Tchétchénie
République de Russie, située sur le versant nord et au centre-est de la chaîne du Grand Caucase.
- Superficie : 16 600 km2
- Population : 1 269 095 hab. (recensement de 2010)
- Capitale : Groznyï
Une terre caucasienne
Le caractère montagneux du pays dont la frontière méridionale suit la ligne de crête du Grand Caucase à plus de 4 000 m (point culminant : 4 493 m) prédomine, mais le pays s'ouvre aussi au nord sur les plaines de la steppe semi-désertique nogay et à l'ouest sur les vallées agricoles du Terek et de son affluent, la Sounja, dont le tributaire, l'Argoun, constitue le cours d'eau principal du pays. D'où une certaine variété de climats (à dominante continentale), de sols et de couverture végétale ainsi que de paysages – de la steppe sablonneuse ou herbeuse aux forêts de chênes ou de conifères et aux alpages selon l'altitude.
Outre une agriculture (céréales, vergers, élevage) et un artisanat (tissage, dinanderie, armurerie) traditionnels, le secteur pétrolier et gazier, centré autour des gisements de Groznyï (1,8 % du pétrole et 0,6 % du gaz russes, évacués par des tubes vers la Caspienne par Makhatchkala ou vers la mer Noire par Touapse), représentait l'essentiel des ressources du pays, avant les guerres russo-tchétchènes des années 1994-1996 et 1999-2008. Le passage par la Tchétchénie d'une des voies de transit du pétrole de la Caspienne en fait une zone stratégique. La Russie met fin à la guerre en 2008. Le conflit de 1999-2008 a fait 100 000 victimes.
Les Tchétchènes constituent la majorité de la population qui comprend aussi une minorité d'Ingouches (au S.-O.) avec lesquels ils partagent un islam sunnite récent (xviiie s.), encadré par des confréries soufies, et une langue de la famille paléo-caucasique (groupe nakh), ainsi que divers peuples du Caucase et des Russes arrivés aux diverses étapes de la conquête et concentrés surtout à Groznyï.
Une longue tradition d'insoumission
Les ancêtres des Tchétchènes, les Gargares, font partie du puissant royaume de l'Albanie du Caucase contre lequel Pompée fit campagne. Retranchés dans les aouls, les villages fortifiés des hauteurs inviolables, lors des vagues successives d'invasion des peuples de la steppe – Huns, Khazars, Mongols, Tatars, etc. –, les Tchétchènes n'ont jamais été réellement soumis. Mais c'est surtout face aux Russes et aux colons cosaques, dont la pénétration commencée au milieu du xvie s. s'accentue à la fin du xviiie s., qu'ils font la démonstration de leur capacité de résistance. Au terme d'une implacable guerre coloniale d'un demi-siècle, de 1817 à 1859, leur pays est conquis. La forteresse russe de Groznyï (« la Féroce »), future capitale du pays, est fondée en 1818. Mais la conquête militaire du Caucase du Nord n'est entreprise qu'une fois l'annexion du Sud achevée. Les Tchétchènes participent activement à la lutte des montagnards, sous la bannière de l'islam et la conduite de l'imam Chamil, un chef charismatique avar, originaire du Daguestan, s'appuyant sur le réseau soufi de la Naqchbandiyya. Sa reddition en 1859 et la fin de la guerre sont suivies de massacres, de déportations et de l'exil forcé et massif vers l'Empire ottoman où les Tchétchènes, comme d'autres peuples montagnards du Caucase, sont souvent utilisés à des postes militaires (on trouve encore aujourd'hui leurs descendants dans ce type de fonctions, comme c'est le cas avec la Garde du roi de Jordanie). Sous les tsars, des révoltes ont encore lieu en 1877, lors de la guerre russo-turque. La « guerre du Caucase » a nourri l'imaginaire des romantiques russes (Pouchkine, Lermontov, Tolstoï) pour lesquels la résistance des montagnards devient l'incarnation de l'amour absolu de la liberté. Le Caucase d'Alexandre Dumas accorde aussi une large place au combat de Chamil et de ses compagnons.
À la fin du xixe s., l'exploitation des gisements pétroliers de Groznyï crée un pôle industriel d'importance régionale qui profite moins aux populations locales qu'aux colons russes.
De l'indépendance à la soviétisation
L'effondrement de l'empire tsariste en 1917 donne un nouveau souffle aux aspirations autonomistes (révolution russe de 1917). Les Tchétchènes participent à l'éphémère République de la Montagne, confédération des peuples du Caucase du Nord, qui proclame son indépendance en avril 1918 à Batoumi et se heurte à l'hostilité des armées blanches comme des bolcheviks, avant d'être soviétisée par l'Armée rouge au cours de l'hiver 1920-1921. Leur territoire est constitué en Région autonome (R.A.) en 1921, réuni à l'Ingouchie en 1934, et organisé en république autonome biethnique en 1936. À la fin des années 1920, des persécutions religieuses et la répression massive qui accompagne la collectivisation forcée entraînent une série de révoltes contre le régime. Le mouvement prend de l'ampleur au début de la Seconde Guerre mondiale, surtout après l'attaque allemande contre l'URSS et la poussée des troupes du Reich jusqu'au Caucase. Et en février 1944, les Tchétchènes, avec les Ingouches, font partie des « peuples punis » que Staline décide de déporter dans leur totalité en Asie centrale, au prétexte d'une collaboration présumée avec les Allemands. À la destruction physique (un tiers des déportés ont péri durant le transfert) s'ajoutent celle de la mémoire collective (archives, monuments) et la suppression de la république tchétchéno-ingouche. Les Tchétchènes ne sont réhabilités et autorisés à revenir dans leur république rétablie qu'en 1957. Le « dégel » post-stalinien permet la reconstitution d'une élite et son insertion dans le tissu économique et social soviétique, même si l'importante minorité slave occupe souvent les emplois les plus qualifiés au niveau local.
La nouvelle guerre du Caucase
Le premier conflit russo-tchétchène (1994-1996)
La perestroïka a trouvé, un peu comme en 1917, les Tchétchènes divisés en un camp « prorusse » et un camp indépendantiste, selon une ligne de partage à la fois géographique (montagne rurale contre plaine plus industrialisée) et clanique. En 1989, alors qu'une Confédération des peuples montagnards tente de se reconstituer, Moscou désigne pour la première fois un Tchétchène prorusse, Dokou Zavkaïev, au poste de Premier secrétaire du parti communiste local. Ce dernier doit bientôt s'effacer devant le chef de file du mouvement sécessionniste, le général d'aviation Djokhar Doudaïev, qui proclame l'indépendance de la République tchétchène d'Itchkérie en novembre 1991, alors que l'URSS est en cours de disparition, et instaure un régime autoritaire. La partition avec l'Ingouchie (janvier 1992) est officiellement entérinée en décembre de la même année. Après avoir tenté plusieurs fois de renverser D. Doudaïev, en appuyant ses opposants, le président Boris Ieltsine opte pour l'intervention militaire, le 11 décembre 1994, escomptant une victoire rapide. Mais la guerre, qui dure deux ans et demi, s'achève par une humiliante défaite des forces fédérales, non sans d'importantes pertes civiles (plus de 4 000 soldats russes, 2 000 combattants tchétchènes, 35 000 victimes civiles et quelque 500 000 réfugiés) et d'énormes destructions, notamment dans la capitale bombardée.
Ni guerre ni paix
Sous la pression des indépendantistes, qui ont recours aux prises d'otages (Boudionnovsk, en 1995, et Kizliar, au Daguestan, en 1996) afin d'obtenir le retrait des troupes fédérales – leur principale revendication –, le général russe Lebed et le chef de la résistance tchétchène Aslan Maskhadov signent un accord de cessez-le-feu le 31 août 1996. Par l'accord de Khassaviourt, la définition du statut de la république est reportée de cinq ans, tandis que Moscou s'engage à retirer ses troupes, à aider à la reconstruction et à laisser organiser des élections libres. De fait, ni la Russie ni les indépendantistes tchétchènes ne misent sur une quelconque application de l'accord de Khassaviourt : humiliée par sa défaite, l'armée russe rêve d'une revanche ; ni l'aide à la reconstruction ni les pourparlers sur le statut de la république ne voient jamais le jour. Le 27 janvier 1997, le candidat indépendantiste modéré Aslan Maskhadov, successeur de Doudaïev mort dans un attentat (avril 1996), est élu président de la République face au chef de guerre islamiste Chamil Bassaïev. À la tête d'un pays exsangue et désorganisé, en proie à une grave crise économique et sociale, à des dérives mafieuses et à une agitation intégriste (nourrie par des volontaires wahhabites venus d'Afghanistan et du Proche-Orient à partir de 1995-1996), Maskhadov ne parvient pas à contrôler les autres chefs militaires, offrant ainsi à Moscou l'opportunité de la revanche.
La reprise du conflit (octobre 1999)
À l'automne 1999, prétextant des attentats en Russie et des incursions au Daguestan voisin, attribués aux islamistes, Moscou lance une nouvelle campagne armée. Le 1er octobre, Vladimir Poutine, Premier ministre de la Fédération de Russie depuis le 9 août, déclare ne plus reconnaître la légitimité du président Maskhadov. Le même jour, les troupes russes pénètrent en Tchétchénie et « libèrent » en deux semaines le tiers du territoire. Les combats font des milliers de victimes parmi les civils tchétchènes et provoquent le départ massif de réfugiés (environ 250 000) vers les républiques voisines. Après de violents bombardements, Groznyï tombe le 1er février 2000. Achevées dans la capitale et les plaines, les grandes opérations militaires se poursuivent dans les régions montagneuses. Les attentats se multiplient contre l'armée russe en Tchétchénie et touchent sporadiquement le territoire russe (prise d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou, en octobre 2002, attentats suicides). La République tchétchène devient la cible d'opérations de « nettoyage » visant à rechercher les « terroristes » parmi la population civile (camps de filtration). Cette politique de maintien de l'ordre, menée tant par les forces fédérales que par les milices locales du gouvernement tchétchène prorusse, s'accompagne de nombreuses exactions à l'encontre des civils – pillages, arrestations arbitraires, disparitions, tortures, exécutions sommaires –, qui font quelque 70 000 victimes.
La tchétchénisation du conflit
À partir du printemps 2003, les autorités russes annoncent une « normalisation » de la situation. Celle-ci se traduit par la tenue, en Tchétchénie, d'un référendum portant sur l'adoption d'une nouvelle Constitution garantissant le maintien de la République au sein de la Fédération de Russie et par l'élection, le 5 octobre 2003, du chef de l'administration prorusse, Akhmad Kadyrov, à la présidence. Qualifiés de « mascarades électorales » par le président indépendantiste Maskhadov et de nombreuses associations de défense des droits de l'homme, ces deux scrutins tendent à prouver, selon le Kremlin, que la question tchétchène est un « problème presque résolu ». Pourtant, le 9 mai 2004, Kadyrov est tué lors d'un attentat à la bombe revendiqué plus tard par Bassaïev ; le 21 juin, le bâtiment du ministère de l'Intérieur de la République russe d'Ingouchie est pris d'assaut par un commando tchétchène (92 morts) ; le 1er septembre, une prise d'otages dans une école de Beslan, en Ossétie du Nord, fait, selon un bilan officiel, 338 morts, dont plus de la moitié sont des enfants. Survenue le 8 mars 2005 dans des circonstances non élucidées (assassinat au cours d'une opération spéciale des services secrets russes, mort accidentelle ou sur ordre préalable donné à l'un de ses gardes du corps ?), la mort du chef modéré des indépendantistes, Maskhadov, après cinq années de traque par les forces russes, constitue un tournant dans le conflit.
La disparition de Maskhadov éloigne toute perspective de réglement négocié et laisse le champ libre à la rébellion radicale tchétchène. Toutefois, la guérilla est fortement affaiblie après la mort, en 2006, de ses deux principaux leaders : le successeur de Maskhadov, le cheikh Abdoul-Khalim Sadoulaïev, est assassiné lors d'une opération spéciale menée par les milices tchétchènes prorusses et le FSB le 17 juin ; le 9 juillet, Bassaïev est tué en Ingouchie. Le vice-président Dokou Oumarov (un proche de la mouvance radicale islamiste du chef de guerre Bassaïev) devient le nouveau président des Tchétchènes indépendantistes. Il est désormais le seul rescapé des chefs de guerre de la première guerre russo-tchétchène. L'élimination des principaux symboles de la rébellion tchétchène entraîne un recul de la guérilla, mais elle ne met pas fin aux affrontements. En voyant progressivement disparaître ses cadres référents, la nouvelle génération de volontaires évolue vers de nouvelles formes d'actions menées au sein de petits groupes autonomes.
La « normalisation », vantée par le Kremlin, se poursuit autour du nouvel homme fort de la République, Ramzan Kadyrov, le jeune fils du président assassiné en 2004. Chef des services de sécurité durant la présidence de son père, R. Kadyrov entreprend, avec le soutien de Poutine, une ascension politique fulgurante. Premier ministre entre novembre 2005 et mars 2007 (d'abord par intérim puis officiellement à partir de février 2006), il accède à la présidence de la République tchétchène, le 2 mars 2007, après la démission d'Alou Alkhanov. Symbole d'une certaine « renaissance » de la Tchétchénie qui a entrepris un vaste programme de reconstruction de ses infrastructures (principalement à Groznyï), R. Kadyrov est aussi celui qui, au prix de milliers de disparitions et d'assassinats menés par ses milices, parvient à réduire la rébellion tchétchène (des combattants, sont exterminés, d'autres lui font allégeance ou poursuivent leur combat dans les républiques caucasiennes voisines, au Daguestan, en Ingouchie ou en Kabardino-Balkarie) ou toute voix susceptible de dénoncer ses exactions : le 7 octobre 2006, la journaliste russe Anna Politkovskaïa, une des figures de la défense des droits de l'homme, est assassinée à Moscou. Depuis l'annonce par la Russie de la fin de « l'opération antiterroriste » en avril 2009, R. Kadyrov a reçu carte blanche du Kremlin pour gérer son fief en s'appuyant sur des hommes de main et les centres de torture qu'il contrôle personnellement. Les enlèvements se multiplient ; le 15 juillet, Natalia Estemirova, la représentante de Memorial, l'association russe de défense des droits de l'homme, est tuée par balles après avoir été enlevée près de son domicile de Groznyï. Le 11 août, Zarema Sadoulaïeva et son mari, Alik Djabrailov, animateurs d'une association pour la réinsertion d'enfants invalides, sont retrouvés assassinés dans le coffre de leur voiture à Groznyï. Un double attentat survenu dans le métro moscovite en mars 2010 et revendiqué par l'émir Dokou Oumarov, signe l'échec de la politique du Kremlin dans le Caucase-Nord.