l'Ange bleu
Der Blaue Engel
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».
Drame réaliste de Josef von Sternberg, avec Emil Jannings (professeur Immanuel Rath), Marlene Dietrich (Lola-Lola), Kurt Gerron (Kiepert), Rosa Valetti (Guste), Hans Albers (Mazeppa).
- Scénario : Carl Zuckmayer, Karl Vollmoëller, Robert Liebmann, d'après le roman d'Heinrich Mann Professor Unrat
- Photographie : Günther Rittau, Hans Schneeberger
- Décor : Otto Hunte, Emil Hasler
- Musique : Friedrich Holländer
- Montage : Sam Winston
- Production : Erich Pommer (U.F.A.)
- Pays : Allemagne
- Date de sortie : 1930
- Durée : 1 h 48
Résumé
Une petite ville portuaire d'Allemagne du Nord vers 1925. Le digne professeur Rath, célibataire sur le retour, terrorise ses élèves qui l'ont surnommé par vengeance « Unrat » (ordure). D'un moralisme intransigeant, il décide d'intervenir quand il découvre que certains d'entre eux fréquentent le soir une boîte de nuit pour marins, où chante une artiste en tenue légère, Lola-Lola. Mais le professeur tombe sous le charme de la chanteuse et va être littéralement envoûté par sa splendeur charnelle. Les élèves le chahutent et il décide d'épouser Lola, provoquant un scandale dans la petite bourgeoisie de la ville. Il part en tournée avec elle, lui sert de faire-valoir, devient son souffre-douleur et va jusqu'à vendre des photos déshabillées de sa femme. Elle le trompe avec un bellâtre prestidigitateur. Ils retournent au cabaret de « L'Ange bleu » où le directeur invite les anciens collègues du professeur ainsi que les dignitaires de la ville qui sont alors scandalisés par la déchéance physique de Rath, humilié sur la scène par le magicien. Le professeur, devenu fou, retournera mourir, accroché à son ancien pupitre, dans sa salle de classe.
Commentaire
Une image fétichisée de l'amour
Seul film allemand du réalisateur américain d'origine viennoise Josef von Sternberg, appelé par le producteur Erich Pommer pour mettre en scène Emil Jannings, l'Ange bleu consacre la rencontre entre Sternberg et la jeune star allemande Marlene Dietrich. Celle-ci a déjà interprété une douzaine de films en Allemagne, et la presse de 1929 la considère comme la rivale de Garbo. Cette jeune actrice « songeuse, intellectuelle, lectrice assidue de Goethe, Heine et Rilke » est métamorphosée par Sternberg, au début du film, en vulgaire chanteuse pour tripot de marins. Elle va incarner la tentatrice sensuelle et violemment charnelle, « faite pour l'amour de la tête aux pieds », comme elle le chantera elle-même. Sternberg ira assez loin dans la matérialisation de son charme physique, jusqu'à l'odeur de sa poudre de maquillage et celle de sa culotte, culotte emportée par mégarde par le professeur. Le trajet figural du film consiste à désincarner cet érotisme brut pour le transformer en sublimation esthétique hollywoodienne. À la fin du récit, Marlene n'est plus Lola-Lola, mais l'image américaine fétichisée de l'amour, tamisée par le taffetas, les plumes, le strass et la soie. La densité érotique du film est prise en charge par un réseau métaphorique qui part du serin mort dans sa cage, au début du film, traverse les plumes-pagne qui protègent les cuisses de Lola sur la photo et qu'agite le souffle du professeur, jusqu'au terrible « cocorico ! » qu'il crie comme à l'agonie, lorsque le magicien lui écrase des œufs sur le crâne. Sternberg mêle admirablement ici le désir et la pulsion de mort dans un sublime poème de l'amour fou, liant l'esthétique américaine et allemande des années 1920 avec une rare virtuosité.