Michael Jackson
Auteur-compositeur, chanteur de soul et de pop, et danseur américain (Gary, Indiana, 1958-Los Angeles 2009).
« L'histoire de Michael Jackson est celle d'un artiste jeté sur les planches à l'âge de cinq ans, qui devra se débarrasser non pas d'un, mais de deux pères [Joe, le père biologique, qui exerça une autorité tyrannique, et Berry Gordy, le patron de la Tamla Motown, qui lança les Jackson Five], puis liquider, tel le Petit Poucet, ses sept frères, et qui joue actuellement une gigantesque partie d'échecs avec lui-même », peut-on lire en 1988 dans le livre de Philippe Manœuvre, Michael Jackson. Celui qui fut tour à tour le « Bambi » ou le « Peter Pan » du rock se proclama ensuite « The King of Pop » (« le roi de la pop »).
Fratrie en scène
Tout commence le 23 juillet 1968, à Detroit, dans les studios de la Tamla Motown, le premier producteur de musique noire. Cinq gamins originaires de Gary, dans l'Indiana, vont y tenter leur chance. Dirigés d'une main de fer par leur père, qui aurait tant aimé être une vedette de rhythm and blues, ils viennent y passer une audition. À leur programme : I Got the Feeling de James Brown, le standard Tobacco Road et Who's Loving You de Smokey Robinson. Deux jours plus tard, Berry Gordy visionne leur vidéo dans son bureau de Los Angeles ; il est aussitôt fasciné par Michael, en qui il voit un enfant hors du commun.
Le 11 mars 1969, les Jackson Five font officiellement partie de l'écurie Motown. Le 18 octobre suivant, Diana Ross les présente à un show télévisé et avoue déjà sa préférence pour le petit Michael, qu'elle dit considérer comme son fils. L'adolescent finit par s'installer dans sa villa et lui voue dès lors une admiration sans bornes. Grâce aux tubes qu'ils alignent (I Want You Back, 1969 ; ABC, 1970 ; The Love You Save, 1970 ; I'll Be There, 1970 ; Mama's Pearl, 1971 ; Never Can Say Goodbye, 1971), les Jackson Five sont sur la voie ascendante.
Michael en solo
Michael sort son premier 45 tours, Got to Be There, en juin 1971. En octobre 1972, il récidive avec Ben, chanson de la bande originale d'un film racontant l'histoire d'un jeune garçon ami d'un rat… À chaque fois, Michael triomphe. Et ses frères en prennent ombrage, car leur carrière s'est mise à végéter – malgré plusieurs tournants, tels que celui du disco en 1974 avec Dancing Machine. Au printemps 1975, Michael annonce lui-même à Berry Gordy que les Jackson Five quittent Motown parce qu'ils n'ont aucun contrôle artistique sur leurs albums. Le groupe, dont le nom est déposé, devra en changer. Les frères seront tout simplement les Jacksons. Ils signent chez CBS, fleuron de l'industrie musicale blanche – à l'exception de Jermaine, qui est marié avec Hazel, la fille de Gordy, et qui ne suit pas les autres dans cette aventure. Randy, le plus jeune, le remplacera.
Tout en continuant à travailler avec les Jacksons (Enjoy Yourself, Shake Your Body [Down to the Ground] …), Michael commence à envisager très sérieusement de poursuivre sa carrière en solo. Aux côtés de Diana Ross, il tourne dans le film The Wizz, (1978), un remake du Magicien d'Oz qui se révèle un fiasco…En juillet 1979, Michael sort le 45 tours Don't Stop Till You Get Enough, qui, dès le mois d'octobre, sera numéro un dans les charts. Puis en août 1979 paraît son premier album studio, qui crée l'événement : Off the Wall, heureux mélange de pop, de rhythm and blues et de jazz issu de la fructueuse rencontre entre le jeune créateur et Quincy Jones (né en 1933), le célèbre producteur et arrangeur avec qui il travaillera aussi sur ses deux albums suivants. Comportant les deux tubes Rock with You et Girlfriend (reprise d'un morceau de Paul McCartney), cet album se vend à près de 12 millions d'exemplaires : c'est du jamais vu pour un artiste noir aux États-Unis. En 1980, Michael remporte trois American Music Awards : meilleur artiste masculin, meilleur album, meilleur 45 tours.
Thriller for ever
Michael change radicalement de look, abandonnant sa coiffure afro pour des cheveux gominés, et se fait refaire le nez. En octobre 1982, il enregistre en duo avec Paul McCartney The Girl Is Mine, puis écrit pour Diana Ross Muscles, avant d'être le narrateur du livre-disque E.T. tiré du film de Steven Spielberg et d'obtenir le Grammy Award du meilleur disque pour enfants. Le 14 décembre 1982 sort Thriller, le disque qui battra le record de ventes dans le monde : plus de 45 millions d'exemplaires entre 1982 et 1996 (sans doute plus de 100 millions aujourd'hui) ! Billie Jean (clin d'œil à Sergeant Pepper's Lonely Heart Club Band des Beatles), Beat It (avec le solo du guitariste de hard-rock Eddie Van Halen), Wanna Be Startin' Somethin', Human Nature ou encore P.Y.T. deviennent des tubes planétaires. Huit Grammy Awards viendront couronner le chef-d'œuvre en février 1984.
Le 27 juin suivant, sur le plateau de tournage d'un spot publicitaire, Michael a le cuir chevelu brûlé au troisième degré par l'explosion d'un fumigène. Il y a plus de peur que de mal. Et le 6 juillet, pour faire plaisir à sa mère, il se rend à Kansas City, où commence la nouvelle tournée des Jacksons, le Victory Tour. Mais, scandalisé par le prix des places (30 dollars avec obligation d'en acheter au minimum quatre), il annonce, sans prévenir ses frères, qu'il s'agit de la dernière tournée du groupe.
L'homme d'affaires qui sommeille en lui se réveille en août 1985 : prenant de vitesse Paul McCartney et Yoko Ono, Michael se rend acquéreur d'ATV, une maison d'édition qui possède à son catalogue deux cent cinquante et un titres des Beatles. Éternel enfant au demeurant, il réalise l'un de ses vieux rêves en devenant un héros de l'univers Disney, Captain Eo, dans un film en trois dimensions d'une durée de quinze minutes, signé de la patte de Francis Ford Coppola et de George Lucas, et projeté uniquement dans les parcs d'attractions de la firme.
« Bad Tour » et « Dangerous Tour »
En juillet 1987, I Just Can't Stop Loving You, un duo avec Siedah Garrett (pressenties, Barbra Streisand et Whitney Houston avaient décliné l'offre), annonce la sortie en septembre de l'album Bad. Les titres phares en sont The Way You Make Me Feel, Man in the Mirror, Dirty Diana (confession discographique de sa fâcherie d'alors avec son amie de toujours), et le clip Bad est réalisé par Martin Scorsese, qui montre un Michael en tenue de cuir noir de mauvais garçon. De ce disque il « ne » se vendra « que » 22 millions d'exemplaires dans le monde… Le 12 septembre de la même année, le « Bad Tour » prend son envol à Tokyo et s'achève à Paris, les 27 et 28 juin 1988 : il aura drainé plus de quatre millions de spectateurs et produit une recette de 125 millions de dollars. C'est au cours de cette même année 1988 que Michael achète le ranch de Neverland (Neverland étant le pays imaginaire de Peter Pan où les enfants ne grandissent jamais), dans le comté de Santa Barbara, en Californie. Il le destine à un parc d'attractions pour enfants malades ou déshérités.
Le 21 mars 1991, Sony, qui a racheté CBS en 1987, annonce que la marque vient de renouveler le contrat de Michael Jackson pour un montant record de près de 1 milliard de dollars, avec à la clé six albums, des vidéos, des courts-métrages pour la télévision et des longs-métrages pour le cinéma. L'album Dangerous qui paraît en novembre 1991 marque une profonde rupture. Quincy Jones s'est retiré et a laissé la place à Teddy Riley (né en 1967), un jeune producteur noir de Harlem qui, en fait, ne sert que de faire-valoir à Michael. Dans le morceau Black or White, après un solo de Slash, le guitariste de Guns N'Roses (le groupe de hard-rock préféré des adolescents), on entend ces paroles : « Si tu veux être mon frère, il est indifférent que tu sois noir ou blanc. » Pourtant, dans le clip tourné par John Landis, Michael le « Bambi » se transforme en une panthère noire, emblème du Black Power le plus radical, et brise sur son passage les symboles les plus évidents de la société de consommation blanche… D'où un beau tollé, les excuses de l'artiste et le retrait du clip. Le 27 juin 1992 démarre à Munich le « Dangerous Tour » qui a pour but de financer Heal The World, la fondation créée par Michael en faveur de l'enfance défavorisée et de l'environnement. Mais tout s'arrête à Mexico en novembre 1993 sous l'effet d'un maelström médiatique.
Le double album plaidoyer
La rumeur se fait accusation : Michael aurait commis des abus sexuels sur un garçon de treize ans. Quelques jours avant Noël 1993, il apparaît sur toutes les chaînes de télévision, en larmes, prenant le public à témoin qu'il vit un cauchemar et l'implorant de ne pas le traiter en criminel. Traduit cependant en justice, il déboursera 23,3 millions de dollars pour régler à l'amiable une affaire peut-être montée de toutes pièces. Musicalement, il ripostera par HIStory : Past, Present and Future – Book I, sorti en juin 1995. L'album se divise en deux parties. La première,History Begins, rassemble quinze des morceaux les plus célèbres de son répertoire : Billie Jean, The Way You Make Me feel, Black or White, Rock with You, She's out of My Life, Bad, I Just Can't Stop Loving You, Man in the Mirror, Thriller, Beat It, The Girl Is Mine, Remember the Time, Don't Stop Till You Get Enough, Wanna Be Startin' Somethin', Heal the World.
La seconde partie de l'opus, History Continues, est un brûlot rageur, une plongée tonitruante au pays du rythme, un pandémonium de « sons », de sang et de sueur… « Marre de n'entendre que votre version des faits / Ça ne crée que la confusion / Et ça vous arrange », hurle l'ex-Peter Pan mué en une sorte de révolutionnaire au poing désormais ganté de noir. Une voix de journaliste annonce : « Un homme a été battu à mort par la police après avoir été identifié à tort comme l'auteur d'un cambriolage. L'homme était un jeune Noir de dix-huit ans… » Et le morceau démarre. Dérapages électriques de Slash, qui partent en vrille. Rythmes hachés. Pas de mélodie. Grosse caisse à fond. Chœur « gospélisant » qui s'enflamme. Pas de doute, c'est un hymne. Mais de combat. Après la bavure de Los Angeles, et l'acquittement des policiers racistes, après les émeutes de 1992, puis le retentissant procès de O.J. Simpson (ex-joueur professionnel accusé d'un double meurtre), Michael Jackson choisit son camp. Il est comme eux. Noir. Et, si on s'est acharné contre lui, c'est à cause de la couleur de sa peau… D'où ce terrifiant cocktail de funk façon Prince, de rap tendance Public Enemy et de hard style mauvais garçon de la rue. Jackson affirme haut et fort son appartenance à la culture afro-américaine. Le choix du dernier morceau est révélateur : Smiley, dont Charlie Chaplin écrivit la musique en 1936 et Nat King Cole le texte en 1954, lorsqu'il décida de le chanter, est un hommage au père de Charlot, qui, après allégations et procès, dut quitter les États-Unis et s'exiler en Europe… Déjà le clip de Man in the Mirror était une allusion directe au discours final du film le Dictateur, en fonction du principe qu'une image vaut mille mots. Michael ne se prend plus pour Bambi, Peter Pan ou même Mickey. Mais pour Charlot… Il s'est évadé du conte de fées de Disney. Et plonge dans les « Temps modernes »… En fait, il vient de prendre date. Et veut entrer dans l'Histoire. Audace ? Prétention ? Folie ? Il n'est rien d'impossible à quelqu'un qui est allé jusqu'à faire battre son propre cœur pour marquer le tempo de Smooth Criminal, où il fredonnait : « Dans mes veines, j'ai senti le mystère des corridors du temps et des livres d'histoire / Le chant de la vie des âges bat dans mon sang… »
Le roi au destin brisé
Cédant aux instances de Sony, Michael Jackson publie en mai 1997 Blood in the Dance Floor : composé de cinq nouveaux morceaux et de huit remix, cet album semble faire la preuve que sa créativité marque le pas. Invincible, sorti en octobre 2001 et surtout popularisé par le titre You Rock My World, se veut néanmoins en phase avec les rythmes les plus contemporains (rhythm and blues matiné de hip-hop, dit « r'n'b' »). Il s'agit du dernier album studio de Michael, qui, entre nouvelles affaires de mœurs, dont il est innocenté en 2005, démêlés avec Sony, qu'il quitte en 2006, pathétiques troubles du comportement et insondables déboires financiers, ne se prête plus qu'à des compilations (dont King of Pop, paru en l'honneur de son 50e anniversaire), agrémentées de quelques nouveautés, et vit quasiment retiré du monde. En 2009, il se prépare pourtant à renouer avec les concerts publics, tous prévus à Londres, lorsque survient le drame.
Le jeudi 25 juin, Michael Jackson est retrouvé inconscient dans le manoir de Holmby Hills qu'il louait au nord-ouest de Los Angeles. Transporté à l'hôpital, il est déclaré mort à 14 h 26 (21 h 26 GMT). Diffusée par Internet, la nouvelle suscite une émotion planétaire à la mesure de la stupeur que provoque un décès sur l'instant inexpliqué. De l'Apollo Theater de Harlem au Japon en passant par les grandes capitales d'Europe, les scènes de dévotion se succèdent sur fond de standards de l'idole disparue.
Michael Jackson avait une aspiration : non pas être le nouvel Elvis Presley, mais être un Beatle noir. D'Elvis, il disait d'ailleurs : « Je l'aime bien, mais de là à l'appeler le King... Il n'a pas inventé le rock and roll. Il était bon, mais ce sont des gens comme Little Richard et Chuck Berry qui ont tout mis en marche. Les Beatles ont tout révolutionné ensuite. » Il eut aussi un message qu'il délivra tout au long de sa carrière : fusionner les races par l'amour de la musique. Et les moyens en furent toujours les mêmes : marier les mélodies pop (et blanches) des années 1960 aux appels à la danse-transe des rythmes funky (et noirs). Sur le plan chorégraphique, ses trouvailles furent exceptionnelles et son appropriation de la moon walk (« danse de la lune ») est entrée dans la légende.
Dès l'époque de Thriller, en 1982, Quincy Jones vit clairement en Michael Jackson celui qui allait permettre de mettre la musique noire à sa vraie place. C'est alors, en effet, que la chaîne musicale MTV, qui ne diffusait que 3 % de clips d'artistes noirs, accueillit dans ses programmes – certes sous la pression de CBS – ceux de Billie Jean, Thriller et Beat It. Ce fut là le destin de celui que d'aucuns nomment aujourd'hui « la dernière des superstars » – celles qui transcendent les clivages culturels et générationnels.
Michael Jackson s'était marié deux fois : le 26 mai 1994, avec Lisa Marie Presley, le fille du grand Elvis, et, le 15 novembre 1996, avec une infirmière, Debbie Rowe. Trois enfants portent son nom.