Rudolf Gametovitch Noureïev
Danseur d'origine soviétique naturalisé autrichien (Razdolnaia 1938-Paris 1993).
Par sa plastique, sa virtuosité et sa force d'inspiration, Rudolf Noureïev domina le monde de la danse classique pendant un quart de siècle. Il interpréta plus d'une centaine de rôles, travailla avec plusieurs dizaines de chorégraphes et donna lui-même de grands ballets du répertoire des versions qui font date.
L'étoile venue de l'Oural
Dernier-né d'une famille d'origine tatare et de religion musulmane, Rudolf Noureïev voit le jour à bord du Transsibérien, dans la région du lac Baïkal. Sa mère, Farida, accompagnée de ses trois filles, avait quitté Moscou pour rejoindre son mari, Hamet, ancien paysan devenu major de l'Armée rouge. C'est à Oufa, capitale de la république de Bachkirie – alors soviétique –, que la famille s'établit en 1941. Elle y vit pauvrement, dans une maison en bois collective. C'est pourtant dans cette ville du fin fond de l'Oural que Rudolf, âgé de 7 ans, découvre sa vocation et prend ses premiers cours. Bravant l'autorité de son père, hostile au métier de danseur, il part en 1955 pour Leningrad, où il fréquente la fameuse école Vaganova, et, en 1959, il est admis au Kirov. Devenu rapidement premier danseur du corps de ballet, il trouve des rôles à sa mesure dans des œuvres comme Don Quichotte, la Bayadère, la Belle au bois dormant ou le Lac des cygnes. Admirable par ses tours de force scéniques, et notamment par l'envolée de ses sauts, convaincant par les variations de son jeu, il dégage aussi un magnétisme sensuel unique en son genre.
En 1961, le Kirov entreprend sa première tournée à l'étranger, qui commence par Paris et doit se poursuivre par Londres. C'est alors que, le 17 juin, au moment de prendre l'avion qui va décoller du Bourget, Noureïev demande l'asile politique à la France. Ce « passage à l'Ouest » du danseur vedette de l'U.R.S.S. provoque un imbroglio diplomatique qui se dénoue en lui accordant la nationalité autrichienne. Noureïev fait un bref passage au sein du Grand Ballet du marquis de Cuevas, avant de réorienter à la fois sa vie et sa carrière aux côtés du danseur danois Erik Bruhn.
L'époque du Royal Ballet
Invité à Londres, cette même année 1961, par Margot Fonteyn, Noureïev est aussitôt sollicité par le Royal Ballet. Près de vingt ans séparent les deux danseurs étoiles, mais, entre eux, s'établit une complicité artistique qui fait merveille dans Giselle et le Lac des Cygnes, comme dans les légendaires créations que sont Marguerite et Armand de Frederick Ashton (1963) et Roméo et Juliette de Kenneth MacMillan (1965). Noureïev reste l'hôte de Covent Garden jusqu'en 1977, tout en menant une carrière internationale hors du commun.
S'il se veut le continuateur de Vaslav Nijinski (le Spectre de la rose, Petrouchka) et s'il collabore avec les héritiers du néoclassicisme – George Balanchine, Roland Petit –, Noureïev s'associe également avec ferveur aux recherches des représentants de la modern dance – Martha Graham, Murray Louis, Paul Taylor – et à celles de Maurice Béjart, qui lui offre avec le Chant du compagnon errant (1971) le ballet miroir de toute sa vie. En passant lui-même à la chorégraphie, il reprend à sa source l'œuvre de Marius Petipa (Raymonda, le Lac des cygnes, la Bayadère, Casse-Noisette), mais il la remanie aussi dans des versions qu'il destine à diverses compagnies de danse. Il reste fidèle à ce principe : « Le danseur doit pouvoir être un polyglotte de la danse – un polydanseur – et se faire l'interprète de plusieurs styles, pratiquer plusieurs techniques. »
L'époque de l'Opéra de Paris
En 1983, Noureïev est appelé à l'Opéra de Paris pour occuper le poste de directeur de la danse, qu'il conservera jusqu'en 1989. Il enrichit alors considérablement le répertoire du corps de ballet. Il puise dans le patrimoine en restant fidèle à sa démarche : il en propose une relecture qui respecte l'esprit de la chorégraphie originelle tout en innovant dans la relation dramaturgique et l'exécution technique. Il fait aussi une incursion dans le baroque (Bach-Suite, 1984). En même temps, il s'ouvre aux créateurs contemporains, tels Merce Cunningham, Jiří Kylián et William Forsythe. Il stimule les danseurs en leur faisant partager son savoir pour que l'acte dansé soit aussi l'expression d'une pensée ou d'un sentiment. Tout en conservant les grands solos féminins, il étoffe les rôles masculins.
Parallèlement, Noureïev poursuit sa carrière d'interprète, à Paris, à Londres, à Leningrad même, où il revient en 1989, ou lors d'autres tournées. Dans le cadre du groupe « Noureïev et ses amis », il se produit dans des programmes qui lui permettent de renouveler ses sources d'inspiration et de diversifier ses rôles sur scène en les adaptant à son âge. Atteint du sida, celui qui proclamait « chaque pas doit porter la marque de son sang » s'éteint après avoir offert au public de l'Opéra de Paris une nouvelle version de la Bayadère, dont la première a lieu le 8 octobre 1992. Selon sa volonté, il repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne).
Noureïev autrement
Outre la danse, Rudolf Noureïev eut la passion du cinéma et de la musique. Dès l'époque d'Oufa, il découvrit les films de l'acteur Rudolph Valentino, qu'il incarna lui-même à l'écran sous la direction de Ken Russell (Valentino, 1977), et vénéra les grandes actrices américaines, avec une préférence pour Bette Davis. Comme nul autre danseur, il se servit aussi de la télévision pour que son art fût accessible au grand public. Il y interpréta une quinzaine de ballets.
Si Noureïev n'avait pas fait une carrière de danseur, il eût été musicien. Dès sa jeunesse, il aima Tchaïkovski, Mozart, Beethoven et Chopin. Sur la fin de sa vie, il réalisa le rêve de devenir chef d'orchestre. Il y fut encouragé par des sommités comme Karl Böhm, Herbert von Karajan et Leonard Bernstein. C'est à Vienne qu'il tint la baguette pour la première fois et, le 6 mai 1992, huit mois avant sa mort, il dirigea le Roméo et Juliette de Prokofiev au Metropolitan Opera de New York.