Si M. Nallet a rencontré un accueil favorable de la part des professionnels avec sa réforme de l'aide légale – devenue la loi du 10 juillet 1991 –, qui élargit notablement le nombre de foyers fiscaux auxquels l'aide sera accessible, il n'a guère convaincu avec ses projets réformateurs présentés en Conseil des ministres le 10 avril. Leur timidité ayant déçu de nombreux magistrats, l'Association professionnelle et le Syndicat de la magistrature se sont entendus pour appeler à une journée d'action le 16 mai.
La rénovation du statut des magistrats porte sur le recrutement, voulu plus large, par le biais d'un troisième concours d'accès à l'ENM et le développement des « passerelles » entre le corps judiciaire et la fonction publique. Quant à l'organisation de la carrière, le projet supprime partiellement la liaison entre le grade et la fonction et remplace la notation des magistrats par une « évaluation ». Il remet la désignation de leurs représentants à la commission d'avancement aux magistrats eux-mêmes.
Le second avant-projet de loi organique porte sur le Conseil supérieur de la magistrature. Sa composition reste inchangée ; ses pouvoirs en matière de nomination sont modifiés par l'octroi de l'avis conforme, au lieu et place de l'avis simple, et par quelques mesures accessoires. Lors de ses états généraux consacrés le 22 mai à la Justice, l'opposition réplique en présentant un programme ambitieux de réformes constitutionnelles pour assurer à l'autorité judiciaire une indépendance « complète et effective ».
...à la morosité
C'est aussi la volonté proclamée par M. Nallet, alors ministre du cabinet Rocard, en annonçant ses projets en avril. Mais l'opinion ne retient que les vives turbulences politiques déclenchées à ce moment par l' « affaire Jean-Pierre » et qui malmènent en premier lieu le garde des Sceaux. Le dessaisissement de ce juge d'instruction manceau du dossier Urbatechnic, opéré à la demande de la Chancellerie par le président de son tribunal dans des conditions inhabituelles, ravive le malaise de l'institution judiciaire et confirme fâcheusement le sentiment public d'une intrusion du politique dans la sphère du judiciaire. M. Nicot, président du SM, commente : « On ne veut pas que cette instruction continue dans cette direction. On essaie de tout étouffer ». Son organisation, rejointe par l'APM et mollement soutenue par l'USM, se décide aussitôt à organiser le 16 mai une nouvelle démonstration de mécontentement, la quatrième en moins d'un an.
Sans le recours à la grève ou aux manifestations, cette « journée de débats » avec les justiciables lancée par les seuls magistrats révèle la morosité et le découragement qui règnent dans les palais de justice après la forte mobilisation de l'automne 1990. M. Joubrel, président de l'USM, déclare : « Après un an et demi de promesses, il ne nous reste que nos yeux pour pleurer ».
Les Français s'émeuvent de l'état de leur justice. Pour 60 % d'entre eux, l'institution judiciaire doit être réformée en priorité. 97 % la jugent trop lente, 85 % difficile d'accès et 84 % trop chère. Pourtant, jamais ils n'ont tant apprécié le « spectacle judiciaire » à la télévision. TF1 programme quotidiennement Tribunal, Antenne 2 Défendez-vous ; les séries américaines comme La loi de Los Angeles font recette. La série documentaire de D. Karlin : Justice en France débute par une grande première : le suivi télévisé d'une affaire criminelle, de la garde à vue à la sentence de condamnation.
Hervé Robert
Vie judiciaire
Deux femmes dominent l'année judiciaire, deux tempéraments opposés, deux attitudes contraires dans le prétoire, deux histoires, mais un même avocat, Me Garaud. La cour d'assises de Meurthe-et-Moselle connaît pendant six semaines de l'affaire Simone Weber, accusée de l'empoisonnement de son mari Marcel Fixard et de l'assassinat de son amant Bernard Hettier. L'instruction, poursuivie pendant cinq ans, n'a pas permis de rassembler de réelles preuves matérielles, mais un puissant faisceau de présomptions. La « bonne dame de Nancy » pour les uns, « la diabolique » pour les autres a donné bien du mal à l'opiniâtre juge Thiel. Devant les assises, elle trouble, amuse, parfois horrifie par son langage, son aplomb et son énergie. La cour la condamne à 20 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Bernard Hettier commis le 22 juin 1985, et l'acquitte pour l'empoisonnement de Marcel Fixard.
Bécassine ou Thénardier ?
Joëlle Pesnel n'est pas douée du tempérament de Mme Weber. Tout au long de son procès devant les assises du Var, accusée de la séquestration de Suzanne de Canson, elle demeure dans une réserve gauche, semblant acquiescer aux griefs qu'on lui oppose. Durant les trois semaines d'audience, on oublie presque les coaccusés pour reprendre point par point l'examen des conditions de la vente aux Musées nationaux du Gentilhomme sévillan de Murillo. Le magistrat instructeur Bernard voit dans cette affaire un « scandale culturel » ; la presse le suit.