Marché de l'art 94 : entre espoirs et déconvenues
Lors de la précédente saison, le marché de l'art avait des allures fortement ondulatoires, avec des alternances brutales de fiascos complets et de ventes à succès, mais une nette tendance à la hausse. L'année 1994 se présente, elle, en deux volets opposés, mais sans tendance nettement tranchée. Un premier semestre en hausse prononcée, qui se traduisait à la mi-saison par + 19 % pour Sotheby's, + 14 % pour Christie's, + 8 % pour Drouot. Un second semestre... en berne, qui ramène la progression globale annuelle à 0 % pour Sotheby's (7,157 milliards de francs), + 12 % pour Christie's (6,953 milliards) et + 3 % espérés pour Drouot (environ 3,200 milliards).
La fin des grands ensembles
La faute en est à la pénurie de grandes collections de prestige, ces « single owner sales », ces ensembles réunis par un seul grand amateur aussi connu que connaisseur, dont la vente annoncée enflamme les médias, interpelle le beau monde et dynamise les enchères.
Mais on n'a pas vu non plus – ou pas trop – de ces flops lamentables de ventes laborieuses, composées de fonds de stock d'antiquaires et d'invendus de précédentes ventes, mêlés à quelques meubles sains de diverses provenances, qui ne trompent personne et se concluent sur plus de 60 % d'invendus. Pour les ventes moyennes, au contraire, les choses vont plutôt mieux.
Le signe le plus encourageant, c'est le retour des marchands dans les salles des ventes. À vrai dire, ils n'en ont jamais été absents, mais, ces dernières années, ils venaient plutôt en observateurs (ou en vendeurs !) et ne participaient guère aux enchères. Manque de crédits, excès de stock, désertion de la clientèle. Et voilà qu'ils recommencent à pousser l'enchère. À tous les niveaux : aussi bien sur le meuble moyen xviiie-xixe, « de consommation courante », que sur les glorieuses estampilles ou les marqueteries de Boulle à enchères millionnaires. Résultat : les fameuses ventes composées, de diverses provenances, se déroulent désormais à 15-20 % d'invendus, soit la moitié du chiffre de l'année précédente.
Ce frémissement encourageant était d'ailleurs très sensible en novembre, à la Biennale des Antiquaires. Cette xviie Biennale se présentait pourtant sous de mauvais augures. Passer des espaces lumineux du Grand Palais au sous-sol bas de plafond du Carrousel... une gageure. Mais, après un démarrage en douceur, tout s'est bien passé, y compris pour les objets très chers, et moyennant des discussions serrées : le marchandage n'est pas réservé à la brocante.
Les choses demeurent plus difficiles du côté des tableaux modernes en général et de l'art contemporain en particulier. Car, souvent, ceux qui les possèdent et aimeraient les vendre ont du mal à admettre de ne récupérer que 50 % (ou moins) de leur investissement. Parfois ils s'y résignent... Le cas le plus éloquent est celui de la Ronde des fillettes, peint par Picasso au début de son séjour à Paris. Mis en vente une première fois à Londres, en 1990, ce tableau avait atteint l'équivalent de 45 millions de francs, trop peu pour son propriétaire qui préféra le reprendre. Et tenta sa chance à Drouot, en octobre dernier, où il le laissa partir pour... 20,7 millions de francs, soit un manque à gagner de 25 millions de francs. Des écarts du même ordre ont affecté quatre toiles de la collection Bourdon, adjugées – mais jamais payées – en 1990 pour un total de plus de 20 millions et qui, repassées sous le marteau d'ivoire en avril dernier, n'ont même pas réuni 10 millions. Mis à part ces déconfitures, qui éloignent de salles des ventes les œuvres majeures, le marché des tableaux modernes a retrouvé une nouvelle régularité, à des prix très inférieurs à ceux de 1988-1990, et réussi à refidéliser une clientèle, moins fortunée, moins m'as-tu-vu que celle d'il y a cinq ans. Quand les prix d'estimation sont raisonnables, les acheteurs suivent, et les invendus sont désormais en dessous de 25-30 % (un chiffre convenable pour les tableaux). Mais, si les vendeurs sont trop gourmands, la sanction est immédiate, leurs tableaux leur restent sur les bras. On l'a bien compris cette année à la FIAC, profitant du déménagement forcé sous la tente du quai Branly pour abaisser le niveau des œuvres. Et on a eu raison, puisque le chiffre des ventes a progressé de 30 %.