Dans le secteur des tableaux anciens aussi, il y a pénurie de grandes œuvres et de grands noms. En raison surtout de leur rareté intrinsèque. On a pourtant « frôlé l'exploit », comme disent les sportifs, avec une Immaculée Conception que certains affirmaient de Velázquez, mais pas les autres. Le vendeur avait tenté un coup de poker en poussant à 18 millions, dans une vente parisienne en 1990, cette grande toile estimée 400 000 francs (ce qui prouve qu'un autre y croyait aussi). Après quatre années de recherche, de nettoyage et d'authentification, et certificat de sortie en poche, il comptait la revendre à Londres autour de 7 millions de livres (70 millions de francs). Mais ce genre d'opération gagne à être entouré de plus de discrétion : les experts ès-Velázquez et les acheteurs potentiels continuant à ne pas y croire, l'Immaculée fit chou blanc. Un sort plus glorieux attendait un Saint-Jean-Baptiste de Georges de la Tour, miraculeusement découvert, lui aussi, dans une succession anonyme au sous-sol de Drouot. Sorti in-extremis de la vente devant l'émoi qu'il suscitait, proposé dans un premier temps au Louvre, puis présenté à Sotheby's pour examen plus approfondi et mis aux enchères à Monaco en décembre 1994 avec le handicap d'un refus de certificat, il fut préempté sur l'enchère de 10 millions de francs (11 avec les frais). Somme relativement modeste pour une découverte aussi miraculeuse. Beaucoup pensent que, s'il était resté dans sa vente anonyme de Drouot, il aurait pu, dans l'excitation provoquée, grimper beaucoup plus haut. Mais, dans des circonstances aussi cornéliennes, qui peut dire où est le bon choix ?
Au hasard des collections
Pour les objets de collection, les prix se font un peu au hasard des circonstances. La motivation première des collectionneurs étant de débusquer l'objet introuvable, dès qu'il en débarque un sous le marteau, les enchères montent sans réticence.
Pour les céramiques, ce fut, à Drouot, un plat en porcelaine Médicis, fruit des tout premiers essais, à la fin du xvie siècle, de porcelaines occidentales, dont il reste environ 70 pièces. Ledit plat fut poussé à 9,6 millions de francs, un record. Pourtant, six mois plus tard, un autre, de même origine, au décor plus modeste il est vrai, ne dépassa pas les 950 000 francs. Faïences et porcelaines anciennes, de toute façon, se portent bien, on n'y trouve pas de gros invendus.
Santé florissante aussi pour l'archéologie, qui se voit cette année couronnée par un nouveau record : les 7,7 millions de livres (64,5 millions de francs) payés par une secte japonaise pour un bas-relief assyrien chez Christie's. Le précédent était de 2,2 millions de livres, en 1993, chez Sotheby's, pour un vase grec. Record encore, mais plus modeste, pour l'art primitif, avec les 2 518 000 francs, à Paris, d'un introuvable masque Dogon du xviie siècle, de la collection Havenon. Un marché qui, pourtant, reste très handicapé et compte de nombreux invendus.
À l'est, rien de bien flambant, du côté de l'art islamique dont les acheteurs d'antan ont perdu leur enthousiasme. Les choses bougent, en revanche, sur le marché de l'Extrême-Orient, où une nouvelle clientèle de l'Asie du Sud-Est se substitue aux collectionneurs occidentaux traditionnels. Attention aux faux, souvent trompeurs (bronzes, terres cuites...), venus de là-bas !
Mais le marché le plus brillant, c'est celui des objets précieux, qui semblent l'être de plus en plus. La preuve : l'accueil à 7,7 millions de francs suisses (près de 30 millions des nôtres) réservé à l'œuf de l'Hiver de Fabergé, chez Christie's en novembre, un précieux bibelot de cristal de roche et de diamants, que le tsar Nicolas II offrit à sa mère à Pâques en 1913. Quelques beaux résultats aussi, à Londres et à Genève, sur l'orfèvrerie traditionnelle xviiie, mais une certaine réticence sur les créations premier Empire de J.B.C. Odiot, qui occupait le devant de la scène depuis quatre ans. Pas de réticence, en revanche, du côté des pierres précieuses, qui jouent à plein leur rôle de valeur refuge. Du moins pour ceux qui peuvent s'offrir à 16 500 000 francs le collier d'émeraude d'Hélène Beaumont (Sotheby's) ou à 55 millions de francs une bague ornée d'un précieux diamant bleu d'un peu plus de 20 carats.
Mais la plus forte enchère de l'année ne concerne ni une pierre ni une peinture, mais un mythe : Léonard de Vinci, dont le « Codex », manuscrit de 72 pages illustré de croquis, vient d'être acquis le 11 novembre, dans une vente new-yorkaise de Christie's, par le milliardaire Bill Gates, pour l'équivalent de 160,7 millions de francs. Son précédent propriétaire, Armand Hammer, l'avait, lui, payé 24 millions de francs (2 450 000 livres) il y a tout juste quatorze ans !
Françoise Deflassieux