police

(bas latin politia, du grec politeia, administration d'une ville)

Étymologiquement, le terme de police désigne l'art de gouverner la cité. Aujourd'hui, il recouvre deux concepts qui ont entre eux des rapports étroits : l'ensemble des prescriptions imposées aux citoyens en vue de la sauvegarde de l'ordre public ; l'ensemble des services chargés de faire respecter ces prescriptions.

La fonction de police est celle d'assumer la sécurité interne. Elle s'exerce ainsi à deux niveaux. D’une part, elle assure la régulation des disputes locales entre individus, qui peuvent être liées à des relations dégradées de voisinage, à des contentieux matrimoniaux, à des perturbations de la vie publique (circulation notamment) et, surtout, aux actes relevant de l'« atteinte à la sécurité des personnes et des biens » : meurtres, vols, destructions, etc. D’autre part, elle intervient dans les différends concernant des groupes, qui peuvent déboucher parfois sur des situations d'émeutes, d'insurrections, de révolutions.

La police répond à une fonction d'ordre : elle a la charge de faire respecter la « tranquillité publique », c'est-à-dire assurer la conformité des conduites aux normes établies, afin de garantir le bon fonctionnement de la société et sa cohésion.

L'action de la police consiste donc en sanctions qui vont du droit de surveillance à l'usage de la force. Si la fonction de police est universelle, elle ne renvoie pas à des pratiques et à des structures identiques dans le cours de l’histoire, ou encore en fonction du type de régime politique dans lequel elle s’inscrit.

Histoire de la police

L'histoire de la police est celle du lent passage d'une milice à un corps de fonctionnaires. En Grèce, on déléguait la tâche d'arbitrer les querelles individuelles à un corps d'esclaves scythes. À Rome, c'était à des esclaves gaulois qu'était dévolu le même rôle ; quant aux violences collectives (telles que les insurrections d’esclaves), c'était aux armées formées de citoyens romains qu'il revenait de les réprimer.

La force publique ne distingue pas alors les aspects privés et publics. Les esclaves sont une propriété privée. Cet aspect patrimonial se retrouve encore plus distinctement pendant le Moyen Âge. La sécurité intérieure est alors le privilège de ceux qui ont le droit de se battre : les chevaliers, regroupés autour d'un seigneur féodal. Propriétaire des terres, ce dernier est aussi responsable d'un ordre public qui se confond avec son ordre privé de châtelain. Il est assisté dans le nord de la France par un prévôt, et dans le Midi par un viguier. À partir du xie s., les villes tentent de se libérer de la domination du seigneur ; les bourgeois entreprennent de se protéger eux-mêmes en levant un guet, une compagnie d'arquebusiers, ou en faisant appel à des mercenaires. Lorsqu’éclate un soulèvement paysan ou une révolte d'artisans, ce sont les armées seigneuriales ou royales qui viennent à la rescousse des minorités commerçantes.

La première innovation dans le sens d’une « fonctionnarisation » est la constitution, en 1536, du corps de la maréchaussée. Avec leurs « procès-verbaux », les ancêtres de la gendarmerie disposent du pouvoir exorbitant de juger « sur le champ » – au sens littéral – les criminels de « grand chemin ». La première police fonctionnarisée de sécurité publique est née. Entre le xvie s. et la Révolution, l'institution s'organise peu à peu et finit par quadriller le territoire en disséminant des brigades de cinq hommes sur tous les axes de circulation. Parallèlement, l'administration centrale aborde un tournant : la création en 1667 de la fonction de lieutenant de police de Paris, dont la mission consiste à « assurer le repos du public et des particuliers, à purger la ville de ce qui peut causer les désordres », introduit la première différenciation entre la police et la justice. Les commissaires de police ne vont pas tarder à apparaître. Le mot « police » désigne désormais une institution liée au développement et à la consolidation du pouvoir politique dans les sociétés occidentales. Le Traité de police de Nicolas de La Mare, paru en 1722, mentionne douze domaines d'intervention, qui regroupent en fait l'ensemble de l'action de l'État : « la religion, la moralité, la santé, les approvisionnements, les routes et les ponts et chaussées, les édifices publics, la sécurité publique, les arts libéraux, le commerce, les fabriques, les domestiques, les pauvres ». Une formule résume bien la nature de cette situation : « Avant que la police ne prenne une forme administrative, c'est l'administration qui est policière. »

Avec la Révolution française, une « force publique » destinée à assurer la protection des personnes et des biens se met en place. La gendarmerie naît en 1791 de la réorganisation de la maréchaussée. Le Code de brumaire an IV retient une définition restrictive de la police : « La police est instituée pour maintenir l'ordre public, la liberté, la propriété, la sûreté individuelle. » La loi du 12 messidor an VIII distingue la police générale (passeports, mendicité, attroupements, cultes) de la police municipale (petite voirie, salubrité, incendies). Autrement dit, la police napoléonienne se dissocie des actions étatiques qui ne renvoient pas expressément à un encadrement policier et des activités de la police locale, qui sont du ressort de la simple gestion administrative des affaires urbaines. Un ensemble déterminé de domaines se dégage qui recouvre directement des problèmes d'ordre public. Et ces domaines relèvent des nouveaux personnels spécialisés de la police, qui s'en chargeront soit dans un sens de contrôle social (la prévention), soit dans un sens coercitif (la répression).

Si une police militaire dépendante des instances centrales se constitue avec la gendarmerie, d'autres formations de police perdurent au xixe s. Les milices bourgeoises, dont la dernière variante fut la Garde nationale, créée en 1789, se prolongent jusqu'en 1872. Le pouvoir politique renonce alors aux milices : en leur sein s'étaient manifestées de trop fréquentes mutineries de la part des sections les plus « populaires ». Quant aux municipalités, elles conserveront une relative autonomie sous l'autorité du maire, tout en déléguant la fonction de police à des « gardiens de la paix » recrutés localement.

Dans ce contexte, Paris connaît un statut particulier. Un corps de « sergents de ville », au nombre de 7 000, se met en place sous le Second Empire (1852-1870) : ils deviendront des gardiens de la paix avec l'avènement de la démocratie parlementaire dans le dernier quart du xixe s. Ils compteront alors 15 000 hommes, que le préfet de police Louis Lépine (en poste de 1893 à 1913) tentera de populariser en leur distribuant le bâton blanc de circulation et en créant les brigades cyclistes et fluviales.

Avant 1940, la police d'État est donc encore faible, puisque les agents de la force publique sont recrutés et payés par les communes et les départements. Même le commissaire de police demeure sous la tutelle d'un patron qui n'est autre que le maire. Mais, après Lyon (1851), Marseille (1908), Toulon et La Seyne (1918), une étatisation de vaste envergure rattache la plupart des polices communales de la banlieue parisienne au statut de fonctionnaire d'État. Il faut attendre cependant une loi de 1941 pour que les polices municipales soient étatisées.

Ce processus aboutit à la fusion en 1966 de tous les services de police (à l’exception des polices municipales), qui sont placés sous l'autorité de la direction générale de la police nationale (D.G.P.N.).

L’organisation de la police en France

Les domaines de compétence

La police est une forme d'action publique qui, en vertu de la séparation des pouvoirs, comprend deux domaines :
- d'une part, la police administrative, recouvrant la police administrative générale – confiée au Premier ministre, au préfet et au maire pour assurer le bon ordre, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques – et les polices administratives spéciales, qui réglementent certaines activités (par exemple, police des chemins de fer, police de l'eau, police des installations classées) ;
- d'autre part, la police judiciaire, qui est placée sous l'autorité du ministère public et est chargée de déférer les auteurs d'infractions devant les juridictions compétentes.

D'un point de vue organique, le terme « police » correspond à l'appellation donnée à une force de police à statut civil (à la différence de la gendarmerie). La police nationale, placée sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, a la responsabilité de la sécurité publique dans les communes de plus de 20 000 habitants (5 % du territoire où vit la moitié de la population). Elle a une compétence nationale en matière de police judiciaire. En 2008, ses effectifs s’élèvent à environ 130 000 policiers.

La D.G.P.N.

La direction générale de la police nationale (D.G.P.N.) comprend plusieurs directions :
- la direction centrale de la sécurité publique (400 circonscriptions de sécurité publique) ;
- la direction centrale de la police judiciaire (offices centraux de police judiciaire, directions interrégionales de police judiciaire regroupant plusieurs services régionaux de police judiciaires [S.R.P.J.]), police technique et scientifique) ;
- la direction centrale des renseignements généraux (renseignement économique et social, suivi de l'opinion, suivi des violences urbaines et des phénomènes d'économie souterraine, etc.) ;
- la direction de la surveillance du territoire (contre-espionnage et lutte antiterroriste) ;
- la direction centrale de la police aux frontières (lutte contre l'immigration irrégulière) ;
- la direction centrale des C.R.S. (maintien de l'ordre public).

La D.G.P.N. comprend en outre des services spécialisés, comme le service de protection des hautes personnalités (S.P.H.P.), le service de recherche, assistance, intervention et dissuasion (R.A.I.D.) ou le service de coopération technique internationale de police (S.C.T.I.P.).

À Paris, les forces de la police nationale sont placées sous l'autorité du préfet de police.

Les polices municipales

À côté des forces de l’ordre nationale, il existe aussi des polices municipales, qui exercent leur mission au niveau de la commune et dépendent du maire. Axé sur des missions de police de proximité (stationnement, sécurité aux abords des écoles, police des marchés, patrouilles dans les lieux publics, etc.), leur rôle s’est accru dans les années 1990. En 1999, elles sont dotées d’un véritable statut législatif (loi du 15 avril 1999 relative aux polices municipales) qui en fait une véritable troisième force de police. Leur mission principale est d’exécuter les tâches relevant de la compétence du maire en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques. En qualité d’agent de police judiciaire, le policier municipal peut verbaliser certaines infractions (notamment certaines contraventions au Code de la route ou encore des infractions en matière de lutte contre les nuisances sonores). Enfin, il dispose d’un pouvoir de constatation des infractions et d’arrestation en cas de flagrant délit.

Structures policières et régimes politiques

Les fonctions de police changent radicalement selon que l'on est en présence d'un régime dictatorial ou d'un régime démocratique.

Dans les États démocratiques, la police est soumise au droit, lui-même issu de la volonté populaire. L'action de la police est donc à la fois légitime et légale. La formation des personnels des polices des sociétés démocratiques est cruciale. On enseigne au nouvel engagé non seulement un métier, une façon de faire, qui comprend la connaissance du droit et la manipulation des techniques, mais, avant tout, une éthique. Le suspect est un citoyen. Cette déontologie s'apprend au contact des anciens. Mais le niveau d'études augmente lui aussi, lié au mouvement global de prolongement de la formation culturelle. L'action de la police est en effet soumise à des rapports de force : c'est dans la mesure où la presse ne peut être muselée par la police que cette dernière craint les scandales et, de ce fait, se met elle-même en perspective ; c'est aussi du fait de la séparation des pouvoirs et de la division du travail que les divers éléments du puzzle répressif s'équilibrent les uns les autres. S'il n'y a pas vraiment une guerre des polices, il existe une interdépendance entre la justice et la police, mais aussi entre la police nationale et la gendarmerie, entre la police nationale, la gendarmerie et les polices municipales, entre les C.R.S. et la gendarmerie mobile, entre le G.I.G.N. et le R.A.I.D., etc. L'ordre policier est ainsi la résultante d'un système de pressions réciproques.

Dans les sociétés totalitaires, l'État est dit policier dans la mesure où le pouvoir politique doit son existence à des organisations spéciales et, notamment, à une police politique totalement solidaire du régime en place (Gestapo en Allemagne sous le IIIe Reich, Guépéou dans l’U.R.S.S. de Staline). Ce qui distingue les États totalitaires des démocraties réside ainsi dans la toute-puissance des dirigeants de la police, qui se manifeste aussi bien sur la population que sur les agents de l'État. La concentration du pouvoir policier entre les mêmes mains au nom d'une division purement technique du travail répressif aboutit à un régime d'ordre qui se veut absolu. Dès lors, tous les moyens sont bons : rafles ou enlèvements, tortures, relégation économique, déportation des membres de la famille, incarcération à vie… La peur quotidienne fait écho à la disparition de toute protection juridique. Par contraste, les polices démocratiques, qui opèrent sous contrôle de la justice, sont maintenues dans un univers de règles par des élus qui craignent le verdict des urnes et, plus fondamentalement, dans une tradition de droits naturels et de libertés publiques.

Ordre et police

Les agents spécialisés dans les fonctions de remise en ordre s'insèrent dans un univers mental où l'ordre devient une donnée culturelle. Être un membre de la police, c'est être peu à peu converti à une représentation de l'ordre constitutive d'une réalité faite de confrontations permanentes avec les « perturbateurs », et qui suppose discipline et obéissance aux chefs. Mais les policiers protègent l'ordre en se protégeant aussi à l'intérieur d'une corporation qui rassemble une myriade de communautés de base : l'équipe de patrouille du brigadier, l'escadron de gendarmerie mobile, la section de police judiciaire servent de lieu de sociabilité face à un monde globalement hostile. Les forces de police, si elles n'ont pas à assumer le risque de mort avec autant d'intensité que les militaires, n'en sont pas moins confrontées quotidiennement aux violences sociales qu'elles doivent gérer. D'où l'importance des représentations symboliques tendant à protéger un ordre mental qui permet de tenir et de ne pas défaillir. L'uniforme n'est que l'un des symboles d'unification, à côté des grades, des ordres formels, de l'organisation rigide de l'emploi du temps. L'ordre correspond, dans l'espace culturel des policiers, à une production de force hautement fonctionnelle, puisqu'ils se doivent d'être plus forts que les individus ou groupes « violents ». C'est à ce prix qu'ils peuvent satisfaire à deux impératifs opposés, dont le respect est nécessaire à l'équilibre d'une nation moderne et démocratique : le maintien de l'ordre public et la garantie des libertés individuelles. Que le fléau de la balance penche dangereusement vers l'un ou l'autre : il se produit un déséquilibre hautement préjudiciable au bon fonctionnement de l'État. Le policier a pour mission essentielle la conservation de cet équilibre, toujours précaire.

Voir plus