Et si le problème se situait ailleurs ? s'interroge pour sa part Christian Jelen dans un livre intitulé Ils feront de bons Français. Selon lui, les événements de Mantes-la-Jolie ou de Vaulx-en-Velin sont liés aux soubresauts de l'intégration en voie de réussite d'une vague d'immigrés qui produit inévitablement une frange de ratés. Ces ratés, ce sont les casseurs. Presque tous, on le sait, sont des adolescents en rupture scolaire. « Nous assistons en fait à une crise de l'autorité parentale. De là découlent la scolarisation insuffisante, le chômage, la délinquance, la drogue et l'exclusion. Au vrai sens du terme », conclut Jelen.
Confronté à la montée des violences, le gouvernement annonce le 12 juin un Plan d'urgence pour les banlieues. Il promet de construire des équipements sportifs et culturels et propose aux jeunes des cités des séjours de vacances à la campagne. La loi d'orientation pour la Ville est adoptée dans la foulée par l'Assemblée nationale. Son objectif : briser la logique de formation des concentrations urbaines excessives. Les futurs logements seront répartis sur l'ensemble des communes où le besoin existe afin d'assurer par ce saupoudrage un métissage social. Les municipalités devront se grouper pour élaborer des programmes locaux d'habitat. Les ZUP, zones d'urbanisme prioritaire, sont supprimées. Et un dispositif contraint les constructeurs privés à participer à la diversité de l'habitat. Parallèlement, le ministère de la Ville poursuit sa politique de réhabilitation des quatre cents cités difficiles où sont relégués les exclus du développement économique.
On s'interroge également sur les raisons de l'échec de la politique menée au cours des dernières années. Pourquoi les efforts de ceux qui combattent sur le terrain le mal des grands ensembles n'ont-ils pas abouti ? Quelles réformes mettre en œuvre ? Commandé par le ministre de la Ville, le rapport Delarue relève qu'une « foule de gens s'occupent des banlieues, mais dans un enchevêtrement de compétences », d'où « une perte d'efficacité importante ». Il propose l'élection au suffrage universel de Conseils de cité.
Mais de nouveaux nuages s'annoncent à l'horizon. Les clignotants passent en effet au rouge dans d'autres quartiers jusque-là épargnés, où les familles souvent étrangères se sont endettées pour accéder à la propriété et n'arrivent plus à entretenir les locaux. Les espaces verts sont à l'abandon et les services sociaux submergés de demandes d'aide qui proviennent de toutes parts. Des communautés portugaises, turques ou africaines, toutes repliées sur elles-mêmes, se forment. Bref, un nouveau front apparaît dans la bataille des banlieues comme si le fossé séparant exclus et nantis, immigrés et nationaux s'était encore creusé, traduisant ainsi à l'échelle de l'Hexagone le fameux clivage Nord-Sud.
Thierry Oberlé
Attaché au service Société du Figaro, Thierry Oberlé est spécialisé dans les questions de banlieues.