génocide arménien
Processus d'extermination de la minorité arménienne de confession chrétienne de l'Empire ottoman qui, d'avril 1915 à juillet 1916, a coûté la vie à plus d'un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants, auxquels il faut ajouter 250 000 chrétiens d'Orient (Assyro-Chaldéens, Syriaques).
1. Genèse du processus génocidaire
1.1. L'Empire ottoman menacé
Abdülhamid II
Lorsqu'il accède au pouvoir en 1876, le sultan Abdülhamid II trouve un Empire en pleine déliquescence (« l'homme malade de l'Europe ») et tourne rapidement le dos à l'esprit du Tanzimat pour suivre la voie de l'autocratie et de l'islamisation, conditions nécessaires à ses yeux pour assurer la survie de l'Empire.
Les revendications arméniennes
Ne représentant qu'un des nombreux peuples de l'Empire, les Arméniens – environ 2,5 millions, soit 8 à 10 % de la population totale – vivent de manière dispersée en Anatolie. Leur place dans la société est définie par le système du millet, qui leur confère un statut de citoyen de second rang. Après le congrès de Berlin (1878), les élites arméniennes commencent à émettre des revendications d'égalité et de justice face aux abus des tribus kurdes et de l'admnistration.
Les massacres hamidiens de 1894-1896
Face à la révolte des Arméniens contre l'écrasante taxation qu'ils subissent, Abdülhamid II encourage les Hamidiyés – des régiments kurdes de cavalerie légère qu'il a lui-même créés en 1891 – à massacrer les populations arméniennes : lors des pogroms de 1894 à 1896 qui causent la mort de 100 000 à 300 000 Arméniens s'élaborent des méthodes de purification ethnique.
1.2. La révolution jeune-turque de juillet 1908
En 1907, le mouvement nationaliste des Jeunes-Turcs fonde le comité Union et Progrès, qui, en juillet 1908, impose au sultan Abdülhamid II l'instauration d'un régime constitutionnel. La majorité des Arméniens, espérant une modernisation et une démocratisation en profondeur de l'Empire, adhèrent à la révolution des Jeunes-Turcs contre l'absolutisme d'Abdülhamid II. Mais, à partir de 1909, les Jeunes-Turcs, au nom de la défense de l'intégrité du territoire ottoman et d'un nationalisme radical turco-mulsulman, souhaitent faire table rase du passé pour instaurer une nouvelle société turque, où tout groupe ethniquement non turc et religieusement non musulman doit être éradiqué. Grecs, Syro-Chaldéens (ou nestoriens) et Arméniens sont visés. Ces derniers, jusque-là considérés comme la minorité la plus fidèle, sont désignés comme des traîtres en puissance ; dans la nuit du 25 au 26 avril 1909, entre 20 000 et 30 000 d'entre eux sont massacrés dans la province d'Adana, en Cilicie.
1.3. Le nationalisme jeune-turc
Les Jeunes-Turcs dirigent l'Empire ottoman de manière presque continue jusqu'en 1918. Ils tentent de lutter contre la décadence de cet État multiethnique et soumis à l'influence des grandes puissances européennes. Tout en défendant l'identité du peuple turc, ils sont également attachés aux pouvoirs du sultan, qui détient en même temps le califat, lequel lui confère un grand pouvoir religieux sur les musulmans.
Les Jeunes-Turcs se méfient des populations chrétiennes de l'Empire qui ont pourtant soutenu la révolution de 1908. La situation se tend à partir de 1913, lorsque l'Empire, après la perte de ses possessions dans les Balkans (→ guerres balkaniques), doit se recentrer sur l'Anatolie, où vivent de nombreux Arméniens.
Dès les débuts de la Première Guerre mondiale, les membres du Comité Union et Progrès (parti au pouvoir depuis le putsch du 23 janvier 1913) se rangent aux côtés de l'Allemagne, alors que la Russie fait partie des Alliés avec la France et le Royaume-Uni. De plus, les autorités religieuses musulmanes d'Istanbul lancent en novembre 1914 un appel au djihad.
2. Les événements
2.1. Les Arméniens perçus comme des « ennemis de l'intérieur »
L'engagement de certains Arméniens dans les rangs de l'armée russe fournit aux Ottomans le prétexte qu'ils recherchaient pour mettre au pas la minorité arménienne.
À partir de 1914, les Jeunes-Turcs considèrent les Arméniens comme des agents de l'étranger et envisagent de rendre le peuplement de l'Anatolie uniquement turc. En août 1914, ils créent l'Organisation secrète (OS) – police politique et administration de la terreur –, chargée de combattre les activités des ennemis de l'intérieur et qui admet en son sein des détenus de droit commun libérés à cet effet.
Les premiers incidents éclatent dans la région du lac de Van. Les autorités ottomanes massacrent des villageois arméniens à partir de décembre 1914 et mettent en doute le loyalisme des Arméniens, alors que les Russes remportent des succès militaires non loin de là, à Sarikamis (4 janvier 1915), dans le Caucase. En février, les soldats arméniens enrôlés dans l'armée ottomane sont désarmés.
2.2. Le déclenchement des massacres
La situation militaire de l'Empire devient critique en avril 1915, lorsque les Britanniques et leurs alliés débarquent dans la région du détroit des Dardanelles. Le 24 avril, l'élite politique et intellectuelle de la communauté arménienne d'Istanbul est arrêtée, déportée dans l'est de l'Empire, où elle est exécutée. C'est le déclenchement du génocide arménien mené d'une manière systématique, qui a été relevée par les contemporains et notamment les diplomates en poste dans l'Empire ottoman.
Dans la partie orientale de l'Empire, les Arméniens sont arrêtés et certains sont exécutés sur place. Le reste de la population est déporté et souvent tué au cours du trajet. En février 1916, les survivants sont acheminés par chemin de fer jusqu'à Alep, d'où ils sont alors poussés plus à l'est vers Deir ez-Zor et exécutés à l'arme blanche.
À l'issue de la guerre, le nombre d'Arméniens survivants n'était plus que de 200 000. L'implication des autorités politiques ne fait pas de doute. Le 27 mai 1915, le gouvernement ottoman adopte une loi provisoire de déportation qui légitime a posteriori les déportations d'Arméniens ainsi que la confiscation de leurs biens. Les hauts fonctionnaires qui réprouvent ces faits sont démis de leurs fonctions. Les opérations génocidaires sont menées par des membres du comité Union et Progrès qui encadrent l'Organisation secrète et des tribus nomades kurdes.
Selon des procédés analogues et dans un même dessein, plus de 250 000 Syro-Chaldéens (ou Assyro-Chaldéens) sont tués sur l'ensemble du territoire turco-persan par les Turcs et les Hamidiyés.
3. La question de la reconnaissance du génocide arménien
Dès le 24 mai 1915, les Alliés considèrent les massacres perpétrés dans la région du lac de Van comme un crime commis « contre l'humanité et la civilisation ». Les dirigeants ottomans les plus impliqués dans le génocide fuient Istanbul le 1er novembre 1918, aussitôt après l'armistice qui reconnaît la défaite de l'Empire.
Une enquête menée par les autorités ottomanes établit leur responsabilité et la destruction des archives les plus compromettantes. En 1919, une cour martiale en charge des crimes contre les Arméniens les juge à Istanbul en leur absence. Les dirigeants les plus importants sont condamnés à mort par contumace. Certains d'entre eux (→ Talat Paşa) seront assassinés en Europe par des Arméniens dans le cadre de l'opération « Némésis ».
La République turque, créée en 1923, admet la déportation et les massacres des Arméniens, mais, niant leur planification, continue de récuser la qualification de « génocide ». Toutefois, de plus en plus d'intellectuels turcs commencent à demander la reconnaissance de ce génocide par l'État. Vingt-quatre pays, dont la France, ont reconnu le génocide.