Estonie
en estonien Eesti
Nom officiel : République d'Estonie
État d'Europe nord-orientale faisant partie des pays Baltes, l'Estonie, baignée au nord et à l'ouest par la mer Baltique, est limitée à l'est par la Russie, au sud par la Lettonie.
L'Estonie est membre de l'Union européenne (elle fait partie de la zone euro) et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
- Superficie : 45 000 km2
- Nombre d'habitants : 1 348 840 (2022)
- Nom des habitants : Estoniens
- Capitale : Tallinn
- Langue : estonien
- Monnaie : euro
- Chef de l'État : Alar Karis
- Chef du gouvernement : Kaja Kallas
- Nature de l'État : république à régime parlementaire
- Constitution :
- Adoption : 28 juin 1992
- Entrée en vigueur : 3 juillet 1992
STATISTIQUES : DÉMOGRAPHIE
- Population : 1 348 840 hab. (2022)
- Densité : 29 hab./km2
- Part de la population urbaine (2023) : 70 %
- Structure de la population par âge (2023) :
● moins de 15 ans : 16 %
● 15-65 ans : 64 %
● plus de 65 ans : 20 % - Taux de natalité (2023) : 9 ‰
- Taux de mortalité (2023) : 13 ‰
- Taux de mortalité infantile (2023) : 2 ‰
- Espérance de vie (2023) :
● hommes : 74 ans
● femmes : 82 ans
Assez fortement urbanisé (plus des deux tiers de la population vivent en ville), le pays compte près de 69 % d'Estoniens d'origine, mais aussi plus d'un quart d'habitants d'origine russe, dont l'intégration est un problème. Le nombre d'habitants diminue lentement depuis 1990. La capitale, Tallinn, regroupe environ le tiers de la population totale du pays.
STATISTIQUES : ÉCONOMIE
- GÉNÉRALITÉS
- PNB (2022) : 36 milliards de dollars
- PNB/hab. (2022) : 27 120 dollars
- PNB/hab. PPA (2022) : 45200 dollars internationaux
- IDH (2021) : 0,890
- Taux de croissance annuelle du PIB (2022) : -1,3 %
- Taux annuel d'inflation (2022) : 19,4 %
- Structure de la population active (2021) :
● agriculture : 2,7 %
● mines et industries : 29,0 %
● services : 68,3 % - Structure du PIB (2022) :
● agriculture : 2,52 %
● mines et industries : 24,0 %
● services : 73,48 % - Taux de chômage (2022) : 5,9 %
- Tourisme
- Recettes touristiques (2020) : 865 millions de dollars
- Commerce extérieur
- Exportations de biens (2022) : 21 175 002 973 millions de dollars
- Importations de biens (2022) : 23 877 565 074 millions de dollars
- Défense
- Forces armées (2020) : 7 000 individus
- Dépenses militaires (2022) : 2,1 % du PIB
- Niveau de vie
- Incidence de la tuberculose pour 100 000 personnes (2022) : 11
- Part en % des richesses détenues par les 10 % les plus élevés (2021) : 66,4 %
- Part en % des richesses détenues par les 50 % les moins élevés (2021) : 0,3 %
- Dépenses publiques d'éducation (2021) : 5,9 % du PIB
Au cours des années 2000 - 2008, le pays a connu des taux de croissance de 7 à 10 % par an, tirés par l'investissement, la demande intérieure et le commerce extérieur (Finlande, Suède, Allemagne). La crise financière internationale de 2008 - 2009 a provoqué une brusque chute de la production avec une récession de plus de 14 % et une très forte augmentation du chômage, passé de moins de 5 % à plus de 16 %. Le pays s'est toutefois rapidement relevé et sa politique de rigueur (avec un excédent budgétaire) lui a valu d'être admis dans la zone euro en 2011. Bénéficiant d'une faible dépendance énergétique grâce aux schistes bitumineux — très polluants et dont l'État veut réduire le poids au profit des sources renouvelables ( 38,4_ % de la consommation finale d'énergie et 29% pour l'électricité) — l'économie est notamment portée par les technologies de l'information outre la transformation du bois, l'agroalimentaire et l'électronique. . À la reprise et au choc inflationniste en 2021–2022, succède une période de récession.
GÉOGRAPHIE
Le territoire et la population
Le paysage estonien a été dessiné par les moraines déposées au cours des glaciations. Collines, lacs, marécages et rivières composent cette contrée au relief relativement peu élevé, puisque le point culminant – le Munamägi – se situe à 318 m d'altitude, dans le sud du pays. Si le nord du territoire est calcaire et peu fertile, le sud, en revanche, est plus favorable à l'agriculture. À l'ouest se trouvent de nombreuses îles, dont les deux plus grandes sont Saaremaa et Hiiumaa. Le climat estonien est tempéré et la végétation constituée en majorité de prairies et de forêts.
L'Estonie dispose d'une frontière maritime, sur la mer Baltique, de 3 794 km, face à la Suède et à la Finlande, tandis que sa frontière terrestre la sépare, sur 633 km, de la Russie, à l'est, et de la Lettonie, au sud. En 2009, l'Estonie comptait 1 340 000 habitants, dont 69 % vivaient en milieu urbain, la densité moyenne sur l'ensemble du territoire étant de 30 habitants par km2. Aujourd'hui, la population estonienne ne cesse de diminuer. Deux facteurs expliquent cette régression : d'une part, le taux de mortalité (13 ‰) est encore trop élevé par rapport au taux de natalité (11 ‰) ; d'autre part, à la suite d'une loi très stricte, l'immigration russe a été fortement ralentie. Ainsi, la répartition ethnique de la population de l'Estonie ne cesse de se modifier : en 1922, les Estoniens (finno-ougriens) représentaient 90 % de la population, tandis qu'en 1989 ce pourcentage avait chuté à 61,5 %, au profit des immigrés russes. Le russe est aujourd'hui la langue maternelle d'environ le tiers de la population. Cependant, depuis 1989, l'estonien est redevenu la langue officielle. Si les Estoniens croyants sont, pour la plupart, des protestants de confession luthérienne, les Russes sont généralement orthodoxes.
L'activité économique
La principale ressource naturelle de l'Estonie est le schiste bitumineux, produit dans le nord-est du pays. Il est utilisé comme combustible dans la production d'électricité et comme matière première dans l'industrie chimique. Au rythme actuel de l'extraction, on estime que les réserves (6,4 milliards de tonnes) pourront couvrir les besoins pendant encore un demi-siècle. L'Estonie dispose également de gisements de phosphorites, utilisées dans la fabrication de fertilisants. Pour des raisons écologiques, cette production a cependant été ralentie. L'Estonie est aussi productrice de tourbe et d'argile. Le pétrole et le gaz sont importés essentiellement de Russie.
Le réseau ferroviaire estonien s'étend sur 960 km, tandis que le réseau routier couvre 16 400 km. Avec sa large façade sur la mer Baltique, l'Estonie dispose de nombreux ports, dont les principaux sont Tallinn, Muuga, Kopli, Pärnu et Roomassaare. Au total, le trafic portuaire concerne environ 30 millions de tonnes de marchandises par an et plus 4 millions de passagers. Muuga, à quelques kilomètres de Tallinn, est capable d'accueillir des navires dont le tirant d'eau est de 16,9 m. En 1996, 14 millions de tonnes de marchandises ont transité par ce port, dont 5,8 millions de produits pétroliers.
En 2004, les services constituent la principale ressource économique du pays (67 % du produit intérieur brut [P.I.B.]). L'industrie (agroalimentaire, énergie, chimie, bois, papeterie, matériaux de construction) représente 29 % du P.I.B. et le secteur agricole 4 % du P.I.B. L'adaptation à l'économie de marché est plus difficile pour l'agriculture et l'agroalimentaire, ces deux secteurs étant en effet contraints de se conformer aux normes de l'Union européenne, devenue leur principal partenaire commercial. Le taux de chômage paraît contenu (4 % en 2007 selon les critères officiels, mais en réalité beaucoup plus élevé). L'Estonie enregistre une croissance forte (9,5 % en 2006) et est sur le point de résorber son déficit budgétaire. Le pays a fait son entrée dans l'Union européenne en 2004. En 2010, l'Union européenne accepte que l'Estonie fasse son entrée dans la zone euro en 2011.
HISTOIRE
1. Des origines au xviie siècle
1.1. Vikings, Russes, Allemands et Danois
D'origine finno-ougrienne, les Estoniens sont cités pour la première fois par Tacite. Ils s'unissent contre leurs envahisseurs successifs, Vikings (ixe-xe siècles) et Russes (xie-xiie siècles), avant de devoir faire face aux Allemands.
Ils sont écrasés en 1217 par les chevaliers Porte-Glaive, auxquels se joignent les Danois, convertis au christianisme, et qui conquièrent et agrandissent Tallinn en 1219.
1.2. L'Estonie dans la Confédération livonienne
Partagés, sur arbitrage pontifical (la Confédération livonienne), entre Danois (côtes septentrionales) et Allemands, ils sont totalement soumis à ces derniers après la cession aux chevaliers Teutoniques de la part danoise par Valdemar IV Atterdag (1346). Les marchands de la Hanse se réservent dès lors le contrôle des ports, tandis que les barons allemands s'approprient de grands domaines et réduisent les paysans au servage.
L'affaiblissement de l'ordre Teutonique sécularisé et l'agression du tsar Ivan IV le Terrible (1558) aboutissent à la dislocation, en 1561, de la Confédération livonienne, membre du Saint Empire, à laquelle appartenait l'Estonie.
1.3. L'ère suédoise
Le nord du pays tombe au pouvoir de la Suède, et le Sud échoit à la Pologne. Après la première guerre polono-suédoise, les Suédois étendent leur autorité sur toute l'Estonie (traité d'Altmark, 1629). Gustave II Adolphe fonde l'université de Dorpat (aujourd'hui Tartu) en 1632, favorise le luthéranisme et protège les paysans. L'ère suédoise se termine avec la première guerre du Nord (1700-1721) et le traité de Nystad (1721), qui donne l'Estonie à la Russie.
2. De l'affirmation du sentiment national à la première indépendance
2.1. L'Estonie dans l'Empire russe
Au xviiie siècle, les Russes favorisent la puissance des barons baltes. Mais Alexandre Ier abolit le servage dès 1816-1819 dans les provinces baltes, et les mesures libérales d'Alexandre II permettent aux paysans estoniens de devenir propriétaires des deux cinquièmes des terres à la fin du xixe siècle. Cependant, la politique de russification d'Alexandre III provoque la formation d'un mouvement nationaliste et l'opposition des intellectuels du mouvement « Jeune Estonie », dirigé par Jaan Teemant. La répression russe y répond brutalement.
2.2. La révolution russe de 1917 et la guerre d'indépendance (1918-1920)
Le 12 avril 1917, le pays se soulève et se constitue en État autonome avec un gouvernement provisoire dirigé par Konstantine Päts (1874-1956). Au traité de Brest-Litovsk (mars 1918), Lénine cède l'Estonie aux Allemands, qui l'avaient envahie en février. L'effondrement du Reich, le 11 novembre, fait de l'indépendance estonienne une réalité que les Soviets se refusent à entériner. Le 28 novembre 1918, l'Armée rouge pénètre en envahisseur. Épaulés par la Finlande, les corps francs estoniens arrivent à rejeter les Russes et les troupes allemandes de Rüdiger von der Goltz, restées sur place (juin 1919). Au traité de Tartu (2 février 1920), les Soviétiques renoncent à toute souveraineté sur l'Estonie, reconnue par les puissances (26 janvier 1921).
2.3. L'Estonie indépendante (1920-1939)
Une assemblée, élue dès avril 1919, avec August Rei comme président, vote le 15 juin 1920, une Constitution de type parlementaire ; le chef de l'État est aussi chef du gouvernement. En 1924, le parti communiste est dissous. Un référendum, en octobre 1933, supprime tous les partis et établit une dictature de fait avec Johan Laidoner. En septembre 1937, une nouvelle Constitution est promulguée, établissant deux chambres et un président de la République. L'Estonie, qui a adhéré à la Société des Nations (SDN), signe un pacte de non-agression avec l'URSS (mars 1932), mais, le 28 septembre 1939, les Russes lui imposent un traité de mutuelle assistance, qui leur réserve la concession des bases navales de Hiiumaa (Dago), de Saaremaa (Sarema) et de Paldiski.
3. L'Estonie soviétique (1940-1991)
Occupée par les troupes soviétiques le 17 juin 1940, l'Estonie est intégrée à l'URSS le 6 août, sous le nom de « République soviétique socialiste d'Estonie ». En mai-juin 1941, des déportations massives liquident l'opposition. Le pays est envahi par les Allemands (armée de von Leeb), et Tallinn tombe le 28 août 1941. Reconquise par les Russes en 1944, Tallinn libérée le 22 septembre, l'Estonie redevient la 15e République de l'URSS. Les minorités allemandes et suédoises sont transférées dans leurs pays d'origine.
Le tracé de la frontière russo-estonienne est modifié au profit de la Russie. Rapidement, les « Frères de la forêt » organisent la résistance au régime soviétique. Mais le mouvement ne survit pas à la collectivisation des terres de 1949. La soviétisation prend le pas : la Constitution soviétique confère un rôle dirigeant au parti communiste et le russe devient la langue officielle. De plus, les administrations et industries de Tallinn et Narva accueillent des dizaines de milliers de ressortissants soviétiques, principalement de nationalité russe. Jusqu'à la fin de l'époque stalinienne, les déportations des opposants au régime soviétique se multiplieront.
En 1975, lors de la création du Comité pour le respect de l'acte final d'Helsinki, l'appel des intellectuels estoniens est entendu à l'étranger – à l'instar de celui de leurs homologues lettons et lituaniens –, grâce au relais constitué par les Baltes exilés aux États-Unis et en Europe. Puis, en 1979, le Mouvement démocratique balte condamne les accords du pacte germano-soviétique de 1939. Étayée par les revendications écologistes puis économiques, la démarche balte aboutit en 1987 à un projet d'autonomie financière de l'Estonie – projet qui ne sera accepté et appliqué par Moscou aux trois États qu'en 1990. Dès 1988, les symboles nationaux sont restaurés et de nouveaux mouvements politiques, ou inspirés de ceux qui existaient avant l'occupation, voient le jour.
Le Front populaire, initialement créé pour soutenir la perestroïka, devient le principal mouvement autonomiste puis indépendantiste. Le 16 novembre 1988, il parvient à faire voter la souveraineté de l'Estonie par le Soviet suprême estonien. Puis, en janvier 1989, l'estonien devient la langue officielle du pays. Enfin, le 25 mars 1990, le parti communiste estonien se proclame indépendant du PCUS et s'engage sur la voie de la restauration progressive de l'indépendance. Mais le Congrès estonien – assemblée parallèle formée par des indépendantistes – reproche au Soviet suprême estonien son manque de légitimité. Il ne parvient pourtant pas à se substituer à ce dernier, mais inspire cependant la politique indépendantiste du pays.
Sur déclaration du Conseil suprême nouvellement élu, la transition vers l'indépendance commence officiellement le 30 mars 1990. Moscou impose alors un blocus économique pendant plusieurs mois. Le processus est pourtant confirmé le 3 mars 1991, lors d'un référendum au cours duquel 77,8 % des résidents d'Estonie – toutes nationalités confondues – se déclarent favorables à l'indépendance. Lorsque, le 19 août 1991, un coup d'État manqué en URSS vient perturber Moscou, les Estoniens en profitent pour proclamer leur indépendance. Le 6 septembre 1991, la Russie reconnaît officiellement l'Estonie, bientôt suivie par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) le 10 septembre, et l'ONU le 17 septembre.
4. L'indépendance retrouvée
4.1. Un retour réussi à la démocratie
Les gouvernements qui se succèdent optent pour des réformes radicales. En juin 1992, la nouvelle Constitution adoptée par référendum instaure un système parlementaire. Puis, au mois de septembre, les élections législatives – remportées par les partis de centre droit et auxquelles les russophones ne sont pas invités à participer – donnent naissance au nouveau Parlement, le Riigikogu. En octobre, Lennart Meri est élu président de la République par le Parlement ; Mart Laar, leader de l'Union pour la patrie, est choisi pour former le gouvernement. Le rouble est alors remplacé par la couronne estonienne. Un système de parité fixe est adopté et le taux de change est établi par la loi à 8 couronnes pour 1 Deutsche Mark, afin d'importer la stabilité monétaire allemande. L'économie estonienne subit d'énormes transformations : le secteur tertiaire explose, les entreprises sont privatisées.
Aux élections législatives de mars 1995, les Estoniens rejettent les ultralibéraux, en votant pour l'alliance du parti de la Coalition et de l'Union rurale. Tiit Vähi, leader du parti de la Coalition, devient Premier ministre ; il sera remplacé par Mart Siimann en mars 1997. La vie politique estonienne est alors marquée par une certaine instabilité (nombreux remaniements ministériels). En août 1996, Lennart Meri est reconduit pour un mandat de cinq ans à la présidence de la République (entrée en fonction le 7 octobre). Le gouvernement Siimann est désavoué lors des élections législatives de mars 1999, avec la victoire d'une coalition réformatrice de centre droit, formée par l'Union pour la patrie, le parti de la Réforme et le parti populaire des Modérés. Le parti du Centre obtient le meilleur score grâce à un programme qui a séduit les laissés-pour-compte des réformes. Mais, faute d'alliés, son leader, Edgar Savisaar, ne peut prétendre former le gouvernement. Cette charge revient, pour la seconde fois, à Mart Laar.
Le 8 octobre 2001, l'ex-communiste Arnold Rüütel, élu en septembre, prend ses fonctions à la présidence de la République, en remplacement de Lennart Meri. Les dissensions, manifestes tout au long de l'année 2001 au sein de la coalition au pouvoir, poussent Mart Laar à la démission en janvier 2002. Siim Kallas le remplace et dirige la nouvelle coalition formée par le parti de la Réforme et le parti du Centre, aux idées radicalement opposées. Les élections législatives de mars 2003 ne débouchent sur aucune majorité claire. Le parti du Centre de la coalition sortante et le parti Res Publica (nouvelle formation se situant à droite) arrivent tous les deux en tête du scrutin. Un nouveau gouvernement, dirigé par Juhan Parts, leader de Res Publica, est investi par le Parlement en avril.
5. Les relations russo-estoniennes et le processus d'élargissement euro-atlantique
5.1. Les tensions avec la Russie et l’admission à l’OTAN
Le recouvrement de l'indépendance par l'Estonie, après cinquante années d'occupation soviétique, pose le problème de la normalisation de ses relations avec la Russie. Arguant de son passé douloureux (pacte Ribbentrop-Molotov), de son identité européenne et de ses références démocratiques, l'Estonie fait de sa sécurité, et donc de sa participation dans le système de sécurité et de défense européen et transatlantique, une priorité.
Or, la Russie de Boris Ieltsine est opposée à tout élargissement de l'OTAN vers les pays de l'ex-URSS. Nonobstant ce retour à la rhétorique du passé, l'Estonie participe, dès 1991, au Conseil de Coopération de l'Atlantique Nord, avant de rejoindre, en février 1994, le Partenariat pour la paix. Après de longues et difficiles négociations, la Russie achève de retirer ses dernières troupes restées en Estonie en août 1994. Elle refuse, en revanche, de lui restituer les 5 % du territoire qu'elle a annexés en 1945, et conditionne le règlement du litige frontalier à l'amélioration du sort réservé à la minorité russophone.
Restés en Estonie après l'indépendance en 1991, les Russes (quelque 351 000 personnes lors du recensement de 2000 soit environ un quart de la population dont plus de la moitié à Tallinn et à Narva où ils représentent alors respectivement 36 % et 85 % des habitants) voient au cours de ces années leur condition se dégrader. Une grande partie d’entre eux devient apatride depuis l'introduction, en 1993, d'une loi sur la citoyenneté (durcie en 1995), selon laquelle toute personne entrée ou née dans le pays après la Seconde Guerre mondiale (ce qui est le cas de la majorité des Russes) ne peut acquérir la citoyenneté estonienne qu'après avoir réussi un examen attestant d'une connaissance suffisante de la langue, du droit public et de la Constitution de l'Estonie. Jugé discriminatoire, le texte a valu à l'Estonie une mise en garde du Conseil de l'Europe, et les menaces répétées de la part de la Russie de sanctions économiques. La question du statut juridique de la branche estonienne de l'Église orthodoxe du patriarcat de Moscou, la poursuite de l'enseignement secondaire en russe ou encore l'octroi de garanties sociales aux ex-membres du KGB figurent également parmi les points de discorde récurrents entre les deux pays.
Lors du sommet de l'OTAN tenu à Prague en novembre 2002, l'Estonie obtient – ainsi que six autres pays d'Europe centrale et orientale – la promesse de devenir membre de l'Alliance atlantique en mars 2004. Dans cette attente, elle manifeste clairement son atlantisme en cosignant, en février 2003, la déclaration du groupe de Vilnius qui appuie le projet américano-britannique d'intervention militaire en Iraq, où elle dépêche une troupe d'infanterie. Lors de la signature du protocole d'adhésion à l'Alliance atlantique (mars 2003), l'Estonie est invitée à accélérer le processus de naturalisation de la minorité russophone et à approfondir la réforme de l'armée. Un an plus tard, le 29 mars 2004, elle est intégrée dans l'OTAN.
Des lectures divergentes de leur histoire récente entravent les relations russo-estoniennes. Invité à participer aux cérémonies du 9 mai 2005 à Moscou, pour le 60e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Arnold Rüütel décline l'invitation – tout comme son homologue lituanien –, faisant valoir que cette date avait ouvert pour l'Estonie une période d'occupation, dont l'illégalité n'a toujours pas été reconnue par la Russie. Cette dernière, après avoir signé le 18 mai un traité régularisant le tracé de sa frontière commune avec l'Estonie, retire sa signature en septembre, mettant en cause la référence faite à l'occupation et à l'annexion soviétiques dans le préambule de la loi de ratification adoptée par le Parlement estonien.
Les discussions reprennent en 2012 et un projet d’accord frontalier révisé est finalement signé en février 2014. Sa ratification par les deux parlements devrait ouvrir la voie à un apaisement des relations marquées par une méfiance que la crise ukrainienne ne fait qu’amplifier, l’instrumentalisation de la minorité russophone n’étant pas exclue.
L’intégration de cette dernière a pourtant fortement progressé avec la naturalisation. En 2011 (dernier recensement), les citoyens estoniens constituent ainsi plus de 85 % de la population (62 % en 1992) contre 7 % de ressortissants russes et 6,5 % d’apatrides. L’audience des partis communautaires est restée très marginale, entraînant leur disparition ou leur fusion avec d’autres formations à l’instar du Parti russe en Estonie intégré dans le parti social-démocrate en 2012, les russophones se tournant pour leur plus grande part vers le parti du Centre d’E. Savisaar, maire de Tallinn depuis 2007.
Le clivage n’a cependant pas été résorbé. En témoignent les enquêtes d’opinion qui montrent que l’adhésion à l’Europe et à l’OTAN, ainsi que la confiance dans les institutions nationales (présidence, gouvernement, parlement, forces de Défense) est moindre parmi les russophones. Les tensions avec Moscou restent par ailleurs vives comme l’illustrent les exercices militaires à la fois de la Russie et de l’OTAN en février 2015.
5.2. L'intégration dans l'Union européenne
L'adhésion à l'Union européenne constitue une des priorités de la politique étrangère de l'Estonie dès son retour à l'indépendance. À l'instar de la Lituanie et de la Lettonie, la perspective de l'intégration à l'organisation communautaire représente à la fois une reconnaissance et une garantie de sécurité et de liberté.
Après avoir signé, le 18 juillet 1994, un accord de libre-échange avec l'UE, l'Estonie conclut, l'année suivante, un accord d'association et soumet, en novembre 1995, sa demande d'adhésion. Celle-ci est acceptée par la Commission européenne en juillet 1997 et, en avril 1998, le Conseil européen décide d'ouvrir les négociations d'adhésion. Récoltant les fruits d'une politique menée systématiquement depuis le retour à l'indépendance (libéralisme absolu, privatisation rapide et énergique, durs sacrifices imposés au secteur agricole), et mettant à profit sa proximité avec la Finlande – avec laquelle elle réalise une grande part de ses échanges –, l'Estonie apparaît rapidement comme le seul pays de l'ex-empire soviétique à se trouver sur la liste des premiers candidats à l'adhésion, dépassant nettement la Lettonie et la Lituanie.
Toutefois, le coût social de cette ouverture aux lois du marché s'avère lourd et la fracture sociale entre l'élite politique et économique et les laissés-pour-compte de la modernisation (retraités et étudiants notamment) ne cesse de se creuser. Aussi, malgré de réelles avancées (hausse des salaires, introduction de l'assurance-chômage, système de retraite par capitalisation, etc.), le soutien de la population estonienne à l'adhésion à l'UE est-il méfiant et tardif. Au printemps 2001, 57 % des Estoniens y sont opposés, 36 % seulement sont pour ; le soutien à l'adhésion passe à 57 % contre 36 % d'opposants en novembre 2002, un mois avant le Conseil européen de Copenhague des 12 et 13 décembre, au cours duquel l'Estonie est appelée à rejoindre l'Union en 2004.
Le référendum du 14 septembre 2003 donne une large victoire aux partisans du « oui » (66,8 %). Le 1er mai 2004, l'Estonie devient membre de l'Union européenne avec neuf autres pays candidats. Toutefois, les élections européennes du 13 juin sont marquées par un très faible taux de participation (26,8 %) qui atteint cependant 43,9 % en 2009 avant de reculer à 36,5 % en 2014.
6. Stabilisation politique et rigueur économique
À l'intérieur, le grand nombre de partis et leurs difficultés à s'entendre durablement constituent pendant longtemps une source d'instabilité chronique depuis l’indépendance. En mars 2005, le Parlement vote une motion de défiance à l'encontre du ministre de la Justice en raison de son projet de lutte contre la corruption. Le Premier ministre Juhan Parts annonce aussitôt sa démission, qui entraîne celle de l'ensemble du gouvernement. Andrus Ansip est chargé par le président Arnold Rüütel de former un nouveau gouvernement : issu de la coalition entre le parti de la Réforme, le parti du Centre et l'Union populaire, celui-ci est investi le 12 avril 2005.
Le 9 mai 2006, l'Estonie ratifie par voie parlementaire le projet de Constitution de l'Union européenne. Paradoxalement, malgré de bonnes performances économiques mais en raison d'un taux d'inflation trop élevé, elle doit reporter la date du passage à l'euro, initialement prévue pour le 1er janvier 2007. En octobre, Toomas Hendrik Ilves succède au président sortant Arnold Rüütel ; cet ancien journaliste, ayant vécu une grande partie de sa vie en Amérique du Nord, chargé à deux reprises du poste de ministre des Affaires étrangères (1996-1998) avant d'être élu eurodéputé en 2004, incarne l'ancrage européen.
Après la courte victoire de sa formation, le parti de la Réforme, devant son allié le parti du Centre aux élections législatives de mars 2007, Andrus Ansip passe un accord de coalition avec la principale force de l'opposition sortante, la formation nationaliste Pro Patria-Res Publica (IRL), arrivée en troisième position, et le parti social-démocrate.
Comme les deux autres républiques baltes – moins que la Lettonie, la plus durement touchée, mais davantage que la Lituanie –, l'Estonie est atteinte de plein fouet par la crise financière internationale en 2008-2009, avec une brusque chute de la production industrielle et une forte hausse du chômage : opposés aux coupes budgétaires, les ministres sociaux-démocrates sont démis de leurs fonctions en mai 2009 et le Premier ministre doit négocier un accord avec l'Union populaire (6 députés). Les partis de la coalition au pouvoir sont sanctionnés aux élections européennes de juin, marquées par une hausse de la participation, de 26,8 % en 2004 à 43,9 %. Le candidat indépendant Indrek Tarand rassemble sur son nom presque autant de voix que le parti du Centre, en tête du scrutin avec plus de 26 % des voix contre 17,5 % en 2004. Très en dessous de leur audience nationale, le parti de la Réforme et Pro Patria-Res Publica remportent respectivement 15,3 % et 12,2 % des suffrages alors que les sociaux-démocrates, qui avaient fait une percée au scrutin européen de 2004 (36,8 %) sont les grands perdants du scrutin avec 8,7 % des voix.
Forte d’une très rigoureuse politique budgétaire qui lui permet de respecter les critères d’adhésion et malgré la crise sans précédent que traverse la zone euro, l’Estonie est le 17e État de l’UE à adopter la monnaie européenne le 1er janvier 2011. En mars 2011, en dépit de cette cure d’austérité – qui permet au gouvernement de dégager un excédent budgétaire – et le chômage – autour de 14 % –, la coalition sortante de centre droit (parti de la Réforme du Premier ministre A. Ansip et Union Pro Patria-Res Publica), remporte une majorité de 56 sièges (respectivement 33 et 23) sur 101 dans un Parlement où seuls quatre partis sont désormais représentés après l’élimination des Verts et de l’Union populaire. Le chef du gouvernement ainsi que les principaux ministres du parti de la Réforme (Finances, Affaires étrangères et Économie) sont reconduits dans leurs fonctions dans un nouveau gouvernement de coalition en avril.
En mars 2014, après neuf ans au pouvoir (un record de longévité), A. Ansip démissionne pour entreprendre une carrière européenne et laisser sa place à Taavi Rõivas, son ministre des Affaires sociales et successeur à la tête du parti de la Réforme. Ce dernier (âgé de 34 ans), forme un nouveau gouvernement de coalition, mais avec les sociaux-démocrates.
Son parti vient en tête des élections européennes de mai puis des législatives du 1er mars 2015 devant le parti du Centre, le parti social-démocrate, l’Union Pro Patria-Res Publica (IRL) et deux nouveaux partis politiques conservateurs, le parti libre estonien et le parti populaire conservateur d’Estonie (Eesti Konservatiivne Rahvaerakond, EKRE), une formation nationaliste et eurosceptique, fondée en 2012 et classée à l’extrême droite. Alors que le pays connaît une amélioration de sa situation économique (avec notamment un taux de chômage ramené en dessous de 7 %), T. Rõivas est reconduit en avril à la tête d’un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates et l’IRL après l’adoption d’un programme axé notamment sur le renforcement de la défense nationale en réponse aux tensions renaissantes avec la Russie.
En octobre 2016, première femme à accéder cette fonction (essentiellement honorifique), Kersti Kaljulaid est élue par le Parlement pour succéder à T. H. Ilves.
Les désaccords entre partenaires de la coalition sur la politique économique, conjugués à l’usure du pouvoir qui frappe le parti de la Réforme, conduisent à une nouvelle crise gouvernementale en novembre. Contesté par ses alliés conservateurs et sociaux-démocrates, le Premier ministre doit finalement démissionner à la suite de l’adoption d’une motion de censure déposée par l’opposition. Jüri Ratas, nouveau chef du parti du Centre, lui succède avec le soutien de l’IRL et du parti social-démocrate.
Les élections de mars 2019 sont marquées par une percée de la droite nationaliste, incarnée par l’EKRE qui, avec près de 18 % des voix, obtient 19 sièges contre 7 dans la précédente assemblée. Le parti de la Réforme, désormais présidé par l’ex-eurodéputée (2014-2018) Kaja Kallas, arrive en tête du scrutin avec 34 sièges devant le parti du Centre (26 représentants). Les grands perdants sont les sociaux-démocrates qui reculent de 5 sièges (10) derrière l’IRL, rebaptisée Isamaa (« Mère patrie ») qui en obtient 12.
Les négociations conduisent à la formation d’un gouvernement de coalition entre le parti du Centre, l’EKRE et Isamaa, dont la direction est confiée au Premier ministre sortant J. Ratas.