargé du recrutement de nouveaux militants et des hold-up pour alimenter la caisse du « gang Stern ». Arrêté une première fois par les Britanniques en 1942, il parvient à s'évader et devient membre de la troïka qui dirige désormais le Lehi, Abraham Stern ayant été abattu par la police. Yitzhak Shamir a la responsabilité des « opérations » c'est-à-dire des attentats individuels contre les soldats et les hauts fonctionnaires britanniques. Le plus spectaculaire sera perpétré à l'automne 1944 au Caire contre le ministre résident pour le Moyen-Orient, lord Moyne.
Par la suite, il dirige, en coordination avec les autres organisations clandestines juives, une série d'attaques contre les commissariats, les bases militaires, les voies ferrées… En août 1946, il est à nouveau arrêté et envoyé cette fois en relégation en Érythrée. Il ne retournera dans ce qui est devenu l'État d'Israël qu'après l'accession du pays à l'indépendance en mai 1948. Le Lehi rentre progressivement en sommeil. Il se signalera encore une dernière fois en septembre par l'assassinat du médiateur de l'O.N.U., le comte Folke Bernadotte, un acte que Yitzhak Shamir attribua à une faction dissidente.
3. Le long chemin vers l'engagement politique
Activiste dans l'âme, il se trouve brusquement désœuvré après l'établissement de l'État d'Israël, confiné dans des emplois de cadre jusqu'au jour de 1955 où il est recruté par les services secrets israéliens, le Mossad. De cette période de sa vie qui dure dix ans, on sait peu de chose. Seulement qu'il fut en poste quelques années à Paris, ce qui lui permit de bien maîtriser la langue et d'apprécier la culture française. Il sera chargé de l'organisation de différentes missions, de la collecte d'informations à des opérations ponctuelles. Après avoir quitté le Mossad suite à une crise interne, il milite activement pour la défense des Juifs d'Union soviétique. Finalement, en 1970, il rentre en politique en rejoignant l'exécutif du parti Herout de Menahem Begin qui défend un nationalisme vigoureux. Trois ans plus tard, il est élu député à la Knesset : il le restera vingt-trois ans.
4. Aux sommets de l'État
L'année 1977 marque une étape décisive dans son ascension politique. Le Likoud, qui a pris le relais du Herout, gagne les élections mettant fin à la présence ininterrompue des travaillistes au pouvoir depuis la création de l'État. Yitzhak Shamir devient président de la Knesset et préside la séance extraordinaire de novembre 1977 au cours de laquelle le président égyptien Anouar el-Sadate propose à Israël une paix réelle fondée sur la justice. Tout en mesurant la portée historique de ce geste, Yitzhak Shamir n'est pas disposé à accepter le prix territorial de la paix. Il s'abstient à la fois lors du vote d'approbation des accords de Camp David (septembre 1978) et lors du traité de paix avec l'Égypte (mars 1979) car il est fermement opposé au démantèlement des implantations juives du Sinaï.
En mars 1980, il est nommé ministre des Affaires étrangères, poste qu'il conservera durant plus de six années. Il œuvre au rapprochement avec les États-Unis, qui se concrétise par le renforcement de la coopération stratégique et par un accord de libre-échange. Il est également associé à l'offensive israélienne très controversée au Liban (juin 1982) qui sera, en particulier, marquée par les massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila. La commission d'enquête chargée de faire la lumière sur ces meurtres collectifs commis par des phalangistes chrétiens après l'entrée de l'armée israélienne à Beyrouth le tiendra pour fautif, invoquant son manque de vigilance.
Les évènements du Liban conduisent Menahem Begin à la retraite politique en octobre 1983, et Yitzhak Shamir le remplace au poste de Premier ministre. Les élections de 1984 ayant donné au Likoud et au parti travailliste un nombre de sièges quasiment équivalent, les deux formations constituent un gouvernement d'union nationale dans lequel Yitzhak Shamir est vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères durant deux ans avant de passer la main à Shimon Peres qui lui cède, en 1986, le poste de Premier ministre. Il le conservera finalement jusqu'en 1992 d'abord à la tête d'un nouveau cabinet d'union nationale avec le parti travailliste (de 1988 à 1990) puis à la tête d'un gouvernement de droite, et profitera de cette position pour encourager le développement de la présence juive dans les territoires occupés, en particulier en Cisjordanie.
5. Les nouveaux défis
Les deux dernières années de Yitzhak Shamir au pouvoir sont marquées par deux types de défis. Le premier est intérieur, avec l'arrivée massive d'immigrants juifs d'Union soviétique à la faveur de la perestroïka gorbatchévienne. Dans la seule année 1990, près de 190 000 Juifs arrivent en Israël. Yitzhak Shamir, qui a longtemps lutté pour leur liberté, y voit la confirmation que l'idéal sioniste de rassemblement des exilés conserve toute son actualité. Dans l'urgence, il tente avec son gouvernement de donner à cette nouvelle population emploi et logement. Les inévitables ratés face à l'immensité de la tâche nourriront chez les « Russes » un certain ressentiment qui les amènera à refuser leur confiance à Yitzhak Shamir lors des élections de 1992.
Le second défi est régional. Au cours de la guerre du Golfe, déclenchée après l'invasion du Koweït par Saddam Husayn, ce dernier lance une trentaine de missiles Scud sur Israël en espérant pousser ce pays à entrer en guerre, ce qui aurait inévitablement fait éclater la coalition anti-irakienne mise sur pied par les États-Unis. Avisé, Yitzhak Shamir évite de tomber dans le piège et maintient Israël en dehors du conflit. La victoire des Alliés permettra le lancement d'un ambitieux processus diplomatique destiné à régler par la négociation le différend israélo-arabe. Fin octobre 1991, Yitzhak Shamir dirige la délégation israélienne à la conférence de paix de Madrid où, pour la première fois, Israéliens et Arabes (y compris les Palestiniens) se font face. De façon ironique, Yitzhak Shamir, qui a toujours été un opposant résolu du nationalisme palestinien, est le premier chef de gouvernement de l'État juif à engager un dialogue politique officiel avec certains de ses représentants.
Quelques mois après cet évènement majeur, en juin 1992, le Likoud perd les élections, remportées par les travaillistes emmenés par Yitzhak Rabin. Yitzhak Shamir prend acte de la défaite et abandonne la direction du Likoud à un nouveau leader, Benyamin Netanyahou. Il reste toutefois membre de la Knesset jusqu'en 1996, critiquant sévèrement les accords d'Oslo entre Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) dont il dénonce à la fois la logique et le résultat, l'avènement à terme d'un État palestinien.
Jusqu'au bout, Yitzhak Shamir a marqué sa fidélité à un sionisme intransigeant qui est singulièrement en décalage avec l'esprit de compromis nécessaire à la recherche de la paix. Il demeure un des derniers témoins d'une génération en voie d'extinction : celle des pères-fondateurs, nés en Diaspora, engagés précocement dans l'activisme sioniste et profondément marqués par la Shoah.
Pour en savoir plus, voir les articles Israël : histoire, Palestine, Question palestinienne.