les Bernoulli
Famille suisse de savants, originaire d'Anvers, réfugiée à Bâle depuis la fin du xvie s.
Étudiant en théologie, Jacques Ier Bernoulli (Bâle 1654-Bâle 1705) se prend de passion pour les mathématiques, qu'il apprend seul. Après six années de voyage en France, aux Pays-Bas et en Angleterre, il obtient en 1687 la chaire de mathématiques de l'université de Bâle. Formé aux mathématiques modernes par la lecture de Descartes, il découvre les méthodes infinitésimales dans les œuvres de John Wallis (1616-1703) et d'Isaac Barrow (1630-1677). Lorsque Leibniz publie, en 1684, dans sa revue des Acta eruditorum, son premier essai de calcul infinitésimal, Bernoulli saisit immédiatement l'importance des nouvelles notations malgré la brièveté du texte. Ayant adopté le point de vue de Leibniz, il en devient, avec son frère Jean, le zélateur, et, à ce sujet, il faut se rappeler que, si l'expression différentielle est de Leibniz, celle d'intégrale est due à Jacques Bernoulli.
À son nom est attachée une courbe, la lemniscate de Bernoulli, et ses travaux sur cette courbe sont à l'origine de l'étude des fonctions elliptiques, qui joueront au xixe s. un rôle très important. Il se passionne pour une autre courbe, la spirale logarithmique, au point d'exiger qu'elle soit gravée sur sa pierre tombale. Par les problèmes qu'il pose à ses émules, ou que ceux-ci lui posent- et parmi eux il faut surtout compter son frère Jean-, il fonde le calcul des variations, que systématiseront plus tard Leonhard Euler (1707-1783) et Louis de Lagrange (1736-1813). En calcul différentiel, les équations de Bernoulli rappellent encore son souvenir ; l'étude des séries est pour lui un domaine de prédilection, et les nombres de Bernoulli sont restés célèbres.
Dans le calcul des probabilités, c'est à l'automne 1689 qu'il découvre la loi des grands nombres, ou théorème de Bernoulli. Son Ars conjectandi, qui résume ses travaux en ce domaine, ne sera cependant publié par son neveu Nicolas Ier (1687-1759) qu'en 1713, huit ans après son décès. Nicolas, lié également d'amitié avec Pierre Rémond de Montmort (1678-1719), pose à ce dernier un problème resté célèbre, que Montmort publie dans la seconde édition de son Analyse des jeux de hasard, en 1714. C'est le Paradoxe de Saint-Pétersbourg, ainsi appelé parce que Daniel Ier Bernoulli lui consacre une étude parue en 1738 dans les Commentaires de l'Académie de Saint-Pétersbourg..
Primitivement destiné au commerce par son père conseiller d'État à Bâle, Jean Ier Bernoulli (Bâle 1667-Bâle 1748) est formé aux mathématiques par son frère Jacques. Lors d'un voyage en France en 1691-1692, il se lie avec les mathématiciens amis de Malebranche (1638-1715), et plus particulièrement avec Guillaume de L'Hospital, marquis de Sainte-Mesme (1661-1704), auquel il donne des leçons de calcul différentiel et de calcul intégral. Elles sont à l'origine d'un manuel resté très longtemps en usage, l'Analyse des infiniment petits (1696), rédigé et signé par L'Hospital, mais dont le fond appartient à Jean Bernoulli. Celui-ci vit d'une pension que lui verse le marquis jusqu'à ce que, par l'entremise de ce dernier et surtout de Christiaan Huygens (1629-1695), il soit nommé professeur de mathématiques à l'université de Groningen (1695). Puis, à la mort de son frère, il lui succède à Bâle. Ses qualités pédagogiques sont telles que Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783) dit dans son éloge : « Je lui dois presque entièrement le peu de progrès que j'ai fait en géométrie », et il est le maître de Leonhard Euler. Si Leibniz est l'inventeur du mot fonction, dans son sens mathématique, Jean Bernoulli est le premier à avoir donné de cette notion essentielle une définition dégagée de considérations géométriques (1718).
Les discussions scientifiques entre les deux frères, qui touchèrent à tous les problèmes de mathématiques agités parmi les savants d'avant-garde, sont restées célèbres. Leur aspect polémique excessif entretenait la chronique scandaleuse, et, lorsque l'Académie des sciences de Paris les admit comme correspondants, elle les rappela à plus de modération. Tous deux étaient restés fidèles, en philosophie, aux conceptions cartésiennes, et n'adoptèrent jamais les idées de Newton. Jean, par son caractère excessif, envenima d'ailleurs les rapports entre disciples de Leibniz et disciples de Newton. Cependant, les deux frères contribuèrent au progrès de la mécanique, et ce fut Jean qui, au dire de Lagrange, le plus prestigieux mécanicien du xviiie s., aperçut le premier la généralité et l'importance du principe des vitesses virtuelles.
Daniel Ier Bernoulli (Groningue 1700-Bâle 1782) commence par étudier la médecine et accompagne son frère aîné Nicolas II (1695-1726), professeur de droit à Berne, lorsque celui-ci est appelé en 1725 à Saint-Pétersbourg. Mais Nicolas meurt peu après leur arrivée. Membre de l'Académie de Saint-Pétersbourg, Daniel obtient en 1732 le prix de l'Académie des sciences pour une étude du problème des deux corps, qui est la première traduction analytique de la théorie de Newton. Rentré à Bâle en 1733, il enseigne alors l'anatomie, la botanique, la physique et la philosophie. Contrairement à son oncle et à son père, de l'animosité duquel il a souvent à souffrir, il est un newtonien convaincu. En 1738, il publie une remarquable Hydrodynamica, englobant l'hydrostatique et l'hydraulique, et fondée sur le principe de la conservation de l'énergie cinétique. On trouve dans cet ouvrage une première ébauche de la théorie cinétique des gaz, théorie qui jouera au siècle suivant un rôle si important, et un théorème, dit aussi « théorème de Bernoulli », exprimant la conservation de l'énergie mécanique dans l'écoulement d'un fluide incompressible parfait. Dans l'étude des cordes vibrantes, qui souleva tant de discussions entre d'Alembert, Euler et Lagrange, Daniel Bernoulli introduit les fonctions circulaires. Ses conceptions conduisent aux séries trigonométriques, ou séries de Fourier, qui, par les difficultés qu'elles soulèvent au xixe s., font faire à l'analyse ses plus grands progrès et conduisent Georg Cantor (1845-1918) à la théorie des ensembles. En anatomie, on doit à Daniel Bernoulli des études de mécanique respiratoire et le principe d'un calcul correct du travail cardiaque. Ses expériences d'électrostatique, en 1760, présentent, elles aussi, quelque intérêt.