Josef von Sternberg
Cinéaste américain d'origine autrichienne (Vienne 1894-Los Angeles 1969).
Jeunesse et premières mises en scène
Après un premier voyage aux États-Unis à l'âge de sept ans, celui qui ne s'appelle encore que Joe Stern fait des études de lettres et de philosophie à Vienne, avant de regagner l'Amérique en 1911. S'il s'essaie à la littérature et aux arts plastiques, il devient pour vivre employé, puis contremaître dans une fabrique avant d'entrer comme monteur à la World Film Co. de New York en 1914. Ses débuts dans le cinéma sont ceux d'un homme à tout faire : il est successivement assistant, scénariste, opérateur, décorateur, producteur délégué, conseiller pour les couleurs, conseiller technique pour l'éclairage et la prise de vues.
À la déclaration de la guerre, il est mobilisé dans le « Signal Corps » et participe au conflit comme opérateur de l'armée. De retour en Europe, il entre comme « attaché » à un studio londonien sous le nom de Joe Stern. Lorsqu'il revient à Hollywood, il ajoute un « von » très germanique à son nom (en souvenir du succès du cinéma allemand des années 1920) et devient assistant de plusieurs réalisateurs, parmi lesquels Émile Chautard (à qui il confiera quinze ans plus tard un rôle dans Shanghai Express). C'est en 1925 qu'il signe sa première mise en scène, les Chasseurs du salut (The Salvation Hunters). Un projet de film avec Mary Pickford ayant échoué, il signe un contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer, pour laquelle il réalise The Masked Bride (1925, terminé par Christy Cabanne) et The Exquisite Sinner (1926), remanié par Phil Rosen. Puis il tourne la Mouette (The Sea-Gull), film produit par C. Chaplin, avec qui il ne s'entend pas. Le film étant demeuré inédit, il est contraint de devenir assistant de Frank Lloyd pour les Enfants du divorce (Children of Divorce, 1927), dont il réalise les raccords. Il termine ensuite It (de Clarence Badger, 1927), avant de mettre en scène les Nuits de Chicago (Underworld, 1927), sa première œuvre importante et qui est aussi le premier film américain à se nourrir du romantisme, qu'on retrouvera plus tard illustré par le film noir.
Crépuscule de gloire (The Last Command, 1928) est une commande pour l'acteur Emil Jannings, avec qui Sternberg ne s'entend pas mieux qu'avec Chaplin. Sternberg termine The Street of Sin (de Mauritz Stiller, 1928) et tourne la même année deux autres films : The Dragnet et surtout les Damnés de l'océan (The Docks of New York), où il peint dramatiquement de simples personnages de faits divers qu'il tend à faire accéder aux mythes. Après le Calvaire de Léna Smith (The Case of Lena Smith, 1929), il signe la Rafle (Thunderbolt, 1929), son premier film parlant.
La rencontre avec Marlene Dietrich
Appelé en Allemagne par E. Pommer, directeur de la UFA, il se voit proposer une vie de Raspoutine, qu'il refuse, et une adaptation du Professor Unrat d'Heinrich Mann, qu'il accepte : c'est l'Ange bleu (Der blaue Engel, 1930), qui marque sa rencontre avec celle dont il va faire, film après film, un mythe universel, Marlene Dietrich. La version anglaise de l'œuvre ne sortira aux États-Unis qu'après le deuxième film de Sternberg et Marlene, Cœurs brûlés (Morocco, 1930). L'Ange bleu comme Cœurs brûlés sont des films marqués par une fatalité trouble, que Sternberg, dont le style flamboyant ne s'est pas encore totalement affirmé, traduit en images raffinées jusqu'à la plus extrême sophistication. En 1931, le cinéaste fait de Marlene Dietrich une espionne dans le style de Mata Hari avec X 27 (Dishonored), où les idées de scénario les plus folles jaillissent.
Il adapte ensuite un classique de la littérature américaine, Une tragédie américaine (An American Tragedy, 1931, d'après T. Dreiser), mais le film est desservi par une interprétation médiocre. Il retrouve peu après Marlene Dietrich dans une aventure exotique, Shanghai Express (1932), lointainement inspirée de Boule-de-Suif. Femme fatale, Marlene s'y sacrifie pour sauver les passagers d'un train arraisonné par des brigands, et Sternberg nous parle, avec élégance et raffinement, des rapports de l'homme et de la femme, rapports entachés de sadisme et de masochisme, qui constituent son thème de prédilection.
Blonde Vénus (1932) donne pour la première fois à Marlene non pas un rôle de « vamp », mais celui d'une mère de famille. Après ce mélodrame somptueux, Sternberg tourne avec sa « créature » l'Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934), où il déploie des fastes baroques d'une suprême sensualité. La Femme et le pantin (The Devil is a Woman, 1935) prolonge le délire visuel du film précédent et marque la fin de la période Sternberg-Marlène. C'est aussi la fin d'un univers, à travers lequel, de fourrures en bijoux, de dentelles en plumes, le cinéaste a poursuivi le mythe de la femme idéale, rêve après lequel il courra désormais jusqu'à la fin. Après sa séparation d'avec Marlene Dietrich, le metteur en scène signe deux films mineurs, Crime et châtiment ou Remords (Crime and Punishment, 1935, d'après Dostoïevski) et Sa Majesté est de sortie (The King steps out, 1936), assiste à l'interruption de son film suivant, I Claudius (1937), par le producteur A. Korda, tourne des raccords pour The Great Waltz (de J. Duvivier, 1938) et se voit retirer I take This Woman (1939, terminé par F. Borzage) par les dirigeants de la M.G.M.
Les dernières œuvres
On le sent brisé, n'arrivant plus à retrouver son enthousiasme et son inspiration. Au service de la loi (Sergeant Madden, 1939) n'est qu'une commande, mais The Shanghai Gesture (1941) nous rend le grand réalisateur qu'on croyait perdu. Dans ce film, où il a donné à Gene Tierney le visage de Marlene et où les personnages ont tous l'air de s'agiter dans un gigantesque aquarium, le metteur en scène de Shanghai Express réapparaît : magie blanche et noire des éclairages, pessimisme à propos de l'humanité, rapports des êtres régis par un érotisme diffus, volupté grandiose de la mise en scène et, par-dessus tout, la présence, presque le parfum de Marlene Dietrich, qui plane sur cette jungle luxuriante.
Après un film court commandé par l'United States Office of War Information (The Town, 1943-1944), Sternberg réalise les premières scènes de Duel au soleil (de King Vidor, 1946), avant de devenir professeur de cinéma à l'université de Los Angeles, qu'il quitte pour New York en 1948. Il tourne en 1950 Les espions s'amusent (Jet Pilot), comédie loufoque et « anti-rouges » qui ne sortira qu'en 1957, puis en 1952 le Paradis des mauvais garçons (Macao, coréalisé par Nicholas Ray) et enfin en 1953 Fièvre sur Anatahan (The Saga of Anatahan, au Japon), qui rassemble tous ses thèmes. Jusqu'à sa mort, il partage son existence entre de nombreux voyages en Europe, des cours de mise en scène et la rédaction de son livre Fun in a Chinese Laundry (Souvenirs d'un montreur d'ombres, 1965).
Cinéaste de l'irréalisme poétique, influencé par le Kammerspiel, Sternberg a su, par le mélodrame, la folie décadente et le délire des passions qu'il a décrites, être le moraliste de nos désirs et de nos rêves les plus fous, dans leur complexité et dans leur violence. Il a inventé Marlene, mais il a immortalisé la Femme.