Aux Ulis (Essonne), trois d'entre eux sont blessés au cours d'affrontements le 8 mai. « La ville est morte le soir. Seul le centre commercial reste ouvert jusqu'à 22 heures. Alors on vient y traîner », explique, après les heurts, Abdel, vingt ans, le visage camouflé par un foulard palestinien. Pressé de questions, il compare Euromarché aux territoires occupés et les vigiles à l'occupant israélien. « Les prisons sont remplies de jeunes des cités alors que les tueurs de beurs sont remis en liberté », peste-t-il en rêvant à haute voix à l'intifada, à cette guerre des pierres menée là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée.
Confrontés à cette montée de la violence, les commissaires de police tirent le signal d'alarme dès le mois d'avril. « La loi républicaine ne s'applique plus dans les banlieues avec la même rigueur que dans le reste du territoire national », déplore leur syndicat. Les commissaires dressent un constat d'échec d'autant plus sévère que dans les quartiers difficiles les « keufs » jouent le rôle de boucs émissaires. Incapable de prévenir les maladies, le corps social s'en remet aux policiers, l'une des dernières institutions avec l'Éducation nationale à fonctionner tant bien que mal dans les cités à la dérive. Mais que peuvent-ils faire ? Dans la couronne parisienne, leurs effectifs diminuent comme une peau de chagrin par le jeu des congés, des récupérations, des horaires réduits et du travail administratif. Pour sept policiers sur le papier, on n'en trouve qu'un sur le terrain. De plus, leur nombre n'a pas suivi la courbe démographique ascendante de la banlieue : si le 1er arrondissement de Paris compte 460 policiers pour 18 000 habitants, La Courneuve (Seine-Saint-Denis) n'en a que 98 pour 55 000 habitants.
L'engrenage de violence tant redouté se produit à Mantes-la-Jolie, où, en trois semaines, trois personnes trouvent la mort. Tout commence le 24 mai par le pillage du centre commercial du Val-Fourré, un quartier considéré comme la plus grande ZUP de France. Les CRS interviennent et procèdent à des interpellations. Parmi les jeunes ainsi emmenés se trouve Aïssa Ihich, dix-huit ans, qui décède quarante-huit heures plus tard des suites d'une crise d'asthme à l'issue de sa garde à vue.
La polémique s'engage sur la responsabilité des fonctionnaires du commissariat local. La cité est en ébullition. Et une annexe de la mairie est attaquée par de jeunes manifestants : l'entrée du bâtiment municipal est défoncée par une voiture. Dans la nuit du 8 au 9 juin, une course-poursuite entre policiers et voyous tourne au bain de sang. Une femme gardien de la paix, Marie-Christine Baillet, est écrasée par un véhicule ayant délibérément foncé sur elle. Et une jeune Algérien, Youssef Khaïf, est abattu par un membre des forces de l'ordre. Les syndicats de policiers dénoncent alors l'absence de « consignes claires » pour maintenir l'ordre dans les quartiers difficiles.
La police est à son tour prise d'un accès de fièvre. Plusieurs milliers de « képis » défilent en silence dans les rues du vieux bourg, aux côtés de la population locale. Philippe Marchand, le ministre de l'Intérieur, est catégorique sur les origines du drame : « C'est un acte de grande délinquance. » « Si l'on veut éviter la formation de mini-Bronx, il faut séparer les voyous de la grande masse des jeunes qui relèvent simplement d'autres institutions », martèle Jean-Pierre Havrin, le secrétaire général du Syndicat des commissaires. Après avoir penché pendant de longues années dans le sens de la prévention, le balancier des policiers semble désormais aller vers une répression « intelligente », qui leur paraît plus appropriée à la situation.
Le fossé se creuse
Les événements de Mantes ont, il est vrai, désarçonné les pouvoirs publics. Ausculté, passé au crible d'un audit, le quartier faisait l'objet d'une attention municipale soutenue. Des sociologues avaient même classé les jeunes en deux catégories : « les révoltés doux qui évacuent leur agressivité dans le rap et le tag » et « les révoltés violents nourris à la culture de l'intifada que le moindre incident met en rage ». Depuis dix ans, d'importants programmes de réhabilitation des logements du Val-Fourré avaient été entrepris. Ils étaient complétés par l'arsenal classique des mesures d'insertion en faveur des étrangers, des actions sociales et des animations culturelles.