Merce Cunningham

Danseur et chorégraphe américain (Centralia, Washington, 1919-New York 2009).

Remettant en cause les codes de la modern dance, Merce Cunningham a été l’initiateur d’un mouvement qui a ouvert la voie aux chorégraphes dits « postmodernes ». Avec lui, une nouvelle esthétique est née, fondée sur l’idée que la danse et la musique doivent être indépendantes.

Le chorégraphe de la rupture

Élève à l’école de danse de Seattle, Merce Cunningham y fait la connaissance, en 1938, de John Cage, qui y est accompagnateur au piano ; la relation artistique et professionnelle qui s’établira entre eux durera pendant toute la vie du compositeur. La carrière du chorégraphe commence, entre 1939 et 1945, sous les auspices de Martha Graham, qui le fait venir à New York et le nomme premier danseur de sa compagnie (Letter to the World, 1940 ; Appalachian Spring, 1944). En 1942, Cunningham commence à présenter ses propres pièces, qui comportent des solos conçus sur une musique de John Cage écrite pour piano préparé (Totem Ancestor, 1942 ; Roots of an Unfocus, 1944). Les deux créateurs privilégient alors ce qu’ils appellent la « structure rythmique », justifiant selon eux la séparation entre la musique et la danse. Lors de leurs tournées aux États-Unis, ils se heurtent parfois à l’incompréhension du public.

Dès ses débuts, Cunningham se met en quête d’une nouvelle conception du mouvement, appréhendé pour lui-même. Progressivement, il en vient à élaborer une méthode d'entraînement qui forge des corps capables de répondre à toutes les projections possibles (par des combinaisons aléatoires) du mouvement dans l'espace – chaque danseur animant librement cet espace (Sixteen Dances for Soloist and Company of Three, 1951 ; Septet, 1953). Il faut y voir la transposition dans le domaine de la danse des recherches que John Cage mène dans celui de la musique en y introduisant la notion d’aléatoire. Celle-ci imprègne aussi la danse que Cunningham imagine en 1952 sur un extrait de la Symphonie pour un homme seul, œuvre de musique concrète de Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Par la suite, le chorégraphe et le musicien travailleront chacun de son côté à un même sujet et ne réuniront leurs contributions respectives que le jour de la première.

De l'event à l'informatique

La fondation, en 1953, de la Merce Cunningham Dance Company consacre l’avènement de l’avant-garde en chorégraphie. Les peintres Robert Rauschenberg et Jasper Johns, représentants d’un courant « néodadaïste », en seront d’ailleurs les scénographes attitrés – le premier signant notamment les décors de Summerspace (1958) et le second, ceux de Walkaround Time (1968), réalisés d’après une œuvre de Marcel Duchamp, le Grand Verre. D’un point de vue conceptuel, la démarche de Cunningham trouve son aboutissement dans l’event, pièce sans entracte réglée en fonction du lieu où elle se donne : elle se compose d'extraits de différentes œuvres et de séquences créées pour l'occasion, dont le choix et l'ordre sont déterminés de manière aléatoire la veille ou le jour même de la représentation. Il s'agit d'offrir aux spectateurs « moins une soirée de danses que l'expérience de la danse ». Le premier event est présenté dans un musée de Vienne en 1964.

Transposant le quotidien dans les gestes d'une danse simple et naturelle, sans cesse renouvelée, mais sans but narratif ni support psychologique, Merce Cunningham attache son nom à des compositions qui comptent parmi les plus originales de l’époque contemporaine : Un jour ou deux (1973), Changing Steps (1975), Roaratorio (1983), Enter (1992), Windows (1995), Split Sides (2003). Certaines investissent de nouveaux domaines expérimentaux : celui de la « danse pour le cinéma » (Locale, 1979), celui de la « vidéodanse » (Points in Space, 1987), qui permettent à Cunningham d’explorer les possibilités spatiales de l'écran bidimensionnel, ou encore celui de la danse transposée en images numériques (Biped, 1999).

La légende vivante

Créateur de plus de cent cinquante chorégraphies rien que pour sa compagnie, Merce Cunningham travaille aussi avec les plus grandes troupes du monde, telles que le New York City Ballet et le Ballet de l’Opéra de Paris. Nombre de ses œuvres sont inscrites au répertoire d’autres prestigieuses compagnies. Adulé dans le monde entier et comblé d’honneurs aux États-Unis, il est entré en 1993 au Hall of Fame – sorte de panthéon – du Musée national de la danse de New York et, l’année suivante, pour son soixante-quinzième anniversaire, le maire de la ville a fait du 16 avril le Merce Cunningham Day !