La Yougoslavie déchirée

Dans cet État récent, tout a été fait pour que le conflit éclate entre deux peuples entremêlés que tout oppose. Victimes de leur passé, Serbes et Croates sauront-ils construire leur avenir en oubliant la tragique année 1991 ?

Guerre « inutile », « insensée », « sale », « d'un autre siècle »..., les qualificatifs n'ont pas manqué pour caractériser le conflit qui a ensanglanté la Croatie pendant les six derniers mois de 1991 et qui, quelles qu'en soient l'issue et la durée, marquera toute une génération de Yougoslaves.

On voit mal comment, après les terribles batailles qui se sont déroulées en Slavonie, en Krajina, et le long de la côté dalmate – avec sans doute des atrocités de part et d'autre –, Serbes et Croates pourraient vivre encore ensemble dans les nombreux villages à population mixte de ces provinces de la Croatie. Et il est difficile d'exclure une extension des affrontements à d'autres républiques et régions : la Bosnie-Herzégovine, où cohabitent Serbes, Croates et musulmans (des Slaves islamisés), est une véritable poudrière qui peut exploser à tout moment. Le Kosovo, sous tutelle serbe mais peuplé à plus de 90 % d'Albanais de souche, est une autre bombe à retardement.

Les causes de la guerre

Dans les Balkans, l'Histoire est en permanence dans les esprits. Certes, elle est souvent présentée d'une façon simpliste et caricaturale – les « fascistes » et « oustachis » croates (du nom de la dictature installée à Zagreb par Ante Pavelić en 1941 avec le soutien d'Hitler) contre les « tchetniks » (royalistes serbes) –, mais elle permet aux nationalistes des deux bords de mobiliser les foules et d'attiser les haines.

C'est après la mort de Tito, en 1980, que les courants indépendantistes, sécessionnistes et autonomistes ont commencé à se manifester librement dans le pays.

À partir de 1987 surtout, chacune des six républiques – à l'exception de la Serbie, résolument attachée à l'idée de la « fédération yougoslave » – a cherché à s'émanciper, politiquement et économiquement. À Ljubljana comme à Zagreb, les dirigeants estimaient que cette fédération était devenue obsolète et que la cohabitation avec les Serbes, toujours soupçonnés d'expansionnisme et d'hégémonisme, devait cesser. En Croatie et en Slovénie (les deux pièces les plus riches du puzzle yougoslave), la démocratie a peu à peu gagné du terrain, souvent à l'instigation des communistes « rénovés ». Mais ceux-ci ont été rapidement débordés par les nationalistes, qui réclamaient avant tout l'indépendance. D'une autre façon, Belgrade avait, dès 1987, déclenché le mouvement, avec l'arrivée au pouvoir de Slobodan Milosević, un homme fermement décidé à rendre à la Serbie sa « dignité », bafouée par Tito, et à défendre la cause de tous les Serbes vivant en dehors de la Serbie – à savoir au Kosovo et en Voïvodine (provinces qui jouissaient alors d'un statut d'autonomie presque totale au sein de la fédération), en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro et en Croatie, où ils sont environ 600 000, soit 12 % de la population.

C'est le 25 juin que les parlements de Ljubljana et de Zagreb proclament simultanément l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Les multiples négociations menées au cours du printemps au sein de la présidence collégiale de la Yougoslavie, puis directement entre les présidents, sur la transformation de la « fédération » en une « confédération » ou en une « Alliance » souple d'États souverains se sont soldées par un échec. La Serbie restant inflexible, la Croatie et la Slovénie ont donc décidé de se « dissocier » et d'appliquer les résultats des référendums qui avaient été organisés dans les deux républiques : en décembre 1990, 88 % des Slovènes s'étaient prononcés en faveur de l'indépendance ; en mai 1991, environ 90 % des électeurs de Croatie avaient fait le même choix.

Quarante-huit heures à peine après ces déclarations d'indépendance, commence la « guerre de Slovénie ». Des blindés de l'armée yougoslave s'approchent de Ljubljana. Plusieurs aéroports sont bombardés. Le président slovène, Milan Kucan, appelle à la résistance. Pendant environ deux semaines, des combats se déroulent entre les unités fédérales et la défense territoriale slovène. Bilan : une centaine de morts et de nombreuses destructions de matériel militaire. L'armée, qui subit un échec inattendu, finit par accepter de regagner ses casernes.

Remodeler les frontières

Pour la première fois depuis le début de la crise yougoslave, la Communauté européenne intervient. À Brioni, le 7 juillet, les ministres des Affaires étrangères luxembourgeois, italien et néerlandais obtiennent notamment des parties en conflit l'engagement de respecter le cessez-le-feu, l'envoi d'observateurs chargés de surveiller son application, le retrait des militaires des frontières de la Slovénie, et la reprise des négociations politiques sur l'avenir de la Yougoslavie, qui se révèlent toutefois infructueuses. Autre point important : les deux républiques indépendantistes (Slovénie et Croatie) acceptent de reporter de trois mois les effets de leurs proclamations d'indépendance.