James Brown
Chanteur de soul et de rhythm and blues américain (Barnwell, Caroline du Sud, 1928-Atlanta 2006).
À son apogée, dans la seconde moitié des années 1960, James Brown fut considéré comme l'artiste noir le plus populaire au monde. Sa carrière a connu des hauts et des bas, comme sa vie, mais rien n'a pu altérer durablement l'image et la gloire de celui qui a été, tour à tour, qualifié de « Soul Brother N° 1 », de « Godfather Of Soul », de « Mister Dynamite », ou – sans rire – de « Original Disco Man ».
Le puncheur. On l'a aussi appelé « the hardest working man in show business » (« le plus bosseur du show-biz »). La peine, en effet, James Brown connaît. Né dans le Sud profond, où sévit la plus complète ségrégation raciale, issu d'une famille pauvre, il est très vite livré à l'école de la rue et, comme tant d'autres, au centre de redressement. Il en sort grâce à la caution du chanteur Bobby Byrd, qui a remarqué son talent. Mais James ne s'oriente pas aussitôt vers la musique. La « légende » fait du petit Jimmy de l'époque un rabatteur de clients pour les prostituées, qui l'aiment bien. Tout en cirant les chaussures pour payer son équipement, il joue au base-ball, mais, à l'époque, ce sport n'ouvrait que peu de possibilités aux jeunes Noirs. Brown opte donc pour une discipline plus conforme à ses ambitions : la boxe. C'est de la pratique du noble art (où il fait une petite carrière amateur) que James tient son célèbre jeu de jambes et ce goût du cérémonial, qui, quarante ans après, lui inspire ses (fausses) sorties de scène impérialement drapé dans une toge à ses armes, telle une star des rings.
Au début des années 1950, Brown change d'orientation et se lance dans le chant gospel. Il retrouve alors Bobby Byrd et entre dans son groupe, les Gospel Starlighters. Ceux-ci évoluent vers le rhythm and blues et adoptent le nom de Flames. Ils reprennent les tubes du moment, s'attaquant en particulier au répertoire des Drifters, alors au sommet de leur popularité. Mais Brown n'est pas un crooner. Il a trop d'énergie en lui. Et s'il chante des titres lents, c'est avec toute la charge du blues. Les Flames sont remarqués par un agent du label King/Federal Company (spécialisé dans ce qu'on appelait alors les « race records », ou disques pour Noirs) où ils signent un contrat sous le nom de « James Brown And The Famous Flames ». En février 1956 paraît Please, Please Please Me, ballade déchirée qui porte en germe ce qui va rapidement devenir la griffe J. B. Le titre parvient à la 6e place du hit-parade rhythm and blues. En septembre 1958, Try Me – une ballade encore – est le premier vrai tube de Brown. Elle lui offre une première place au hit-parade rhythm and blues et une entrée dans le Top 100 du Billboard.
Le fauve. Ces premiers succès lui valent d'être engagé pour des tournées en lever de rideau des deux artistes noirs qui dominent les « charts » du moment, Little Richard et Ray Charles. De 1959 à 1963, James Brown enregistre une série de hits, dont Think, I'll Go Crazy, I Don't Mind, Night Train, Prisoner Of Love, et un album de référence, Live At The Apollo (1962). Toutefois, le chanteur, qui a monté son propre show sous chapiteau, a du mal à s'imposer auprès du public blanc : trop rugueux, trop sauvage, trop explicitement sexuel. Il fait peur avec cette façon de bouger sur scène qui lui donne des allures de boxeur hystérique. Cela ne l'empêche pas de continuer à graver des titres, qui demeureront des sommets : Papa's Got A Brand New Bag ou It's A Man's Man's Man's World.
Pendant ce temps-là, de l'autre côté de l'Atlantique, de jeunes Anglais découvrent avec passion cette musique « sauvage » les Who, par exemple, qui, sur leur premier album, en 1964, reprennent deux titres de James (Please, Please Please Me et I Don't Mind). Le Godfather peut enfin toucher le public blanc. D'autant qu'il invente une danse qui va concurrencer un bref instant toutes ces chorégraphies idiotes dont s'éprend le jeune public blanc des années yé-yé : le mashed potatoes. Des pas de danse (le « camel walk » et le « funky chicken » compléteront la gamme) dont ne perd pas une miette le jeune Michael Philip Jagger – le futur leader des Rolling Stones connaîtra bientôt la gloire avec son clonage de la gestuelle brownienne.
Black Power. James Brown abandonne le label King pour Smash, jugé plus performant, et prend Alfred Elis comme directeur musical, lequel va le guider vers un répertoire de plus en plus novateur et osé : Say It Loud, I'm Black And I'm Proud, en 1968 et Get Up (I Feel Like Being) A Sex Machine, en 1970. La présence à la batterie de Clyde Stubblefield (et de Bootsy Collins à la basse) renforce la base rythmique de son groupe, le poussant à crier toujours plus âprement et à conférer à chacune de ses prestations un exceptionnel caractère d'urgence, comme peu d'artistes en sont capables. Brown excelle d'ailleurs dans tous les registres de la musique noire, ainsi qu'il le montre dans la compilation Messing With The Blues, passant avec une confondante maestria du blues au jazz et à la soul.
Autour de 1965, Brown est au sommet. Symbole de la réussite sociale (il est devenu le propriétaire d'une chaîne de magasins, dirige sa propre station de radio, anime son émission de télévision), il n'en abdique pas pour autant ses convictions et refuse de tourner le dos à son passé. Il devient à son tour un symbole de l'émancipation noire. Pas aussi radical que les musiciens de free jazz, mais suffisamment ferme et rigoureux pour être entendu de ses « frères », sans faire fuir pour autant l'establishment blanc. Deux chansons, parues pratiquement au même moment (1968), symbolisent cette dualité : America Is My Home (« l'Amérique est ma patrie ») et Say It Loud, I'm Black And I'm Proud (« Dites-le fort : je suis noir et j'en suis fier »). Après l'assassinat deMartin Luther King, les maires de Boston et de Washington font appel à lui pour apaiser la violence qui s'ensuit dans la communauté noire.
Au cours des années 1970, James Brown change encore de label (Polydor), de musiciens (collaboration sporadique du saxophoniste Maceo Parker), ce qui le place en moins bonne position pour affronter la vague disco. Curieusement, l'innovateur qu'il est se met à la remorque d'un courant qui l'a pourtant pillé sans vergogne. On a beau le proclamer « The Original Disco Man », rien n'y fait. Brown n'est plus dans le coup. Protégé par une armée de courtisans, qui ne se risqueraient pas à contrarier le patron (si autocrate qu'il n'hésite pas à mettre ses musiciens à l'amende au moindre retard ou s'il manque un pli à leur pantalon), il ne comprend pas, cette fois, la nouvelle tendance musicale. En outre, il consomme de plus en plus de drogues. Il disparaît bientôt des charts.
En 1980, sa participation au film homonyme des Blues Brothers le remet en selle. Six ans plus tard sort un nouveau gros hit international, Living In America (l'hymne du film Rocky IV, qui fait écho au Born In The USA de Bruce Springsteen), que suivent deux tubes rhythm and blues : How Do You Stop et I'm Real (1988).
Les hauts et les bas. James Brown est à nouveau au sommet. Commercialement s'entend, parce que, sur le plan artistique, l'exceptionnelle qualité des années 1960 et 1970 n'est plus vraiment au rendez-vous (même s'il continue çà et là à graver des perles, comme I'm Real, où il démontre aux jeunes rappeurs qu'il a tout inventé, et notamment le mot rap, avec sa chanson Rap Payback, datée de 1981). Comme une Tina Turner ou une Aretha Franklin, James Brown cède à la tentation du lifting grand public (blanc). Il grave ainsi, en 1991, un album que beaucoup jugeront indigne de lui, Love Long Overdue. Les journaux relatent de plus en plus, entre autres frasques, les violences conjugales dont il serait coutumier. En 1988, après avoir été interpellé par la police pour ce motif, il prend la fuite à bord de sa voiture et se lance dans une folle course-poursuite émaillée de coups de feu. Lorsqu'on l'arrête, il est en état d'overdose. Condamné à six ans de prison, il est remis en liberté conditionnelle le 27 février 1991. Le 10 juin de la même année, il remonte sur scène à Los Angeles.
Celui qui déclarait « Après Beethoven, Bach et Brahms, voici Brown » n'a rien perdu de sa superbe. Toute la scène hip-hop – rappeurs et sampleurs en tout genre – se réclame de son influence et exploite tant son répertoire que ses bases rythmiques. Une statue vivante, qui reste d'actualité.