momie
(latin médiéval mummia, de l'arabe mūmiya, masse résineuse)
Cadavre conservé au moyen de matières balsamiques ou de l'embaumement.
La momification est un procédé qui consiste à embaumer les cadavres pour les préserver de la putréfaction. Son nom vient d'un terme arabe, mūmiyya, dérivé de mūm qui désignait la cire et, d'une façon générale, toutes les substances balsamiques que l'on utilisait autrefois pour les embaumements.
Très répandu dans les sociétés de l'Antiquité, ce rite a des origines essentiellement religieuses. Pour ces peuples, en effet, la mort ne représentait pas une rupture, mais un prolongement mystérieux de la vie réelle, se poursuivant dans la tombe ou dans un au-delà jusqu'alors inaccessible. Le corps devait donc être préservé afin qu'il continue à servir de support à l'âme du défunt, et c'est la volonté d'assurer sa pérennité qui entraîna le développement des techniques de momification.
Les momies égyptiennes
La momification dans l’Égypte ancienne
C'est en Égypte que la momification fut le plus constamment pratiquée avec des procédés techniques d'une rare perfection.
Dès la période prédynastique, au milieu du IVe millénaire, les Égyptiens observent que le sable du désert a la propriété de conserver en partie les corps qui y sont inhumés. Des fragments de bitume (matière minérale naturelle, riche en carbone et en hydrogène) recueillis auprès de certains squelettes datant de cette époque semblent prouver que l'on a alors voulu tirer parti de cette momification naturelle. Pendant la période thinite (vers 3100-2750 avant J.-C.), on imprègne de natron (carbonate de sodium hydraté naturel) ou de résine le linceul dans lequel le corps est enveloppé. Au cours des quinze siècles suivants (Ancien et Moyen Empire), les techniques de momification deviennent de plus en plus élaborées, pour atteindre une quasi-perfection au Nouvel Empire (xvie au xie s. avant J.-C.). Puis l'embaumement, jusqu'alors réservé au roi et à ses courtisans, devient une pratique courante, dont l'usage s’est maintenu jusqu'à l'époque chrétienne.
Les techniques d'embaumement utilisées en Égypte sont décrites par plusieurs auteurs, et notamment par l’historien Hérodote (ve s. avant J.-C.). Il semble que seules les méthodes de momification réservées aux riches aient été réellement efficaces.
Les étapes de momification
On commence par extraire du corps tous les éléments putrescibles : le cerveau grâce à un crochet introduit dans les narines, les viscères par une incision pratiquée sur le flanc. Ventre et viscères sont lavés avec du vin de palme ; le corps est alors rempli avec de la myrrhe, de la gomme de cèdre, de la cannelle et diverses plantes aromatiques, à l'exception de l'encens qui est réservé aux dieux. Chaque viscère (foie, estomac, intestin, poumons) est placé dans un vase à couvercle, orné d'une tête d'homme ou d'animal et appelé vase canope. Quant au corps, il est plongé dans un bain de natron, où il macère pendant 70 jours. Il est ensuite lavé puis entouré de longues bandelettes de lin imprégnées de gomme arabique et entre lesquelles on insère de nombreuses amulettes. On l'enveloppe pour finir dans des linceuls avant de le déposer dans un sarcophage de bois, de pierre ou de métal précieux, selon les époques et le rang du défunt. Toutes ces opérations, accompagnées par des lectures de textes rituels, sont effectuées par des prêtres spécialisés : coupeur, embaumeur, responsable des bandelettes.
Ce rituel est censé reproduire l'embaumement originel du « dieu civilisateur » Osiris, démembré et mutilé par Seth : Isis, épouse d'Osiris, avait rassemblé les membres du dieu ; Thot et Anubis avaient embaumé son corps et l'avaient enveloppé de bandelettes. Ainsi, le mort, momifié, s'identifie-t-il à Osiris qui lui assure la vie éternelle.
Les Égyptiens ne momifiaient pas seulement les hommes, mais aussi de nombreux animaux, généralement sacrés (taureaux, crocodiles, chiens, chats, bœufs), et l'on a retrouvé quelques-unes des nécropoles dans lesquelles ils les inhumaient.
Une des plus spectaculaires nécropoles égyptiennes a été mise au jour en 1999 dans les sables de l'oasis de Bahriya, à 380 km au sud du Caire, dans le désert occidental égyptien : plus de 200 momies datant de la période gréco-romaine (332 ans avant J.-C.), bien conservées, dont certaines été recouvertes d'or, ont été retrouvées alignées et empilées les unes sur les autres. Les archéologues estiment à 6 km2 la surface totale de la nécropole, baptisée « Vallée des momies ». Recouvertes d'un cartonnage fait d'un mélange de plâtre et de lin sur lequel figurent des divinités égyptiennes, certaines dépouilles avaient été placées dans des sarcophages en terre cuite où une représentation humaine avait été dessinée. Les archéologues estiment que les fouilles de l'oasis de Bahariya, qui doivent durer plusieurs années, devraient permettre d'exhumer au total plusieurs milliers de momies. Si ces prévisions se confirment, il s'agirait bien de la plus importante nécropole d'Égypte.
Les momies précolombiennes
La momification a été pratiquée dans de nombreuses régions du continent américain, notamment au Pérou. Les corps que l'on a découverts sont en général repliés en position fœtale. Le mort est revêtu de ses bijoux et de ses plus beaux vêtements, ou soigneusement lié et enveloppé d'étoffes. On a retrouvé, à Chanchán vers la côte septentrionale et à Pachacámac sur la côte sud, de vastes nécropoles constituées par des constructions en brique, où étaient ensevelis les corps momifiés. Ces momies pouvaient aussi être placées dans des dolmens, dans des tours funéraires appelées chullpas ou encore dans des grottes d'accès souvent difficile. C'est le cas, en particulier, des momies de la région de Chachapoyas. Elles sont disposées sur un trépied et enfermées dans une carcasse conique, faite de plâtre et de poils d'animaux agglomérés. L'ensemble est ensuite coiffé par une tête grossièrement façonnée et recouverte de peinture rouge.
Les momies des Incas, exposées dans le temple du Soleil de Cuzco, étaient assises sur des sièges d'or et, si l'on en croit les chroniqueurs, les traits de leur visage étaient remarquablement conservés.
La momification du corps du souverain, l'Inca, requérait les plus grands soins. On retirait d'abord les viscères par une incision abdominale puis on coulait par la bouche du mort un mélange de baume de tolu, de baume du Pérou et d'essence de chonopadium. Des gousses de taro, qui servent encore au tannage, étaient introduites dans le corps par incision abdominale. Le cadavre était alors desséché dans des étuves ou au soleil, avant d'être mis dans la position fœtale et revêtu des habits royaux.
Des rites de momification ont aussi été observés dans d'autres parties de l'Amérique du Sud, en Colombie, sur le golfe de Darién, en Bolivie et au Chili (où se sont répandues les cultures préincasiques du Pérou), chez certaines tribus amazoniennes.
En 2000, trois momies incas dans un état de conservation remarquable ont été découvertes en Argentine, sur les pentes enneigées du volcan Llullaillaco (6 739 m), l'un des plus hauts sommets de la cordillère des Andes. Les corps, qui sont ceux de trois enfants âgés de huit à quinze ans, reposaient depuis cinq siècles sous 1,50 m de pierres, au milieu de statuettes, vaisselle, chiffons et objets de toile. Les enfants avaient apparemment été mis à mort au cours d'un rite sacrificiel puis immédiatement congelés. Le décès de l'un des enfants avait été provoqué par l'absorption d'herbes narcotiques. Un examen au scanner a montré que tous les organes étaient intacts et que du sang était encore détectable dans le cœur et les poumons. L'étude des corps, remarquablement conservés par le froid, l'absence d'humidité et le manque d'oxygène qui ont permis de préserver les cadavres des bactéries, devrait pouvoir apporter de précieuses informations sur la pratique des meurtres rituels dans l'Empire inca, qui s'étendait jusque dans ces régions reculées de l'Argentine.
En Amérique du Nord, la momification est plutôt rare. Elle fut cependant en usage chez les Aléoutes et les Esquimaux, ainsi que dans certaines tribus de Floride, de Virginie, de Caroline du Nord, du Kentucky et chez les Baskets Makers de l'Arizona et du Nouveau-Mexique.
Les momies dans les autres régions du monde
Les momies asiatiques
La momification ne fut guère pratiquée en Asie où dominaient des religions (bouddhisme, brahmanisme) qui préconisent l'incinération des morts. En Chine, cependant, l'ancienne religion, fondée sur le culte des ancêtres, recommandait d'exposer le corps dans un temple pendant plusieurs années. On procédait à l'éviscération et le corps était rempli d'étoupe imbibée de camphre, de sel et de poudre de bois de santal. Ainsi préparé il était alors posé sur le cercueil en position dhyana, jambes fléchies sous le tronc. Au Laos, afin de conserver le corps le plus longtemps possible avant de l'incinérer, on y injectait par la bouche du mercure qui desséchait les tissus internes. Le cadavre était ensuite étendu sur une couche de cire fondue et de cendres.
Une coutume rare en Afrique et en Europe
En Afrique, on retrouve des exemples de momification dans de nombreuses régions, où cette coutume était en général réservée aux chefs. De même, les Guanches des Canaries ont eu largement recours à ce rite funéraire ; ils procédaient à l'ablation des intestins, et les momies, appelées xaxos, étaient revêtues de bandelettes de lin avant d'être exposées dans des grottes dont l'accès difficile assurait leur protection.
En Europe, enfin, la momification ne fut guère employée et si les Romains l'ont pratiquée, sans doute sous l'influence des Égyptiens, ce ne fut jamais de façon systématique. Les Gaulois conservaient parfois dans de l'huile de cèdre la tête de leurs ennemis et une momie d'enfant a été retrouvée près de Riom au xviiie s. ; mais il ne s'agit là que de cas exceptionnels. Avec le christianisme, la momification demeure le privilège des personnages de marque. Ainsi dans la Chanson de Roland, on lit que les corps des preux étaient conservés dans des peaux de cerf après avoir été frottés de piment et de vin. De même, plusieurs corps de rois ou de princes ont été embaumés : Henri Ier d'Angleterre, Philippe le Hardi, Louis XIV.