Sénèque le Philosophe
en latin Lucius Annaeus Seneca
Philosophe latin (Cordoue vers 4 avant J.-C.-65 après J.-C.), fils de Sénèque le Rhéteur.
Philosophe d'abord proche du pouvoir à l'époque où Néron régnait sur Rome, Sénèque s'inspira des préceptes du stoïcisme pour élaborer une morale qui fût à la portée de ses concitoyens. Ses écrits, dont l'un des grands admirateurs devait être Montaigne, ont de tout temps contribué au prestige des lettres latines.
Le philosophe aux affaires
Fils cadet de Sénèque le Rhéteur, propriétaire foncier dans la région de l'actuelle Cordoue, Lucius Annaeus arrive très jeune à Rome, où il apprend la rhétorique et découvre la philosophie, notamment celle de l'école grecque du Portique – le stoïcisme. Il s'impose une vie de privations qui finit par nuire à sa santé. Afin de se rétablir, il entreprend un voyage en Égypte, dont le climat lui est conseillé, et, dès son retour à Rome (31 après J.-C.), il entame une carrière politique comme questeur. Mettant à profit ses talents littéraires, il compose à l'intention d'une amie aristocrate, qui vient de perdre un fils, la première de ses Consolations (vers 39-40) et, d'emblée, acquiert une grande notoriété. Sous le règne de Claude, il se retrouve au cœur des intrigues de Messaline, dont le prétexte est une sombre affaire d'adultère impliquant l'empereur et l'une des sœurs de Caligula ; il est alors condamné à la relégation (exil forcé sans privation de ses biens) et vit en Corse pendant huit ans (41-49).
Rappelé à Rome à la mort de Messaline, Sénèque doit à la faveur de la nouvelle femme de Claude, Agrippine la Jeune, de progresser dans le cursus honorum (« carrière des honneurs »), en obtenant la charge de préteur (50), et d'être nommé précepteur de Néron, le fils d'Agrippine adopté par Claude. Lorsque celui-ci est assassiné et que Néron, tout juste âgé de 17 ans, lui succède, Sénèque devient le conseiller privé du nouvel empereur, grâce auquel il amasse une fortune considérable. Se prêtant aussi au jeu de la propagande, il tourne en dérision la divinisation de Claude dans un pamphlet connu sous le nom d'Apocolocynthosis (« la Métamorphose en citrouille » [vers 54]). Homme de l'ombre lors du meurtre d'Agrippine, il prend conscience, cependant, qu'il ne pourra pas freiner la dérive criminelle de Néron et décide, en 62, de quitter ses fonctions – au risque de froisser l'empereur. Compromis dans la conjuration qui doit porter au pouvoir le noble Pison, Sénèque ne peut plus échapper à la mort. Sur l'ordre de Néron, il s'ouvre les veines, sans doute le 19 ou le 20 avril de l'année 65.
Le moraliste stoïcien
Pendant toute la période où Sénèque a vécu à la cour de Néron, il n'a pas cessé de travailler à son œuvre philosophique, mêlant ainsi ambition et réflexion. Les écrits que nous possédons se présentent comme autant de traités de direction morale, dont les titres précisent parfaitement les intentions et dont nombre de maximes sont passées à la postérité. Les principaux sont De la brièveté de la vie (49), De la tranquillité de l'âme (53 ou 54), De la constance du sage (55), De la clémence (56), De la vie heureuse (58) et Des bienfaits (59-60) – ce dernier texte contenant des pages éclairantes sur l'art de donner et de recevoir. Il s'y ajoute les Lettres à Lucilius, que Sénèque écrit sur la fin de sa vie et qui contiennent l'essentiel de sa sagesse. Les autres ouvrages qui nous sont parvenus attestent sa puissance de travail et d'écriture : ils comptent neuf tragédies – dont les Troyennes, Médée, Phèdre et Œdipe – et un traité scientifique en sept livres, les Questions naturelles.
Sénèque trouve dans le stoïcisme d'origine grecque le moyen de donner corps à une véritable philosophie romaine. Faisant, comme tous les stoïciens, la part de « ce qui dépend de nous » (notre intellect) et de « ce qui ne dépend pas de nous » (notre destin), il amène l'homme à trouver la voie du bonheur en ce monde en vivant selon sa nature, c'est-à-dire en faisant usage de sa raison, qui l'élève au-dessus des animaux. Mais il renouvelle aussi la pensée stoïcienne, en proposant une morale qui concilie les exigences de l'action, telle que lui-même l'a pratiquée, et les aspirations à la sagesse, qu'il nous appartient de satisfaire en nous détachant des biens terrestres. Car ceux-ci, fussent-ils ce qu'il appelle les « biens préférables » – comme la santé, la richesse ou la gloire –, ne doivent pas nous détourner de la recherche du bien moral, le seul « souverain bien ».
« Thérapie » stoïcienne
Dans son traité De la tranquillité de l'âme, Sénèque se livre à une longue explication aux connotations médicales. À son ami Annaeus Serenus, qui est venu le consulter parce qu'il souffre de ne pas être dans la vie un assez bon stoïcien, il prescrit une liste de remèdes. Il s'agit, en effet, de lui redonner la santé de l'âme – assimilée ici à la « tranquillité ».
On apprend ainsi que Serenus devra se garder d'un excès d'activités, et surtout de mondanités, se choisir des amis empressés, sans qu'ils soient agités, et se soustraire à l'attrait durable de la richesse, imitant en cela Zénon de Kition (le fondateur du stoïcisme), qui, après avoir perdu tous ses biens lors d'un naufrage, avait déclaré : « La Fortune [le Destin] m'invite à philosopher plus à mon aise. »
Sénèque fait aussi comprendre à son ami que ce que nous nommerions, en langage moderne, le stress, l'arrivisme et le surmenage sont les ennemis de l'homme.