Sur le plan économique, en effet, la situation des chaînes est précaire. Seule Canal +, la chaîne cryptée à péage, a des résultats positifs et connaît une expansion régulière : avec plus de 3 millions d'abonnés, un taux de réabonnement supérieur à 90 % (160 francs l'abonnement mensuel), une part d'audience proche de 5 %, elle a réalisé, en 1990, un chiffre d'affaires de 6 milliards de francs et un bénéfice net de 910 millions de francs.
TF1 est la première chaîne en part d'audience (41,9 %), précédant successivement A2 (22,1 %), La Cinq (11,7 %), FR3 (11 %) et M6 (7,3 %). Si elle réalise un chiffre d'affaires de 5,7 milliards, son bénéfice net (280 millions de francs) ne lui permet pas un provisionnement suffisant pour diminuer son endettement. Quant aux quatre autres chaînes, elles enregistrent des pertes importantes, en particulier A2 et La Cinq.
Cette dernière, reprise par le groupe Hachette en octobre 1990, avait stabilisé sa troisième place mais, très éloignée d'une perspective d'équilibre budgétaire à court terme (plus de 1,1 milliard de francs de pertes prévues pour 1991), a finalement dû présenter son dépôt de bilan le 31 décembre après avoir déjà annoncé le 17 près de 600 licenciements sur un total de 820 employés.
Une grave crise de crédibilité
La position des chaînes publiques est également dramatique : presque 800 millions de pertes pour A2 et plus de 100 pour FR3. Une gestion erratique, l'absence d'une politique claire pour le secteur public, l'accroissement des coûts de production des programmes et l'essoufflement du marché publicitaire expliquent la situation catastrophique d'A2 et de FR3, régulièrement décrite et dénoncée par le sénateur Jean Cluzel dans ses deux rapports annuels.
Le nouveau « superprésident », Hervé Bourges, nommé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 19 décembre 1990 en remplacement de Philippe Guilhaume, démissionnaire, doit faire face à une situation très tendue dans les deux sociétés : découragement des personnels, rumeurs contradictoires, grèves... Il propose un plan de restructuration qui prévoit quelque 900 suppressions d'emplois dans l'ensemble des deux sociétés, mais obtient également du gouvernement une « rallonge » budgétaire pour éponger une partie du déficit et financer de nouvelles productions. L'augmentation de la redevance (qui n'assure que 40 % des recettes d'A2 mais 80 % de celles de FR3) ne serait qu'un pis-aller, car, comme nous l'avons déjà indiqué, le marché publicitaire français connaît une stagnation depuis deux ans, et la guerre du Golfe, au printemps 1991, a encore ralenti l'activité de ce secteur.
Enfin, la télévision dans son ensemble a subi une grave crise de crédibilité dans la manière dont elle a, toutes chaînes confondues, rendu compte du conflit américano-irakien. Les journalistes ont très mal vécu les conditions faites aux professionnels de l'information sur le terrain par les autorités militaires et, en même temps, l'opinion publique et certains journalistes, en particulier de presse écrite et de radio, ont été sensibles à certains dérapages liés à une « spectacularisation » parfois indécente de l'information sur la guerre.
Intervenant après des dysfonctionnements identiques révélés à l'occasion de la « révolution » roumaine de la fin de l'année 1990, ces événements relancent, au-delà de la question de la crédibilité de l'information télévisée, celle de la réflexion sur l'éthique professionnelle et le respect d'une déontologie clairement énoncée.
Christine Leteinturier