Vie des médias
Télévision : contrats en or et explosion numérique
Certes, lors de sa publication en novembre 1995, le rapport du député UDF Alain Griotteray sur le chiffre d'affaires des sociétés dirigées par les animateurs-producteurs de France 2 provoqua des remous. Ces derniers ne laissaient toutefois pas présager la tourmente qui, six mois plus tard, emporta Jean-Pierre Elkabbach. Le rapport révélait que France Télévision avait versé plus de un milliard de francs en deux ans aux sociétés privées de Jean-Luc Delarue, Nagui, Arthur, Mireille Dumas, Michel Drucker et Jacques Martin, soit cinq fois plus que les sommes octroyées aux coproductions d'œuvres cinématographiques. Si la minute de reportage pour un journal télévisé est estimée à 5 000 F, une minute de « Ça se discute », l'émission de Jean-Luc Delarue, revenait à 13 300 F. En fait, le rapport mettait en lumière une utilisation dispendieuse des fonds semi-publics et ouvrait une véritable guerre entre, d'un côté, les animateurs-producteurs, le personnel de France Télévision et le gouvernement, et, de l'autre, Jean-Pierre Elkabbach, qui commit de nombreuses erreurs dans la gestion de cette crise.
Attaquant bille en tête Jean-Luc Delarue et sa société Réservoir Prod, le P-DG de France Télévision récolta camouflet sur camouflet. D'abord, la justice accorda à Delarue la lecture à l'antenne d'un droit de réponse puis, l'animateur-producteur admettant un bénéfice de 34 millions de francs sur un chiffre d'affaires de 162 millions – soit une marge nette de 21 % avant impôt –, donna la mesure de la surévaluation des coûts de « Ça se discute ». On apprit bientôt qu'il en était de même pour « Bas les masques » ou « Les enfants de la télé », produits et présentés, respectivement, par Mireille Dumas et Arthur.
En mai, le scandale ne fit qu'enfler, chaque jour apportant son lot de révélations (contrats rédigés en dépit du bon sens sur papier libre, par un cabinet comptable ami, prêts sans intérêt consentis aux animateurs afin qu'ils montent leurs entreprises, comptes non déposés au tribunal de commerce, aucune clause en cas de chute d'audience, etc.) et chaque soir de nouvelles moqueries des Guignols de l'info sur Canal +, qualifiant Delarue, Nagui et Arthur de « voleurs de patates ».
Le 20 mai, dans son bras de fer avec Delarue, Elkabbach fut débouté de sa demande d'audit, le président du tribunal de commerce affirmant « n'avoir jamais vu de sa vie des contrats pareils » et ajoutant que « le demandeur, qui affirme remplir une mission de service public, aurait dû s'entourer du minimum de garanties afin de s'assurer de l'équilibre économique des contrats ». Face au CSA, le P-DG promit alors de « réformer le système » puis sacrifia ses proches lieutenants, Patrick Clément et Louis Bériot, enfin, il jura de renouveler la direction de France 2, gestes interprétés comme une trahison par les salariés de la chaîne qui, le 29 mai, votèrent une motion de défiance à son égard.
Deux jours plus tard, Elkabbach démissionnait tout en défendant son bilan financier (effectivement positif face à TF1) et culturel (entre 93 et 96, les investissements de France 2 dans la fiction ont augmenté de 80 %). Il reconnut toutefois des erreurs, « en particulier sur les animateurs-producteurs, qui incarnent tellement les contradictions et ambiguïtés du système ».
Quelques semaines plus tard, Xavier Gouyou Beauchamps, nommé P-DG de France Télévision, annonçait « une nouvelle politique à l'égard des animateurs-producteurs », les départs de Mireille Dumas, dont « les projets n'étaient pas agréés », et d'Arthur vers TF1. Les termes du contrat avec Jean-Luc Delarue étaient revus à la baisse. Nagui quittait lui aussi la chaîne pour TF1 alors que la facture de « N'oubliez pas votre brosse à dents » n'était pas contestée. On lui demandait seulement de mettre sa gouaille légèrement en sourdine...
À la mi-juillet, la crise des contrats était terminée. France 2 pouvait se flatter d'économiser 300 millions de francs. Mais trois des quatre animateurs-producteurs qui avaient remonté l'audience ne figuraient plus dans la grille...
Un cadeau pour TF1
Durant tout le premier trimestre, les rumeurs les plus folles ont couru sur la reconduction ou non pour cinq ans de l'autorisation d'émettre que le CSA devait accorder à TF1. En fait de débats, il n'y en eut pas au sein de cette instance, le président Hervé Bourges expliquant que la loi Carignon de 1994 (dite aussi « loi TF1 ») modifiant la loi audiovisuelle de 1986 ne leur laissait pas d'autre alternative qu'un renouvellement quasi automatique. Par contre, en juillet, le CSA accordait à TF1 l'autorisation de faire passer de 4 à 6 minutes la durée de la coupure publicitaire admise dans les films et les téléfilms. Un cadeau de plus de 700 millions de francs selon certains calculs pour une chaîne qui draine plus de 50 % de la publicité télévisée.
Un bouquet d'écrans
Une nouvelle ère s'est ouverte en Europe avec l'arrivée des chaînes thématiques distribuées par satellite en numérique. Cette technologie qui utilise un signal composé d'une multitude de chiffres (succession de 0 et de 1) permet de comprimer les informations composant les images et le son afin qu'elles prennent moins de place qu'avec l'analogique, mode de diffusion utilisé jusqu'alors. On peut ainsi faire cohabiter huit programmes au lieu d'un seul sur un même canal tout en améliorant la qualité visuelle et sonore. Il devient également possible d'associer le téléviseur au téléphone ou à l'ordinateur afin de jouer l'interactivité entre le téléspectateur et le diffuseur pour le paiement de l'émission (pay per view).